Festival d’Angoulême annulé : impact sur auteurs et maisons d’édition ?
Le festival international de la bande dessinée d’Angoulême n’aura pas lieu en 2026, ce qui marque la première annulation depuis sa création en 1974. Les financeurs publics ont demandé à la société 9e Art + d’annuler cette édition, soulignant que son maintien était « plus que compliqué ».

Prologue et épilogue
Le festival international de la bande dessinée d’Angoulême, qui attire chaque année plus de 200.000 visiteurs, de nombreuses maisons d’édition et des centaines d’autrices et d’auteurs, n’aura pas lieu en 2026. Prévu du 29 janvier au 1er février, il connaîtra pour la première fois depuis sa création en 1974 une annulation non liée à la période Covid.
Cette annulation historique résulte d’une fronde menée par plusieurs autrices après le licenciement d’une salariée qui avait porté plainte en 2024 pour viol survenu lors de l’événement.
Par la suite, plusieurs collectifs d’auteurs ont appelé à un boycottage massif en signe de protestation. Les autrices dénoncent également la sous-représentation des femmes, l’opacité et la dérive commerciale de la société organisatrice 9e Art +, qui gère le festival depuis 2007.
Dans ce contexte, les maisons d’édition, grandes et petites, ont exprimé leur manque de confiance dans l’organisation. La 53e édition étant compromises, les éditeurs ont rejoint le mouvement des auteurs.
Fin novembre, les financeurs publics du festival, qui contribuent pour moitié à son budget d’environ six millions d’euros, ont demandé à la société 9e Art + d’annuler cet événement, arguant que le maintien de l’édition était « plus que compliqué ».
Des autrices et auteurs en colère
Les revendications concernant ce festival existent depuis plus de dix ans et n’ont pas été prises en compte.
Cette situation a des répercussions économiques considérables pour la région, mais aussi pour les auteurs et les éditeurs, puisque Angoulême devient, durant une fois par an, le centre mondial de la bande dessinée.
Mathilde Van Gheluwe, illustratrice et autrice belge ayant déjà participé au festival, considère l’annulation de l’événement comme un résultat malheureux d’années de méfiance envers la société organisatrice 9e Art + : « Cela fait plus de dix ans qu’on a des revendications vis-à-vis de ce festival et qu’elles ne sont pas entendues. En tout cas, au niveau des auteurs et des autrices, je crois qu’il y a énormément d’entre nous qui ne sommes pas tout à fait surpris de cette issue-là. »
Elle ajoute : « La première tribune a été lancée en avril, en disant, dans ces conditions-ci, nous prévenons déjà à l’avance qu’un boycott sera obligatoire. Ce n’est pas possible de continuer comme ça. Ces revendications n’ont pas du tout été écoutées. Cela fait plus de six mois qu’on essaye d’avoir cette discussion. Et ce à quoi on fait face, c’est un mur. On est évidemment très déçus, on est inquiet pour la ville d’Angoulême. »
C’est immense comme perte pour les auteurs et les autrices de ne pas pouvoir aller à cet événement.
Supprimer de l’agenda ce rendez-vous international, qui rassemble tous les acteurs du secteur, est un désastre pour les autrices et les auteurs.
« Le festival est important pour deux raisons. Il y a l’effet vitrine, mais il y a aussi l’effet rencontre. Même si c’est un festival qui ne nous rémunère pas, contrairement à beaucoup d’autres, c’est un endroit où on peut rencontrer énormément de personnes. Tout le monde y est rassemblé. On peut démarcher beaucoup de contrats. Donc oui, c’est immense comme perte pour les auteurs et les autrices de ne pas pouvoir aller à cet événement. Mais je pense qu’on est à une étape où faire table rase pour mieux recommencer devient quasiment inévitable« , confie Mathilde Van Gheluwe.
Moteur économique et visibilité internationale
Ce festival est le moment où l’on vend sa BD, et la BD en général.
Thierry Bellefroid, journaliste à la RTBF et présentateur de Galaxies BD, a assisté à ce festival international à de nombreuses reprises. Selon cet expert en littérature et bande dessinée, l’annulation de cet événement mondial aura inévitablement un impact significatif sur la visibilité des autrices et des auteurs.
« C’est très important de montrer son travail dans un festival comme celui-là, surtout pour des auteurs débutants. Il y a beaucoup de jeunes qui viennent passer les quatre jours du festival pour montrer leur bouquin. On les voit faire toutes les maisons d’édition les unes après les autres. C’est le moment pour eux de harponner chaque éditeur qu’il soit indépendant ou une grande maison, passer 20 minutes à défendre leur œuvre, afin d’espérer un contrat et donc être repéré. Ce festival est le moment où l’on vend sa BD, et la BD en général. On peut aisément comprendre comme pour tous les auteurs que cette annulation est une énorme perte, d’autant plus que le secteur n’est pas en grande forme.«
« Il y a forcément des coûts pour les maisons d’édition, quelles qu’elles soient, les petites comme les grandes. Des choses réglées à l’avance comme l’hôtellerie pour des centaines d’auteurs et invités, du matériel, différents services, etc. C’est une véritable perte sèche même si les maisons d’édition se font rarement des bénéfices tant elles investissent beaucoup d’argent. Mais l’addition, elle va être pour les éditeurs.«
Cette visibilité internationale n’a pas de prix.
Pour les auteurs comme pour les éditeurs, Thierry Bellefroid souligne que le rayonnement international du festival d’Angoulême dépasse de loin l’aspect financier : « Au-delà de l’aspect économique, ce festival est une énorme vitrine pour les éditeurs et les auteurs. C’est le moment de l’année où le secteur de la BD est véritablement médiatisé. Cette visibilité internationale n’a pas de prix. Concrètement, il faut être vu car le monde entier s’y côtoie. Par exemple en littérature, le salon de Francfort est le salon où se signe une grande partie des contrats de traduction mondiaux. Pour la bande dessinée, le festival d’Angoulême est comparable. C’est sous un chapiteau à l’abri des regards que se rencontrent des tas de gens pour signer des contrats de traduction très importants et de longues durées.«
Suite à cet événement majeur qui a secoué le monde de la bande dessinée, la société organisatrice 9e Art + a exprimé, dans un communiqué, son inquiétude concernant les conséquences humaines et économiques liées à l’absence de l’édition 2026 et à la tenue de l’édition 2027. Dans les mois à venir, un véritable bras de fer pourrait se dessiner entre l’organisation du festival d’Angoulême et les auteurs et éditeurs.

