Belgique

Enquête RTBF : cinq témoins accusent le directeur de l’ALENA.

Alain Beaufort, directeur du théâtre, a été invité dans l’émission radio de Vivacité Liège-Matin le 18 septembre dernier pour parler de ses prochains spectacles. En mars 2024, Manuela, 21 ans, engage une procédure judiciaire à l’encontre d’Alain Beaufort pour une tentative de viol survenue derrière le bar du théâtre.


Le directeur du théâtre, Alain Beaufort, a été invité sur les ondes de Vivacité Liège-Matin le 18 septembre dernier pour évoquer ses futurs spectacles. Rapidement, d’anciens employés ont pris contact avec nous : * »Je vous écris pour vous faire part de faits graves et préoccupants concernant les asbl Théâtre de l’Aléna et Centre Antoine Vitez, dirigées par Monsieur Alain Beaufort. En tant qu’ancienne employée de ces structures, j’ai été témoin – et parfois victime – de comportements inacceptables, tant sur le plan éthique que légal. »* Nous avons donc mené notre enquête.

Accusé d’une tentative de viol

Une jeune femme, rapportent nos témoins, aurait été victime de harcèlement sexuel de la part du directeur. Nous avons réussi à entrer en contact avec la victime : Manuela*, 21 ans, barmaid. En mars 2024, elle dépose plainte contre Alain Beaufort, affirmant qu’il a tenté de la violer, alors qu’elle se trouvait derrière le bar, pendant que d’autres employés étaient sur scène.

* »Tous mes collègues jouaient dans le spectacle et je restais toute seule. Alain Beaufort est venu derrière le bar et il a essayé d’ouvrir ma chemise. Je ne voulais pas. Il a essayé de m’embrasser un peu partout. J’ai commencé à pleurer. Il m’a dit, c’est un truc que j’aime bien, que tu pleures comme ça. Ensuite, il a essayé de me toucher encore et encore. Quand j’ai refusé, il m’a dit ‘on va faire l’amour là maintenant’. Et il a essayé de me violer. »*

Un jour, Damien*, un collègue, aurait surpris le directeur en train de coincer Manuela contre son bureau : * »Il la soulevait par derrière et lui touchait le ventre. »* À d’autres occasions, * »il l’emmenait dans la salle des costumes, alors que ce n’était pas son poste. Il lui demandait des massages, des photos »*, des photos où elle serait nue, selon Manuela.

Malgré ses refus répétés, les messages que nous avons pu consulter confirment les avances d’Alain Beaufort.

Aujourd’hui, Manuela a quitté la Belgique après avoir tenté de se suicider. * »Je continue mes études, mais je n’arrive plus à faire confiance à personne. […] J’ai peur de rester avec un homme toute seule. Et j’ai peur aussi qu’il [Alain Beaufort] fasse la même chose avec les filles qui sont dans le théâtre. »*

Suite à sa plainte, l’Auditorat du Travail a commencé à s’intéresser à l’affaire, qui est désormais entre les mains du Parquet : * »Nous avons en effet un dossier ouvert à l’information provenant de l’Auditorat du Travail »,* confirme la porte-parole.

En 2010 un attentat à la pudeur sur mineure

En 2010, Alain Beaufort avait été condamné à un an de prison pour attentat à la pudeur avec violence et menaces sur une mineure, une des élèves du Centre Antoine Vitez. Ce centre est une école de théâtre liée à l’Alena, qui emploie en partie les mêmes personnes.

Il avait * »prétendu avoir mal au dos »,* rapporte l’agence Belga, et * »invité la jeune fille à le rejoindre en sous-vêtements dans son lit. […] il l’avait massée en dessous des sous-vêtements et avait tenté de l’embrasser. Il avait ensuite frotté son sexe sur son corps. La jeune fille avait signifié son refus et avait porté plainte pour attentat à la pudeur et tentative de viol. »*

Un point commun marquant entre les deux affaires est la présence d’une femme très jeune et en situation de dépendance vis-à-vis du directeur de théâtre.

Kim, une ancienne employée, se souvient qu’après la confirmation de sa condamnation en appel, * »il venait jouer avec un bracelet électronique. »* D’autres anciens ont corroboré ses dires. Bien que cela ne soit pas illégal, cela montre que la condamnation n’a pas empêché le directeur de poursuivre ses activités au théâtre.

