Belgique

Hiver 60-61 : la « grève du siècle » qui a transformé la Belgique

Les tensions sociales des années 60 se manifestent aujourd’hui avec 3 journées de mobilisation contre les politiques d’austérité du gouvernement De Wever. La grève générale, qui durera un mois, se termine le 20 janvier 1961 sur un échec pour les syndicalistes.


Les tensions sociales des années 1960 résonnent fortement aujourd’hui, après une semaine marquée par trois jours de mobilisation contre les politiques d’austérité mises en place par le gouvernement De Wever. Il est intéressant de noter que le plan d’austérité du Premier ministre Gaston Eyskens, connu sous le nom de « Loi unique », présente des similitudes avec les mesures actuelles.

En 1960, le gouvernement Eyskens prévoit un effort fiscal de 6,6 milliards d’impôts supplémentaires et une coupe de 11,5 milliards sur la sécurité sociale, les allocations de chômage et l’enseignement. La tension est palpable, notamment dans les services publics, où la CGSP annonce un préavis de grève pour le 20 décembre 1960. Étonnamment, de nombreuses usines du secteur privé réagissent par des arrêts de travail spontanés, l’initiative émanant ainsi de la base.

Les syndicats envisagent de transformer cette grève en grève générale, mais les syndicats chrétiens préfèrent négocier avec le gouvernement, tandis que la FGTB se divise. Le syndicat wallon se montre favorable à la grève, contrairement à celui du nord du pays. Deux Belgiques se confrontent alors : la Flandre, ayant bénéficié d’importants investissements du plan Marshall, se réindustrialise rapidement, tandis que la Wallonie, plus prospère, subit un déclin avec l’effondrement de son industrie charbonnière. Julien Dohet, historien et secrétaire politique du SETca à Liège, constate que « le capitalisme wallon tire les dividendes sans réinvestir et ne prépare pas l’avenir ». La Flandre devient plus riche que la Wallonie, qui entame son déclin. André Renard, leader de la FGTB wallonne, cherche à donner un sens à cette nouvelle réalité par le fédéralisme, c’est-à-dire « le maintien de la Belgique avec deux communautés vivant sur un pied d’égalité ».

La grève générale durera un mois, étant dure et largement suivie, surtout en Wallonie. « Historiquement longue », comme le note Julien Dohet, même si le 26 novembre a été le seul jour de grève générale de l’année. Il souligne que « 11 mois de luttes sont en cours et ne sont pas terminés ». Le gouvernement Eyskens fait appel à l’armée. Des affrontements pendant les manifestations feront quatre morts. Les autorités lancent une campagne de communication sans précédent, avec un ministre qui s’adresse aux grévistes chaque soir à la radio nationale. Le ministre libéral Homer Van Odenhove déclare : « Je me bornerai ce soir à attirer votre attention sur le tort immense que ces stupides grèves politiques causent non seulement au pays, mais aussi à vous-même et à tous ceux qui vous sont chers ».

La Loi unique est adoptée le 13 janvier 1961 et la grève se termine une semaine plus tard sans succès pour les syndicalistes. Cependant, le gouvernement tombe peu après et le rapport de force évolue. « Le patronat, pour faire simple, a eu quand même peur du basculement », rappelle l’historien. À la suite d’élections anticipées dans l’année, les socialistes forment une coalition plus conciliante avec la FGTB.

Un autre aspect important : la Wallonie entre dans un nouveau récit régionaliste, une rupture qui voit l’État national considéré comme hostile aux intérêts wallons, similaire au discours flamand. Cela conduira à la fin de la Belgique unitaire et à l’avènement de la Belgique fédérale actuelle.

André Renard a joué un rôle clé dans la prise de conscience d’une identité wallonne, en défendant une approche plus combative de la démocratie : « Un élément du renardisme est la question de l’action directe », précise Julie Dohet. « Cela signifie que la démocratie ne se limite pas aux votes et aux débats parlementaires, mais inclut l’action sociale, la grève, les manifestations, l’action de rue. Au sein de la FGTB, cela signifie aussi que des délégations syndicales peuvent déclencher une grève sans que cela soit décidé par le sommet ».