Gaza : reconstruction interminable entre gravats, milliards et survie quotidienne ?
La reconstruction de la bande de Gaza nécessitera environ 53 milliards de dollars, selon un rapport conjoint de la Banque mondiale, de l’Union européenne et des Nations unies. Il faudra cinq à huit ans pour dégager la majeure partie des ruines, à condition que les entrepreneurs puissent aller et venir sans restriction.
Ce sont des chiffres vertigineux qui illustrent l’ampleur énorme des destructions causées par l’armée israélienne. Il faudrait quatorze ans pour enlever les débris dans un scénario pessimiste, et vingt ans pour reconstruire, à condition que le territoire soit libéré de toutes ses restrictions. D’autres estimations avancent même un délai de 80 ans. Au total, 53 milliards de dollars seraient nécessaires pour reconstruire la bande de Gaza, selon un rapport conjoint de la Banque mondiale, de l’Union européenne et des Nations unies. Mais au-delà du temps et de l’argent, une question fondamentale émerge : qui va reconstruire Gaza, et comment la population va-t-elle survivre durant toutes ces années ?
**Les gravats avant les murs**
Avant toute reconstruction, il sera indispensable de déblayer. Cette tâche prendra des années. Les gravats ne se limitent pas à de simples débris : ils contiennent des munitions non explosées, de l’amiante, des déchets toxiques, mettant en danger la santé de ceux qui les manipulent. Le nettoyage, préalable à tout projet, s’annonce donc comme une opération à haut risque.
Il faudra entre cinq et huit ans pour dégager la majorité des ruines, à condition que les entrepreneurs puissent circuler sans restriction. Si les camions et les engins ne sont pas ralentis aux points de contrôle. Un accès facile, qu’Israël ne permettra sans doute pas, afin de contrôler les entrées et sorties de la bande de Gaza.
« Le véritable défi n’est pas seulement technique, mais aussi logistique et politique », souligne un ingénieur de la région de Rafah. « On ne peut rien reconstruire tant que les camions ne passent pas, tant que les frontières restent sous contrôle militaire. »
**Les entreprises dans les starting blocs**
La reconstruction débutera par un afflux massif d’aide humanitaire. Mais ensuite, un autre afflux surviendra : celui des entreprises. Les géants égyptiens de la construction, déjà présents à la frontière de Rafah, devraient être parmi les premiers à entrer en action. L’Égypte, clé du plan arabe de reconstruction, a promis d’envoyer matériels et équipes dès que la sécurité le permettra. Des groupes comme Orascom Construction ou Arab Contractors se tiennent prêts à entamer les opérations de déblaiement et de réhabilitation.
Les entreprises palestiniennes, bien que fragilisées, pourraient jouer un rôle clé. Petits entrepreneurs, artisans, ingénieurs, conducteurs d’engins : une armée civile qui devra reconstruire pierre par pierre, souvent dans des conditions extrêmes. Les entreprises européennes et internationales pourraient fournir l’expertise en ingénierie, détection des munitions, traitement des matériaux contaminés, conception urbaine et durable. Les banques et assureurs compléteront ce dispositif, car les grands chantiers nécessitent garanties, investissements et assurances contre les risques politiques et sécuritaires.
Mais tout cela est subordonné à une condition : la stabilité. Sans cessez-le-feu durable, donc sur plusieurs années, et sans ouverture logistique claire, aucun chantier ne pourra aller à son terme.
**Les priorités pour la reconstruction**
Le logement, principal secteur sinistré, représentera environ 30 % du coût total. Les infrastructures vitales : eau, électricité, hôpitaux, écoles, etc., seront les premières à être réhabilitées. Cependant, les priorités, forcément politiques, risquent de susciter des tensions : qui décide, qui construit, qui bénéficie, par quoi commence-t-on ?
Le plan arabe soutenu par l’Europe tente d’apporter une réponse. Porté par l’Égypte et soutenu par la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni, il prévoit une gouvernance technocratique palestinienne, hors contrôle du Hamas. Un cadre de cinq ans pour relancer les infrastructures et reloger les déplacés internes. Un plan ambitieux mais suspendu à la situation militaire et diplomatique.
**Plusieurs plans de reconstructions et beaucoup de questions**
Jeudi dernier, Emmanuel Macron a organisé une « réunion ministérielle d’opérationnalisation du plan de paix au Proche-Orient ». Elle a rassemblé les ministres des Affaires étrangères ou représentants de pays arabes et européens (Égypte, Qatar, Jordanie, Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Turquie, etc.), ainsi que des États européens (France, Allemagne, Italie, Espagne, Royaume-Uni), l’Union européenne, la Turquie et d’autres acteurs internationaux.
