Belgique

« Fonctionnement sectaire », « pression financière » et sur les héritages: d’anciens membres du PTB témoignent

Le PTB n’interdit plus à ses militants d’être propriétaires ou de toucher un héritage

La Libre a donc contacté une dizaine d’anciens membres ou élus du PTB, issus de toutes les régions de Wallonie et de Bruxelles et qui, pour la plupart, ne se connaissent pas. Objectif : comprendre le fonctionnement interne du parti, notamment sur le plan pécuniaire. Dans la plupart des cas, ceux-ci ont fait état de pressions de la hiérarchie du parti pour pousser à une contribution financière la plus importante possible. Ces pressions, de même que l’investissement financier à consentir, ont souvent pesé dans la décision de quitter le parti.

« Ils voulaient que je leur verse une partie de la vente de mon garage »

J’ai été militante pendant 13 ans. Je ne payais pas de cotisation car j’étais au chômage. Dans mon entourage, pour les militants qui contribuaient, ça pouvait aller de 200 à 900 euros par mois. Moi, j’ai travaillé un nombre incalculable d’heures pour le parti, comme bénévole. J’aidais à toutes les réceptions, je travaillais dans la cuisine, je montais la tente pour les soirées, nous raconte Zahour Loulaji, conseillère communale à la Ville de Bruxelles, qui a quitté le PTB en 2019, en même temps que deux autres élus, avant de rejoindre le MR, plus récemment. “J’ai un jour hérité d’un garage, pour 20 000 euros. Le trésorier du parti (membre du groupe de base) m’a demandé de verser une partie de la vente au parti. Mais j’ai refusé et de toute façon, c’était trop tard. Moi, je refuse qu’on m’arnaque.

Une fois la rupture avec le parti consommé, c’est aussi souvent toute une vie sociale qui s’effondre. Car celui qui quitte le PTB perd souvent, de facto, ses liens avec ceux qui y sont toujours. “On formait une belle famille. Je suis déçue, aujourd’hui. J’ai été trop naïve. De la manière dont je le vois aujourd’hui, j’ai été arnaquée pendant 13 ans. On était comme hypnotisés”.

« Mon épouse n’était pas adhérente au parti et cela n’a pas aidé… »

Financièrement, le fait de devenir militant du PTB implique une contribution financière. Ils appliquent un coefficient par rapport au fait d’être cohabitant. Mon épouse n’était pas adhérente au parti et cela n’a pas aidé… J’ai été heurté par la dissonance entre le fait que le PTB considère le fait d’être cohabitant dans le calcul du montant de référence et son combat contre l’existence de ce statut et pour l’individualisation des droits”, souligne Philippe Defrise. Cet ancien président de la section locale du PTB à Chatelet (Hainaut) a été débauché par le PS en 2018. Engagé dans la formation de militant, il avait finalement renoncé. “Je me souviens d’un médecin, membre du parti, qui travaillait pour les maisons du peuple. Il avait refusé de devenir militant car il ne savait pas comment expliquer à sa femme l’aspect financier de l’engagement au PTB. À la fin, je ne me sentais plus à ma place. Des personnes sont au bord de la misère, au chômage, mais au lieu de les aider à trouver un boulot, le PTB les accapare pour qu’elles servent le parti.”

Les partis francophones taclent le PTB mais se divisent sur l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan

« Il y a une forte insistance pour qu’on donne le maximum au parti »

”J’ai été engagée en 2017, après avoir postulé comme secrétaire, sans être membre du parti. J’ai alors travaillé pour le député wallon Frédéric Gillot, mais je ne l’ai jamais rencontré. À partir du moment où ils m’ont demandé d’être sur les listes, ils ont tout fait pour me persuader de cotiser”, se souvent Patricia Van Muylder, ancienne conseillère provinciale à Namur, qui a quitté le PTB en 2019, avant de rejoindre le PS. “Ils m’ont demandé un avertissement d’extrait de rôle. Il y a une forte insistance pour qu’on donne le maximum. Mais moi, j’ai toujours refusé d’être militante car mon mari est indépendant et il ne voulait pas donner sa fiche de revenus, ni faire rentrer ses revenus dans la balance (NdlR : pour le calcul du montant de référence). Il n’était pas contre les idées du PTB, mais bien contre le fonctionnement. L’une de mes amies touchait 1 500 euros par mois et en donnait 300 au parti. Il faut aussi donner énormément de son temps. Vous n’avez plus de vie privée quand vous êtes militant. Moi, j’étais mal vue car j’avais une vieille Mercedes. Quand je venais à une soirée, on me demandait de me garer loin pour que les membres ne voient pas que je roulais avec cette voiture. On ne pouvait pas montrer le moindre signe extérieur de richesse”.

