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États-Unis : le maccarthysme de Trump « ne va pas beaucoup plus loin »

Depuis l’assassinat de Charlie Kirk aux États-Unis, l’administration Trump semble plus déterminée que jamais à faire taire toutes voix dissonantes. Le 30 octobre dernier, Donald Trump s’adressait aux hauts gradés de l’armée sur la base de Quantico, en Virginie, les appelant à combattre « l’ennemi de l’intérieur ».


Depuis l’assassinat de Charlie Kirk aux États-Unis, l’administration Trump semble plus déterminée que jamais à faire taire toutes voix dissonantes. Dans les heures et les jours qui ont suivi la mort par balle de l’influenceur d’extrême droite, le président américain et son vice-président, J.D. Vance, ont attaqué « la gauche radicale », désignant la mouvance Antifa comme « organisation terroriste ». Des personnes ayant critiqué en ligne Charlie Kirk après sa mort ont également été ciblées et ont perdu leur emploi. L’animateur Jimmy Kimmel sera, quant à lui, démis de l’antenne par sa chaîne ABC pour avoir critiqué le mouvement MAGA.

Assiste-t-on à un nouveau maccarthysme ? Pour établir un parallèle entre le trumpisme et le maccarthysme, un retour vers nos archives s’impose.

### 9 février 1950 : le discours de Joseph McCarthy « Enemies from within » (ennemis de l’intérieur)

En cette soirée d’hiver, le parti républicain a dépêché ses élus à travers le pays à l’occasion du Lincoln Day, célébration de la naissance d’Abraham Lincoln, premier président des États-Unis. À Wheeling, en Virginie-Occidentale, c’est Joseph McCarthy, un sénateur peu connu élu trois ans auparavant, qui prend la parole. Étant donné le peu d’intérêt que porte le public à l’événement, personne n’est là pour enregistrer ou filmer « Enemies from within », son discours. Une version écrite a cependant été distribuée aux journalistes locaux.

Ce passage marquera les esprits : « J’ai ici en main une liste de 205 personnes, une liste de noms qui ont été portés à la connaissance du secrétaire d’État comme étant membres du Parti communiste et qui, néanmoins, continuent de travailler et d’élaborer la politique au sein du département d’État. » Le lendemain, cette information provoque un véritable séisme dans la presse.

Depuis plusieurs années, une crainte grandit aux États-Unis : celle de voir des espions au service des Soviétiques infiltrer l’appareil d’État. Après la Seconde Guerre mondiale, les Soviétiques avancent dans la maîtrise de l’arme atomique, et la guerre froide commence. Le gouvernement américain réactive alors le HUAC, un comité né dans les années 1930, qui s’attaquera spécifiquement au secteur du cinéma.

### La chasse aux sorcières à Hollywood, dès 1947

En octobre 1947, dix hommes, réalisateurs, scénaristes et acteurs d’Hollywood, doivent témoigner de leurs activités politiques devant le comité à Los Angeles. La question reste la même : « Êtes-vous ou avez-vous jamais été un membre du Parti communiste ? » Refuser de répondre devient une question de principe pour ceux que l’on nommera « Les 10 d’Hollywood », qui invoqueront le cinquième amendement de la Constitution, permettant de ne pas témoigner d’une manière qui pourrait les incriminer. « La plupart de leurs carrières ont pris fin », racontera plus tard le réalisateur américain Martin Ritt. Certains d’entre eux seront même envoyés en prison pour haute trahison.

Le 25 novembre 1947, la Motion Picture Association, regroupant les cinq grands studios d’Hollywood, annonce qu’elle n’embauchera plus de communistes. Une liste noire est publiée, incluant le nom d’artistes à qui les studios refuseront tout emploi. Bien que ne figurant pas sur la liste, John Huston, le réalisateur du célèbre « Faucon Maltais », exprimera son indignation : « Le comportement des studios a été méprisable. »

À Hollywood dans les années 50, beaucoup se plieront rapidement à ce régime. Walt Disney, évoquant les communistes dans l’industrie, déclarera : « Je pense qu’il faudrait vraiment les débusquer et les dénoncer pour ce qu’ils sont. »

### Des grandes entreprises américaines « dans le sens du vent »

Pour Romuald Sciora, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques, il existe un parallèle évident entre cette période sombre et la conduite actuelle des grandes entreprises américaines, qu’elles soient de consommation ou liées au divertissement : « Hier encore, McDonald’s ou Nike, par exemple, nous vannçaient l’inclusivité lors de conférences. Ils sont aujourd’hui fiers de mettre en avant leur programme de non-inclusivité, parce qu’ils veulent aller dans le sens du vent. »

Concernant l’attitude des grands studios, chaînes de télévision ou plateformes de streaming, la situation se révèle peu reluisante. Sciora indique : « Au niveau des programmes, on a vu par exemple les transgenres disparaître de plusieurs séries Disney. On a vu des Afro-Américains, des Noirs disparaître de nombreux programmes. »

« Si vous regardez Netflix aux États-Unis aujourd’hui, vous verrez que les acteurs noirs sont de moins en moins présents. Idem dans la publicité. »

Dans le pays du profit, ces entreprises craignent simplement une rétorsion de l’administration qui pourrait, à terme, leur coûter de l’argent, comme l’explique Romuald Sciora, auteur du livre « L’Amérique éclatée. »

### L’obsession communiste : un comité d’enquête nourri par des accusations sans preuves

Quand le sénateur Joseph McCarthy prononce son célèbre discours à Wheeling, il n’est pas le premier à brandir une liste. Grâce à son discours, cependant, il voit son avenir politique s’éclaircir, acquérant une notoriété nationale instantanée. La crainte grandit en Amérique. Les Soviétiques viennent d’obtenir la bombe atomique, la Chine est tombée aux mains des maoïstes, et la Red Scare (Peur Rouge) s’intensifie parmi la population. Rapidement, une commission d’enquête se penche sur la fameuse liste de McCarthy. Selon elle, rien n’est fondé. Mais le sénateur persiste : l’appareil d’État abrite des espions communistes, et rien n’est fait pour y remédier.

