Hadja Lahbib obtient la confiance du Parlement européen pour devenir commissaire, après une audition convaincante
La Belge a convaincu les commissions parlementaires qui l’interrogeaient de sa connaissance des dossiers dont elle aura la charge : la Préparation et la Gestion des crises et l’Égalité. Elle a dû répondre à plusieurs questions sur l’affaire des visas iraniens et son voyage en Crimée, sans, au final que cela lui porte préjudice.
- Publié le 06-11-2024 à 17h23
- Mis à jour le 06-11-2024 à 19h30
Commissaire-désignée à la Préparation et à la Gestion des crises, ainsi qu’à l’Égalité, la Belge Hadja Lahbib était perçue par les observateurs comme l’un des membres de l’équipe von der Leyen II les plus exposés aux pièges potentiels de l’audition de conformation devant le Parlement européen. Le pressentiment s’est temporairement confirmé, ce mercredi. Non à cause de la prestation, de bonne tenue, de la candidate commissaire mais en raison d’un jeu politique mené par les conservateurs du Parti populaire européen (PPE), dont la libérale belge a été l’otage. Sans le dire, le PPE liait le sort d’Hadja Lahbib à celui de la Suédoise Jessika Roswall, commissaire désignée à l’Environnement, issue de ses rangs, dont l’audition, la veille, n’avait pas été un franc succès.
Hadja Lahbib a finalement dû attendre la fin de l’après-midi pour être fixée sur son sort. Peu après 17 heures, on a appris qu’elle avait obtenu le feu vert d’une majorité des deux tiers des coordinateurs des commissions parlementaires compétentes pour l’évaluer (à savoir : la commission du Développement ; celle de l’Environnement, celle des Libertés civiles et celles du Droit des femmes et de l’Égalité des genres). « C’est un grand honneur pour moi de recueillir la confiance des députés européens. Les défis et les responsabilités qui m’attendent sont à la hauteur de ma motivation », a réagi, par communiqué, la commissaire désignée.
Une candidate très bien préparée
Que la Belge ait passé le test avec succès n’avait rien d’une évidence. De la bouche de plusieurs sources parlementaires, il revenait que Hadja Lahbib n’avait pas forte impression lors des différentes rencontres qu’elle avait eues avec des délégations de groupes politiques, avant son audition. Mais l’heure de l’examen venue, ce mercredi matin, à Bruxelles, la candidate commissaire a démontré qu’elle s’était intensément préparée, avec l’appui de son cabinet provisoire, à son face-à-face avec les députés. Installée devant une table face à la salle, au bas d’un « mur » de présidents des commissions, la Belge a répondu aux députés avec conviction et une assurance parfois altérée par des signes de nervosité. Lesquels se sont entre autres manifestés par son débit de parole – ce qui a amené les interprètes à demander à la commissaire désignée de parler moins vite.
Après une introduction en anglais, Hadja Lahbib s’est exprimée presque exclusivement en français, avec quelques rares retours à la langue Shakespeare, et deux débuts de réponses en néerlandais aux députés belges Barbara Bonte (Patriotes pour l’Europe/Vlaams Belang) et Hilde Vautmans (Renew/Open Vld). Sur les questions « techniques » touchant à ses portefeuilles, la candidate a éteint les soupçons de « légèreté » qui pesaient sur elle. En remerciant à chaque fois, « l’honorable député(e) » qui l’interrogeait, elle a d’abord été amenée à s’exprimer sur les divers sujets liés au portefeuille Égalité (droits des femmes, des LGBTQI +, santé reproductive, égalité des genres, lutte contre le racisme…). Puis, plus longuement, sur la préparation et à la réponse de l’Union européenne aux crises (naturelles, sanitaires, causées par des conflits…).
Presque tout au long de l’exercice, Hadja Lahbib, a témoigné de sa bonne connaissance des instruments européens, des chiffres et statistiques des dossiers dont elle aura la charge, d’une vision précise de l’état des lieux législatifs, ainsi que de la situation internationale (ce qui est assez logique pour la cheffe démissionnaire de la diplomatie belge). Elle a insisté sur la nécessité de la neutralité en matière d’aide humanitaire, au Proche-Orient, notamment, non sans appeler Israël à respecter ses obligatons dans ce domaine.