Le PTB, de son côté, dément toute pression d’ordre financier. “Nous expliquons évidemment quelles sont les règles.”

« Le PTB a de bonnes idées, mais leur côté sectaire m’a déplu »

Pour devenir militant, il faut suivre une formation de 6 ou 7 samedis, dans une sorte d’université marxiste à Waterloo. Au fur et à mesure des week-ends, les formateurs nous ont bien fait comprendre qu’être militants, c’est un engagement. Et qu’il n’y a pas d’engagement sans engagement financier. À la fin, ils m’ont demandé mon avertissement d’extrait de rôle. J’ai refusé. J’estimais que j’avais donné assez de ma poche comme militant, durant la campagne électorale”, nous relate Alain Nicolas, tête de liste PTB aux dernières élections régionales en province de Luxembourg, qui a quitté le parti en juillet 2019, puis rejoint lui aussi le PS. Cette demande d’extrait de rôle formulée par le parti nous a été relatée également par Patricia Van Muylder, tandis que d’autres n’y ont pas été confrontés. Le PTB dément fermement avoir jamais demandé ce document. “Nous faisons confiance à nos membres”, assure le député wallon Germain Mugemangango.

”J’ai dit : j’ai trois enfants, je préfère aller au resto avec eux que de verser chaque mois de l’argent au parti. Ils l’ont mal pris, mais ils étaient coincés car on était déjà en campagne et que j’étais tête de liste. Ce côté un peu sectaire du PTB m’a déplu, quand j’y étais.”

Comment le PTB a noyauté la manifestation « apolitique » contre la guerre en Ukraine

Ce refus signe le début d’une rupture entre Alain Nicolas, garde forestier à Bouillon et le parti de gauche radicale. “Le lundi avant le dimanche des élections, Raoul (Hedebouw) est arrivé. Il a annoncé aux cadres et têtes de liste que, peu importe le score du parti, on ne participerait pas au pouvoir, à aucun niveau. Je me suis fâché. J’ai refusé d’aller sur les débats sur TV Lux. Puis, j’ai démissionné, reprend Alain Nicolas. Le PTB avait de bonnes idées et ils en ont encore. Heureusement qu’ils sont là pour remettre le curseur des idées à gauche.”

« Pour eux, depuis que j’ai quitté le parti, je suis un paria, un traître et un opportuniste »

J’ai été président de la section du PTB de Jambes (Namur), et je suis devenu militant durant ma dernière année, en 2019, pointe Karl Boulanger qui a, comme de nombreux anciens du PTB, rejoint le PS. Je ne donnais 20 euros que par mois au parti. Je connaissais bien une accompagnatrice de train qui, elle, rétrocédait 300 euros par mois. Moi, j’ai fait des dons de 100 euros pour la campagne communale, puis législative, car tout au long de l’année, le parti a fait appel à des dons. En 2019, le parti m’a coûté 600 euros. Il y a des pressions sur l’aspect financier.”

Karl Boulanger n’a plus aucun contact avec ses anciens camarades. “Depuis que j’ai quitté le parti, je suis un paria. On m’a bloqué sur Facebook. J’étais harcelé tous les jours, j’étais un traître et un opportuniste. C’est leur mentalité, qui est totalement sectaire. Le simple fait d’émettre des doutes en réunion est déjà mal vu. Ils ne vivent que dans leur communauté. Vous ne les verrez jamais aller boire un verre avec un copain de l’équipe de foot ou un collègue. Le PTB devient leur famille. Ils ne se mélangent pas avec le reste de la société.”