Kim rapporte des * »chatouilles »* d’Alain Beaufort envers des adolescentes. * »Il jouait beaucoup avec les filles qui avaient 14, 15, 16 ans et qui commençaient à avoir des formes. »*

Massages, pelotages, attouchements, allusions sexuelles

Dans les bureaux du théâtre, * »il y a des caresses non désirées, »* dénonce Béatrice*. * »Dans le dos ou dans le bas du dos. Des massages demandés ou procurés sans l’accord des personnes. »*

– Vous avez dû lui masser le dos ?
– * »Oui. Il a demandé des massages à plein d’autres personnes. Et certaines l’ont fait contre leur gré. Il y a un rapport de force. C’est le patron. On ne sait pas quoi dire. On est acculé. »*

Le harcèlement ne touche pas que les femmes. Damien raconte des attouchements répétés : * »Le dos, le torse, les tétons. Il me tirait la queue-de-cheval. Il me passait sa main sur la cuisse au niveau… pas de l’entrejambe, mais pas très loin non plus. Des allusions sexuelles quasi quotidiennes. J’ai un tatouage dans le dos et il disait : ‘c’est là où je mettrai mon verre de whisky quand…' »*

Damien confie avoir été * »détruit »* par cette situation. Il suit une thérapie avec un psychologue.

Ciblés les uns après les autres, idées de suicide

À l’exception d’une personne qui a mis fin à notre contact téléphonique en évoquant des * »relations de travail normalement dures, »* tous nos témoins décrivent un directeur harceleur et manipulateur, dans un environnement de travail toxique.

Dimitri* ne comptait plus ses heures, ni ses heures de repos. Il a connu l’épuisement : * »Ça m’est arrivé, le matin quand je me levais, de pleurer avant de partir. Je n’attendais qu’une chose, c’était de me planter en voiture sur le trajet pour pouvoir arrêter et souffler. »* Une amie l’a alerté : * »Ça, c’est le signe d’un burn-out ! »* À la fin de son contrat, il décide de tout arrêter.

Après son départ, son mot de passe est resté sur un ordinateur. Quelqu’un s’en est rendu compte. Son compte Messenger a été espionné, et ses messages privés copiés, témoigne Dimitri dans sa plainte.

Les scénarios se reproduisent. Lors de leur départ ou au moment où le burn-out se manifeste, des employés sont accusés d’absentéisme ou de vol. Des messages ou courriels menaçants leur interdisent de revenir au théâtre, rapportent plusieurs témoins dont les récits convergent encore une fois.

Une enquête pénale, mais tout est faux, assure Alain Beaufort

L’Auditorat du Travail est intervenu en mars 2024, avant de transmettre l’affaire au Parquet. Ce dernier a été alerté très rapidement après la plainte de Manuela. À ce stade, il est essentiel de rappeler qu’Alain Beaufort est toujours présumé innocent.

Alain Beaufort a déclaré au début de l’interview ne * »rien savoir »* concernant d’éventuelles procédures pénales. Enfin, après quelques minutes, il a reconnu avoir été entendu par un enquêteur qui lui aurait * »présenté des excuses »* tant l’affaire lui semblait * »pathétique, »* selon ses propres mots. Il espère être * »blanchi » : « la justice fera son boulot, et puis après, à moi de contre-attaquer. »*

* »Il n’y a pas eu de tentative de viol, »* s’emporte Alain Beaufort, laissant entendre que la jeune femme * »voulait un mariage blanc »* avec lui, ce qu’il a refusé. Selon lui, cette dernière ne pourrait pas l’accuser car * »ce ne sont pas les mêmes horaires. »* Cette dernière affirmation semble s’apparenter à sa défense lors de son procès de 2010 pour attentat à la pudeur.

Concernant les accusations de harcèlement moral et sexuel, Alain Beaufort nous invite à interroger tous les employés du théâtre : * »Ils vous diront comme je suis méchant. »* Lorsqu’un homme s’apprête à sortir, Alain Beaufort ferme rapidement la porte en commentant * »il n’aura rien à vous dire. »* Il affirme que c’est * »normal, »* qu’après tant d’années, certains puissent être mécontents, car il a dû congédier des employés. * »Certains vendaient de la drogue, »* dit-il. D’autres * »ne faisaient pas leur travail, »* et d’autres encore * »n’avaient pas de talent. »*

Une heure et demie après notre départ, il publie un statut Facebook.

Il est important de noter que ce statut semble réduire Manuela à une * »chose »* et illustre comment ceux qui se sentent harcelés sont eux aussi objectifiés.

*Certains prénoms ont été modifiés. La RTBF a recueilli plus de témoignages que ceux présentés dans cet article. Ces témoignages corroborent les accusations. Plusieurs personnes contactées ont choisi de ne pas s’exprimer ici, de peur de représailles ou parce qu’elles ne souhaitent plus entendre parler du théâtre de l’Aléna.*