Un des volets majeurs était la mise en place d’une force internationale de stabilisation temporaire à Gaza, qui pourrait encadrer le retrait israélien, veiller au respect du cessez-le-feu, aider à la formation des forces de sécurité palestiniennes, et garantir un environnement sécurisé pour les opérations de reconstruction.
La France place « l’initiative parisienne comme complément au plan de paix proposé par Donald Trump », en cherchant à travailler de concert avec les États-Unis, le Qatar, l’Égypte et la Turquie.
Travailler de concert, peut-être. Mais il semble y avoir une lutte pour le leadership. Qui réussira à imposer sa vision et ses choix ? Donald Trump a été très clair. Il souhaite établir une autorité provisoire sous sa direction, ce qui ne plaît ni au Hamas ni à l’autorité palestinienne en exil.
Et cette « initiative parisienne » est ralentie par un acteur majeur qui fait défaut : Israël n’est pas partie à la discussion. Il est pourtant difficile d’aborder la question de la reconstruction à Gaza sans impliquer le gouvernement israélien.
**Reconstruire Gaza, un enjeu de vie**
« Reconstruire Gaza, c’est plus que reconstruire un territoire, c’est reconstruire la possibilité d’une vie. » Dans les camps improvisés de Rafah, Deir al-Balah ou Jabalia, des centaines de milliers de Gazaouis survivent dans des tentes ou des bâtiments endommagés. L’eau est rare, l’électricité quasiment inexistante, les maladies respiratoires et infections se multiplient. Les ONG évoquent un « traumatisme collectif durable ». Beaucoup ont tout perdu : famille, maison, emploi. Les enfants n’ont pas été à l’école depuis des mois ; certains n’ont connu que la guerre.
« On nous parle de milliards, de plans, de chantiers. Mais nous, nous avons besoin d’un toit, d’eau, d’un peu de lumière », confie Amina, 32 ans, déplacée de Khan Younès. « Avant de reconstruire les immeubles, il faut reconstruire les gens. » Un ingénieur gazaoui indique également que reconstruire n’est pas qu’une question matérielle, c’est « reconstruire la possibilité d’une vie. »
**La reconstruction peut prendre deux chemins**
Rebâtir ne se résume pas à empiler du béton et appliquer des techniques. La reconstruction de Gaza peut emprunter deux trajectoires distinctes.
D’un côté, les pays étrangers et les entreprises peuvent choisir de former la main-d’œuvre locale, d’employer des entreprises palestiniennes et de rétablir les services de base. De l’autre, la reconstruction pourrait bénéficier uniquement à des investisseurs étrangers, sans participation de la population et sans prise en compte de la reconstruction sociale. Cette dernière option risquerait de conduire à un nettoyage ethnique, comme le souligne Pascal Boniface, géopolitologue et directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques. Cela impliquerait probablement d’évacuer la population, les sollicitant comme main-d’œuvre bon marché, et pour un profit qui serait récupéré ailleurs.
**Reconstruire Gaza, le mirage de l’histoire sans fin**
Pour saisir les difficultés que la reconstruction va rencontrer, il suffit de se souvenir de ce qu’il s’est passé à Gaza entre 2009 et 2023. Il y a 17 ans, le 27 décembre 2008, Israël lançait « l’opération plomb durci » sur la bande de Gaza. Cette incursion militaire, accompagnée de bombardements, a fait 1400 morts côté palestinien. L’armée israélienne souhaitait mettre un terme aux attaques de roquettes du Hamas, qui avait déjà riposté à des bombardements six mois plus tôt.
Dès 2009, un plan de reconstruction de Gaza a été proposé. Déjà à cette époque, le plan prévoyait qu’il serait « nécessaire de rouvrir les points de passage de la bande de Gaza, fermés en guise de sanction contre le Hamas, afin de permettre notamment l’entrée des matériaux de construction. »
Des vœux pieux. Cinq ans plus tard, peu de progrès avaient été réalisés. En 2014, un accord entre l’ONU, les Palestiniens et Israël devait permettre des travaux considérables grâce à des investissements étrangers. L’objectif était déjà de lever les restrictions israéliennes aux frontières.
Si ce scénario devait se répéter, des centaines de milliers de Gazaouis pourraient vivre dans des ruines et des habitations temporaires pendant des années, voire des décennies.
Tout dépendra de la capacité à négocier une paix durable entre Israéliens et Palestiniens, ce qui ne semble pas encore à l’horizon. Il faut également se demander si une autorité reconnue par la population pourra s’installer à Gaza sans conflits internes. Et enfin, si les choix politiques permettront d’imaginer un avenir au-delà des intérêts partisans.