« Je cotisais 500 euros par mois »

Si certains militants ne contribuent que peu, en raison de leurs moyens limités, de simples membres apportent parfois une contribution importante. “J’ai été membre consultatif du PTB entre 2013 et 2015. Je cotisais 500 euros par mois. C’était volontaire. Je faisais aussi un versement plus important, à l’occasion”, nous indique Christian Panier, ancien juge namurois, exclu en 2017 par le PTB qui n’a jamais digéré son initiative d’héberger, en 2015, l’ex-femme de Marc Dutroux, Michelle Martin.

”Moi, je ne signais pas d’engagement écrit. C’est par contre le cas pour les militants qui doivent s’engager à cotiser et à vivre avec autour de 2000 euros par mois de salaire. Et s’ils ne sont pas obligés de contribuer, les membres non militants sont chaudement invités à le faire, reprend Christian Panier. C’était le seul moyen du parti de percer.”

« Le PTB m’a fait me sentir coupable d’avoir dépensé de l’argent qui m’appartient »

J’étais militante du PTB. J’ai adhéré au parti car je vivais dans un logement mal chauffé de la Sambrienne et ils ont été les seuls à se soucier de moi, à agir et à ne pas se contenter du blabla habituel. Après, je me suis toujours débrouillée pour ne pas payer de cotisation, car je n’avais pas de revenu. Mais c’était compliqué de ne pas donner. Il y avait de la pression”, se souvient Gemma Spataro, 67 ans, ancienne conseillère CPAS à la ville de Charleroi, exclue par le parti en septembre 2021 pour avoir dépensé l’argent de jetons de présence. En effet, le PTB exige que ses mandataires reversent l’intégralité de ses sommes au parti. Elle en reste profondément meurtrie.

J’ai été touchée dans ma dignité, je n’ai pas beaucoup de moyens mais j’ai toujours été honnête. Cette histoire m’a atteint, moi et mes enfants. Une seule fois, en deux ans et demi, j’ai tardé à rendre mes jetons. J’avais pourtant prévenu le parti. Cela s’est passé un peu avant Noël 2020. Je me suis permis d’utiliser une partie de mes jetons de présence, soit 487 euros au total. Je voulais faire un cadeau à ma petite fille, car je venais d’être grand-mère… “

Le parti réclamera sa démission du conseil du CPAS pour ce retard de remboursement. Elle refusera, ce qui conduira en définitive à son exclusion.

Gemma Spataro tient à l’assurer. “J’ai tout remboursé au parti. J’aimerais publier la preuve d’ailleurs, pour me soulager, me libérer de cette étiquette de voleuse (NdlR : elle a transmis à La Libre une attestation, signée du directeur du secrétariat financier du PTB, qui atteste qu’elle a intégralement cédé au parti les jetons de présence, pour un montant net de 1 884 euros en 2020). Le PTB m’a fait me sentir coupable d’avoir dépensé de l’argent qui m’appartient. On vous fait croire que vous êtes quelqu’un de moche. J’ai investi beaucoup de temps dans la politique, mais le parti ne m’a apporté que de mauvaises choses.”

« Je partage toujours les idées du PTB »

Plusieurs des anciens membres du parti disent continuer de partager la doctrine du parti.

Je partage toujours les idées du PTB, même si le fonctionnement interne me pose problème. J’espère que mon départ sera un déclic, nous indique Mustapha Al Masude, conseiller communal à Forest qui a quitté le parti en 2019 pour siéger comme indépendant. Je n’étais pas d’accord sur la façon de fonctionner. La direction du parti disait quoi faire et il fallait suivre. Je suis resté moins d’un an et je n’ai jamais dû contribuer financièrement, à part les jetons de présence qui devaient aller au parti.”

Les dirigeants du parti, ce sont des gens qui ont un doctorat, de grandes idées, ils connaissent bien la psychologie des gens. Certains des militants sont aveuglés”, ajoute Brahim Ziane, conseiller communal à Charleroi, qui a quitté le PTB en 2020 qui dénonce le manque de transparence sur l’emploi qui est fait des montants rétrocédés au parti, comme les jetons de présence.