Des réponses qui font appel à l’émotion
Par ailleurs, Hadja Lahbib a imprégné sa prestation de propos et de réactions faisant appel à l’émotion de ses auditeurs. Lorsqu’elle a entamé son discours d’introduction (prononcé dans un anglais un peu scolaire) en déclarant aux députés que « rien ne la prédestinait à [se] trouver en face [d’eux] ». Et de rappeler son parcours de fille d’un immigré algérien venu travailler dans les mines du Borinage, devenue universitaire, puis « première reporter de guerre, envoyée spéciale et présentatrice de journal télévisé d’origine nord-africaine » et, enfin, ministre des Affaires étrangères. Cette histoire, a-t-elle développé, « est une histoire européenne », qui raconte « l’égalité, la solidarité, et la possibilité de saisir les opportunités ». Ce récit, souvent servi en Belgique par Hadja Lahbib, était susceptible de porter au Parlement – qui aurait été prêt à barrer la route à la première personnalité issue de la diversité, une femme, qui plus est, à faire partie de la Commission ?
Elle s’est également gagné les faveurs des eurodéputés, espagnols en particulier, quand, à plusieurs reprises, elle a exprimé sa compassion envers les victimes des inondations meurtrières qui ont noyé la région de Valence. Et elle a éveillé leur compassion quand elle a répondu à une question sur la violence en ligne en indiquant que sa fille en avait été victime.
Elle évite les pièges des visas iraniens et de la Crimée
L’écueil le plus périlleux pour Hadja Lahbib résidait dans la nécessité d’apporter aux eurodéputés des réponses convaincantes sur l’affaire des visas accordés à une délégation iranienne au printemps 2023 – qui la fit vaciller de son siège de ministre des Affaires étrangères – et sur celle du voyage effectué, en 2021, en tant que journaliste de la RTBF, en Crimée annexée, avec un visa russe.
Aux deux questions, posées à plusieurs reprises, depuis les rangs du PPE et de l’extrême droite, la Belge a donné invariablement les mêmes réponses. Pour ce qui est des visas, elle a insisté sur le fait qu’elle n’était pas à l’origine de l’invitation à la délégation iranienne, lancée « par le gouvernement bruxellois » (le socialiste flamand Pascal Smet, en l’occurrence), « contre l’avis de son ministère ». Elle a ajouté qu’elle s’en était expliquée trois fois devant le Parlement belge et qu’elle avait survécu politiquement à un vote de confiance. End of story.
Sur la Crimée, Hadja Lahbib a défendu « qu’elle n’avait pas été invitée par la fille de Poutine », ainsi que l’avait prétendu l’eurodéputée allemande d’extrême droite Irmhilde Bosdorff, « mais par une artiste vivant en Belgique » , pour rendre compte de la réalité des artistes vivant dans le territoire ukrainien annexé par Moscou. La libérale a complété sa réponse en affirmant qu’en tant que ministre des Affaires étrangères, elle était un des plus fermes soutiens de l’Ukraine, et que cela lui avait valu « beaucoup de compliments et de remerciements » des Ukrainiens eux-mêmes.
Sans doute lasse de devoir répondre aux deux mêmes questions, Hadja Lahbib aura connu petit trou d’air, après deux heures trente d’audition, lorsqu’elle a répondu (mot pour mot) son argument sur les visas iraniens, à une députée d’extrême droite qui l’interrogeait sur son voyage en Crimée. Une absence qui n’aura pas été de nature à instiller dans l’esprit des députés le doute quant à sa capacité d’assurer sa fonction. Les applaudissements qui ont salué la fin de son audition laissaient entendre que Hadja Lahbib les en avait convaincus. Le cas de Jessika Roswall réglé, en cours d’après-midi, d’une façon qui agréait le PPE, plus rien ne s’opposait à la confirmation de la Belge.