Belgique

« Ici le monde » : la violence des gangs échappe au contrôle au Cap

Entre avril et septembre 2023, 490 personnes, dont 23 mineurs, ont perdu la vie dans la violence des Cape Flats, quartiers défavorisés entourant la ville du Cap. Le ministre sud-africain de la Police, par intérim, a reconnu que les autorités ne disposaient pas, à l’heure actuelle, de plan stratégique efficace pour contrer les gangs.


C’est dans les Cape Flats, ces quartiers défavorisés créés sous l’apartheid, entourant la ville du Cap, que la violence a explosé ces derniers mois. Entre avril et septembre de cette année, 490 personnes, incluant 23 mineurs, ont été tuées dans cette violence aveugle. Trois meurtres ont même eu lieu dans les tribunaux de la ville. Un cycle de violence inextinguible, où les assassinats perpétrés par des gangs entraînent des représailles mortelles. Une spirale qui touche tout le monde.

« Fin août, 50 fusillades ont eu lieu en une semaine dans le seul township de Mitchells Plain, » explique Patricia Huon, correspondante de la RTBF en Afrique du Sud. « Chaque jour, on y enregistre de nouveaux coups de feu. Plusieurs enfants ont déjà perdu la vie sur le chemin de l’école, victimes de balles perdues. »

Dans le township de Mitchells Plain, près du Cap, les services médicaux d’urgence ne se déplacent plus sans protection de services de sécurité pour se prémunir contre les gangs qui contrôlent la région.

Le cœur de cette guerre entre les gangs du Cap repose sur le trafic de « tik ». Cette méthamphétamine facilement accessible engendre une dépendance rapide chez ses consommateurs. Selon le Réseau d’épidémiologie de la communauté sud-africaine sur la consommation de drogue, il s’agit de la drogue la plus consommée dans le pays, provoquant d’importants ravages dans les townships.

Ce fléau est au centre de l’économie souterraine qui alimente les gangs du Cap et les incite à se battre pour le contrôle du commerce de tik. Ces groupes, souvent bien armés et liés à des organisations criminelles internationales, plongent des quartiers dans l’anarchie suite à l’assassinat de leurs leaders, accentuant ainsi la violence dans les townships.

De plus en plus de jeunes sont entraînés dans cette spirale. Des adolescents de 14 ou 15 ans se retrouvent souvent à jouer le rôle de « mules », transportant des drogues pour des adultes, attirés par le fait qu’ils risquent moins de poursuites judiciaires en tant que mineurs. « La population est terrorisée, » poursuit Patricia Huon. « Les enfants n’osent plus jouer dehors, les gens se cloîtrent chez eux à la tombée de la nuit. Dans les écoles, les enseignants ont même instauré des exercices de préparation en cas de fusillade. »

La police sud-africaine fait face à d’énormes difficultés pour enrayer la violence des gangs qui ravage le pays.

Le ministre sud-africain de la Police, par intérim, a récemment admis que les autorités n’ont pas de plan stratégique efficace pour contrer les gangs. La police a mis en place une brigade antigang afin de tenter de neutraliser les groupes organisés qui sèment le chaos dans la grande banlieue du Cap. Ces unités spécialisées travaillent dans les quartiers les plus dangereux et effectuent régulièrement des perquisitions pour démanteler les réseaux. « Cette brigade a déjà obtenu certains succès, » explique Patricia Huon. « Mais elle fait face à des problèmes de sous-équipement et de sous-financement. »

Cette violence est pérenne dans les townships du Cap, où se concentre principalement la population « Coloured » (métisse) en Afrique du Sud. Cette communauté, qui compte près de 5 millions de personnes aujourd’hui, est issue du métissage entre colons afrikaners, populations autochtones et esclaves amenés de l’Indonésie et d’Afrique durant l’époque coloniale. Sous l’apartheid, cette communauté a souffert de la ségrégation, n’ayant pas les mêmes droits que la population blanche, et reste encore marginalisée aujourd’hui. « Sous l’apartheid, on n’était pas assez blancs et, depuis 1994, pas assez noirs, » déclare un membre de la communauté « Coloured ».

« Le taux de chômage des jeunes issus de cette communauté atteint 70% par endroits, » explique Patricia Huon. « Certains voient donc dans les gangs une source de revenu important et y trouvent un sentiment d’appartenance qu’ils ne rencontrent pas ailleurs dans la société sud-africaine. »

Face à cette impasse, une partie de la population des townships a décidé de prendre les choses en main. Des groupes citoyens se sont formés pour protéger les enfants de la violence. « Dans ces groupes, on retrouve beaucoup de mères et de grands-mères, » poursuit Patricia Huon. « Elles se lèvent parfois à 5 heures du matin pour accompagner les élèves à l’école. Cette organisation vise à protéger les enfants des tirs croisés des gangs, mais aussi à éviter qu’ils ne soient recrutés. »

Ces groupes collaborent également avec la police en transmettant des signalements et des informations pour faire avancer les enquêtes et traquer les criminels. Ils soutiennent aussi les victimes dans leurs démarches pour obtenir justice. « Ces démarches ne sont pas sans risques, car ces mères et grands-mères sont fréquemment insultées ou même menacées par les gangs sur le chemin de l’école, » rapporte Patricia Huon.

La situation est aggravée par la corruption dans la police sud-africaine. En désespoir de cause, certains habitants des Cape Flats demandent l’intervention de l’armée ou la mise en place d’un état d’urgence pour se protéger des gangs.