Herbicides, fongicides, insecticides : le salut ne serait-il pas dans les écorces ?
Dans une scierie, un conteneur de 30 m³ d’écorces de chêne est évacué tous les trois jours, représentant une valorisation symbolique, car un gros conteneur est vendu aux alentours d’une centaine d’euros. Le projet ExtraBark, financé à hauteur de plus de 3 millions d’euros par l’Union Européenne, se concentre sur les caractéristiques particulières des écorces pour leur utilisation dans le biocontrôle.
Les écorces : un produit peu valorisé de l’arbre.
« Dans notre scierie, nous évacuons un conteneur de 30 m³ d’écorces de chêne tous les trois jours. Pour cette essence d’arbre que nous travaillons principalement, la couche de protection représente 7 à 8%« , déclare Martial Camps, administrateur de VICA-BOIS. « C’est considérable, surtout que la valorisation est presque symbolique. Les écorces sont envoyées à des usines pour être utilisées comme combustible. Une petite partie est utilisée comme ornement dans le jardinage, mais c’est marginal car le chêne n’est pas idéal pour cela. En gros, un conteneur est vendu à environ une centaine d’euros, un montant très faible. Il serait souhaitable de mieux valoriser cela…«
Le souhait de Martial semble avoir été entendu, puisque plus de 3 millions d’euros ont été débloqués par l’Union Européenne dans le cadre du projet ExtraBark. L’idée principale est simple : étant donné que les écorces protègent les arbres, elles possèdent des caractéristiques moléculaires spécifiques qui peuvent être utilisées dans d’autres domaines, notamment le biocontrôle. De nombreuses études avaient déjà été réalisées depuis des années, mais la volonté d’éliminer rapidement le glyphosate et les produits de synthèse a accéléré les recherches. Alors qu’on est à mi-parcours du projet, le Laboratoire de Chimie des Molécules Naturelles de l’ULiège Gembloux Agro-Bio Tech a déjà obtenu des résultats significatifs.
Les huiles essentielles issues d’écorces
Les huiles essentielles ont depuis longtemps démontré leurs bienfaits dans le domaine de l’agriculture.https://www.rtbf.be/article/les-huiles-essentielles-pour-remplacer-le-glyphosate-11426005
Ici, l’originalité réside dans le fait que les huiles sont extraites des écorces. Les laboratoires associés travaillent sur dix essences d’arbres courants, présentes en abondance dans nos régions. La disponibilité locale de la ressource est essentielle, comme le confirme William Donck, Chef de projet Produits biosourcés chez Valbiom : « Nous visons des essences de notre région, telles que le hêtre, le Douglas, l’épicéa ou le chêne. Ensuite, nous procédons à un screening en laboratoire. Nous analysons chimiquement la composition des écorces pour en extraire les molécules actives.«
Ces molécules sont extraites sous forme de liquide concentré : des huiles essentielles. Dans un laboratoire de Gembloux, Leonel Taguimjeu, qui défend sa thèse de doctorat dans quelques semaines, est à plein temps sur ExtraBark. Il explique le processus d’extraction : « Les écorces sont d’abord broyées en très petits morceaux, presque de la taille de grains de sable. Mélangées à de l’eau en ébullition pendant 5 heures, dans le cadre de l’hydrodistillation en alambic, les molécules sont récupérées sous forme d’huile. » Pour diluer l’huile trop concentrée dans l’eau, un émulsionnant devra être ajouté. Une démonstration de pulvérisation d’écorces de robinier illustre l’efficacité du produit comme herbicide contre certaines mauvaises herbes.
Affiner, tester et commercialiser
Les initiateurs du projet souhaitent utiliser une partie de l’arbre pour protéger d’autres plantes. Il est donc nécessaire de créer des herbicides capables d’éliminer les adventices sans porter atteinte à la culture, mais également d’autres substances qui combattent les champignons (fongicides) ou les insectes nuisibles (insecticides). Une écorce ne possède pas toutes ces caractéristiques. Il est indispensable d’étudier minutieusement chaque aspect, d’envisager des huiles mixtes et de valider les tests en laboratoire.
Fin novembre, trois types d’arbres ont été sélectionnés en fonction de leur disponibilité, leur rendement d’extraction et leur efficacité herbicide ou fongicide.
Bien que ces trois essences semblent prometteuses, elles ne représentent pas une solution miracle. Les limites des huiles essentielles par rapport aux molécules de synthèse produites à grande échelle sont bien reconnues. Avant qu’elles ne soient disponibles dans les supermarchés, un peu de patience sera nécessaire.
Au printemps 2026, des essais en plein air et dans des serres seront réalisés, sur des cultures plus vastes que de simples échantillons contrôlés en laboratoire. Le projet ExtraBark se terminant en 2027, la validation des trois années de recherche est prévue. Ensuite, en cas de succès, des entreprises privées ou des start-up pourraient s’occuper d’une production à grande échelle en vue d’une commercialisation. Les agriculteurs, en tant que premiers clients, seraient particulièrement concernés.
Il est à noter que d’autres études portent sur la valorisation des résidus d’écorces, une fois l’extraction des huiles essentielles effectuée (car de la matière reste). Comme le souligne Martial Camps, responsable de la scierie : « Dans le chêne, comme dans le cochon, tout est bon !«