En 1952, Joseph McCarthy est réélu triomphalement, ses accusations ayant largement contribué à sa victoire. Le parti républicain le nomme président du sous-comité sénatorial d’enquête permanent. La chasse aux communistes obtient désormais une institution permanente. La guerre froide est une obsession dans les relations intérieures et internationales des États-Unis.

Le 2 avril 1952, convoqué devant le comité des activités anti-américaines, Elia Kazan, une grande star d’Hollywood et metteur en scène d’ »Un tramway nommé Désir » et de « Viva Zapata », désigne plusieurs collègues et collabore avec le maccarthysme. Cela choque l’industrie cinématographique. Son attitude résonne avec les auditions du comité : dénonciations, accusations sans preuve.

### Après le cinéma, les autres pans de la société civile visés

Le maccarthysme a laissé une empreinte qui perdure encore aujourd’hui. « Dans les milieux académiques, médiatiques, cinématographiques, le fantôme du maccarthysme hante encore Hollywood », explique Romuald Sciora. « Les Américains se souviennent de ce moment comme sans doute l’un des plus honteux de leur histoire, en raison de leur attachement au premier amendement, qui garantit la liberté d’expression. »

Ce qui a commencé à Hollywood pour frapper fort traverse désormais la société américaine : des enseignants, des médecins, des scientifiques sont licenciés au début des années 50. Le maccarthysme est omniprésent dans le cinéma, les administrations publiques et la société civile. « Une tache noire sur l’appareil judiciaire américain », signale l’acteur Burt Lancaster, lui-même victime d’un appareil d’État qui a commencé à traquer les communistes.

En 1954, le sénateur McCarthy finit par s’en prendre à plus grand que lui : l’armée américaine, qu’il accuse d’être infiltrée d’agents au service des Soviétiques. Cela causera son discrédit et finalement sa chute.

### McCarthy n’avait pas le niveau de pouvoir de Trump

Il semble y avoir d’immenses similarités entre la situation actuelle aux États-Unis et la chasse aux sorcières de la guerre froide. « Il y a effectivement un relent de maccarthysme aujourd’hui », observe Romuald Sciora. « Mais les choses vont beaucoup plus loin », ajoute-t-il.

Nous assistons à une volonté de la part de l’actuelle administration américaine d’établir un régime semi-autoritaire à l’échelle du pays. Dans les années 50, le maccarthysme était « un mouvement essentiellement orchestré par un sénateur américain », ayant le soutien d’une partie des autorités, mais qui « était observé avec circonspection par le président des États-Unis de l’époque, le général Eisenhower. Joseph McCarthy n’avait pas carte blanche sur l’ensemble de son programme. Aujourd’hui, c’est très différent. »

Depuis son retour au pouvoir en janvier, Donald Trump s’attaque à la plupart des contre-pouvoirs. Romuald Sciora cite plusieurs exemples dans ce sens : la prérogative du Congrès reniée au profit de la Maison-Blanche, des aspects du judiciaire tombés sous le contrôle du président, des attaques contre les universités (qui se sont souvent pliées), des attaques contre les médias, les minorités et enfin le déploiement de la garde nationale « douteux sur le plan constitutionnel », souligne Mu Suriald Sciora. « De nombreux cas sont jugés par la Cour suprême dans le sens souhaité par l’administration de Donald Trump. »

### Maccarthysme – Trumpisme : un même discours de traque

Isabelle Saint-Paul, qui enseigne à l’ULB l’histoire et les institutions des États-Unis, met en lumière le contexte idéologique « beaucoup plus ciblé des années 50 ». McCarthy visait explicitement le communisme soviétique. « Il y a un cadre géopolitique clair : c’est la guerre froide. Aujourd’hui, la menace est redéfinie par le gouvernement autour de catégories domestiques parfois floues. »

L’administration Trump stigmatise les antifas, les progressistes, les woke, les activistes, les universitaires, parfois étrangers… « Tout se construit autour de peurs – celle de l’immigration, du radicalisme de gauche et de discours antisémites, par exemple », insiste Isabelle Saint-Paul. Ces anciens concepts sont toujours mêlés à un discours de traque et de dénonciation publique similaire à la période du maccarthysme. Le 30 octobre dernier, Donald Trump s’adressait aux hauts gradés de l’armée sur la base de Quantico, en Virginie, appelant à combattre « l’ennemi de l’intérieur ». Dans son discours décousu, le président évoquait les villes « gérées par les démocrates de la gauche radicale » et affirmait : « Nous devrions utiliser ces villes dangereuses comme terrain d’entraînement pour nos militaires ». Plus tôt dans la semaine, il avait déjà autorisé « l’usage de la force maximale » à Portland, où se tiennent depuis plusieurs mois des manifestations contre la police de l’immigration.

« À l’époque du maccarthysme, » souligne Romuald Sciora, « l’ennemi venait de l’extérieur, il pouvait avoir des agents à l’intérieur pour déstabiliser les États-Unis. Aujourd’hui, l’ennemi est purement intérieur », c’est-à-dire « tous ceux qui ne pensent pas comme Donald Trump ou J.D. Vance ».