Eurovision : 5 questions pour saisir les enjeux en coulisses
L’UER a établi de nouvelles règles concernant les votes du concours Eurovision, avec pour objectif de renforcer la neutralité en diminuant le nombre de votes par téléspectateur. L’Espagne a annoncé son retrait du concours, ce qui pourrait avoir un impact financier non négligeable, même si elle est le plus petit des gros contributeurs parmi les « big five » qui financent l’événement.

L’UER a établi de nouvelles règles pour l’Eurovision, pourquoi ?
Oranie Abbes : « Ce jeudi, les membres de l’UER ont tranché en faveur d’un changement de règles qui entourent les votes du concours. L’objectif est de renforcer la neutralité en diminuant le nombre de votes par téléspectateur. Puisque, selon l’UER, cela pourrait rééquilibrer la pertinence des votes. L’autre élément, c’est le retour des jurys professionnels lors des demi-finales. Cela vise également à ne plus laisser l’entièreté de la décision aux téléspectateurs. Mais on n’est pas persuadé que le fait de changer les procédures de vote va vraiment influer sur le résultat d’un pays. En l’occurrence, passer à dix votes par personne ne va pas changer la donne, en termes de proportion, le calcul est le même. »
Ce concours est-il apolitique ?
O.A : « On voit que ce n’est pas l’effet escompté puisque quatre pays se sont déjà retirés de la compétition. Et ce n’est peut-être pas tout. On attend encore notamment la position de l’Islande. Et, jusqu’à mi-décembre, d’autres pays pourraient encore décider de se retirer. En fait, ce concours n’est pas politique mais il est politisé parce que l’Europe est traversée par des tensions et des événements. Il est difficile de réellement dissocier les deux. Mais ce genre d’événements peuvent limiter l’impact en mettant un certain nombre de règles. Ces dernières années, les télédiffuseurs ont donné des consignes aux artistes notamment de ne pas s’exprimer sur certains sujets qui seraient trop politisés ou de prendre position sur un certain nombre de conflits ou d’événements politiques pendant l’année où ils sont censés représenter leur télédiffuseur. »
Peut-on réellement parler d’une compétition entre pays ?
O.A : « C’est avant tout un concours de télédiffuseurs publics puisque c’est le concours du réseau Eurovision. On parle donc d’une coopération technique d’échange de programmes télévisuels. A ce titre, les artistes choisis participent pour représenter le télédiffuseur et non pas le pays ou le gouvernement du pays.
C’est une distinction importante à faire même si les artistes sont présentés sous la bannière d’un pays. Ils représentent bien le télédiffuseur qui est censé montrer son excellence en mettant en avant son meilleur chanteur. Tous les pays essayent au mieux de soutenir leur candidat et, pour moi, ce n’est pas propre à Israël. On l’a vu en France, quand Barbara Pravi est arrivée deuxième à l’Eurovision, Emmanuel Macron a réagi en félicitant cette » victoire » puisque c’était un bon score pour la France.
Finalement, il y a une confusion puisque les politiques essayent de s’accaparer cet objet culturel de « soft power », qui permet une influence par la séduction. Lors de l’édition 2022 qui s’était tenue à Liverpool pour l’Ukraine, le président Zelensky avait demandé à prendre la parole et ça a été formellement refusé par l’UER. »
Pourquoi évincer la Russie et pas Israël ?
« L’opinion publique parle souvent de deux poids, deux mesures. Mais il y a une confusion. La difficulté, c’est que les deux situations ne reposent pas sur les mêmes fondements. La Russie a été évincée du concours non pas suite à l’invasion de l’Ukraine mais suite à la perte d’indépendance des télédiffuseurs russes. Les deux télédiffuseurs publics qui pouvaient participer ont été récupérés par le Kremlin et prenaient part à la propagande. C’est pour cette raison que l’UER a rompu le lien avec les Russes. Ce qui ne s’est pas produit avec le télédiffuseur israélien selon l’Union Européenne de Radiodiffusion qui considère que la KAN (le télédiffuseur israélien) n’a pas enfreint les règles de neutralité et peut donc continuer à participer. »
Le plus gros sponsor de l’Eurovision est Moroccanoil, une marque de cosmétique israélienne. Est-ce que cela influe sur la position de l’UER envers la participation du pays ?
O. A. : « On a du mal à imaginer qu’un si gros événement ne puisse pas retrouver un autre sponsor et soit donc pieds et poings liés à cette marque. Le partenariat aurait d’ailleurs pu se terminer à la fin de l’année dernière. Il a été renouvelé pour plusieurs années. J’ai du mal à imaginer qu’un tel contrat soit lié à des clauses spécifiques sur la participation ou non-participation d’Israël. Les choses sont distinctes. Et je pense que si ce n’était pas le cas, l’UER aurait préféré s’en séparer quand elle en a eu l’occasion.
Mais ce qui est sûr, c’est que la situation actuelle et le boycott vont avoir des répercussions financières. L’Espagne a donc annoncé son retrait. Mais ce pays fait partie des « big five » avec l’Allemagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni donc des pays les plus contributeurs, qui financent le plus l’événement. Même si l’Espagne est le plus petit des gros contributeurs, il y aura un impact financier non négligeable. Quelle sera la solution ? Ou la recherche d’un nouveau contributeur comme la Suède ou la venue du Canada qui pourrait soulager cette perte ? »
Les mois qui suivent nous le diront.

