En cas d’attaque armée, l’Otan ne répondra pas immédiatement ?
Début décembre, les autorités russes accusaient l’Europe d’être un obstacle à la conclusion d’un accord de paix entre l’Ukraine et la Russie. Depuis sa création, l’article 5 n’a été invoqué qu’une seule fois, à la suite des attentats du 11 septembre 2001 sur le World Trade Center à New York.
Début décembre, les autorités russes accusaient l’Europe de bloquer la conclusion d’un accord de paix entre l’Ukraine et la Russie, déclarant être prêtes à faire la guerre si l’Europe le souhaitait. En revanche, en Europe, il est estimé que si une guerre doit avoir lieu, elle serait plutôt hybride et numérique. Toutefois, différents scénarios sont envisagés, notamment une attaque russe dans les pays baltes. « En considérant que les Russes pourraient se rapprocher encore davantage des États-Unis et comprendre que ceux-ci se désintéressent totalement de la sécurité européenne, le scénario d’une attaque russe sur un pays balte à moyen terme est crédible, surtout parce qu’ils s’en sont pris à tous les pays voisins avec des minorités russophones, et qu’il y a des russophones dans les pays baltes », affirmait ce mercredi dans « QR le débat » Federico Santopinto, directeur du programme Europe à l’IRIS, l’Institut de relations internationales et stratégiques. « Je ne dis pas que cela va se produire, mais cela mérite d’être considéré », a-t-il conclu.
Les pays baltes se composent de la Lettonie, de l’Estonie et de la Lituanie… Trois nations membres de l’OTAN. En cas d’attaque contre l’un de ses membres, l’OTAN n’a-t-elle pas l’obligation de réagir ? Peut-on garantir une réponse immédiate ?
**Non, nous ne sommes pas assurés d’une réponse immédiate de l’OTAN**.
Alain De Nève, expert au Centre d’études de sécurité et de défense (CESD), répond sans détour : « Non, nous ne sommes pas assurés d’une réponse immédiate de l’OTAN ». Il explique cela pour deux raisons : d’abord, l’activation de ce mécanisme n’est pas automatique, et ensuite, chaque État membre de l’OTAN décide individuellement de la meilleure réponse pour son pays, tout en nécessitant l’approbation de l’ensemble des États membres.
Afin d’éviter que l’Union soviétique n’étende son contrôle sur d’autres parties de l’Europe, les douze États membres fondateurs de l’OTAN ont prévu lors de sa création en 1949 qu’une réponse serait apportée en cas d’attaque contre un ou plusieurs de ses membres en Europe et en Amérique du Nord.
Ainsi, l’article 5 du Traité de Washington, qui fonde l’OTAN, stipule que : « Les Parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles, survenant en Europe ou en Amérique du Nord, sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les Parties, et en conséquence, elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la Partie ou les Parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres Parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord. Toute attaque armée de ce genre et toutes les mesures prises en conséquence seront immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité. Ces mesures prendront fin dès que le Conseil de sécurité aura pris les mesures nécessaires pour rétablir et maintenir la paix et la sécurité internationales. »
**Il n’y a pas une personne morale, désignée OTAN, qui déciderait pour l’ensemble de ses membres individuels.**
Alain De Nève précise : « Il n’y a pas une personne morale, désignée OTAN, qui déciderait pour l’ensemble de ses membres individuels ». « L’article 5 n’est pas automatique, il nécessite une rencontre de haut niveau pour décider de son activation. » Depuis sa création, l’article 5 n’a été invoqué qu’une seule fois, suite aux attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center à New York. Suite à ces événements, l’armée américaine a envahi l’Afghanistan pour y mener l’opération « Enduring Freedom ». Une large majorité de pays européens a suivi… à l’exception de Chypre et de Malte, des exceptions qui ne sont pas extraordinaires. « Dans les faits, il est clair qu’une agression armée contre un membre de l’OTAN sera dénoncée comme telle par l’ensemble des États de l’Alliance », affirme Alain De Nève. Cependant, « même si l’article 5 était officiellement déclenché, chaque membre a une obligation d’assistance », explique-t-il. Cette assistance peut se traduire de différentes manières, tant que l’ensemble des États membres approuve ce qu’un État a proposé pour lui-même. « Cela signifie que cette assistance ne passe pas par un paquet d’actions prédéfini, mais par telle ou telle action jugée appropriée pour assister les membres agressés au sein de l’OTAN », ajoute l’expert. « Quand le texte dit ‘y compris l’emploi de la force armée’, cela ne représente qu’une option parmi d’autres, telles que l’assistance économique, l’assistance médicale spécialisée ou la fourniture de capacités de renseignement ».
**Le soutien des États-Unis remis en cause.**
En juin 2025, le président américain Donald Trump a néanmoins refusé d’engager les États-Unis à respecter cet article, pierre angulaire de l’OTAN. « Je crois que les Américains ne prendront aucun risque pour aider les Européens. Ils considèrent que le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, est un perdant et que les Européens sont des indécis », réagissait la docteure en sciences politiques à l’ULiège et spécialiste de la Russie, Nina Bachkatov, dans « QR le débat ». « Donald Trump ne choisira pas la Russie, il choisira ce qui est le mieux pour son pays. » « Ce serait une folie de compter sur les Américains, même s’ils pourraient intervenir de manière marginale », ajoute Federico Santopinto. « Il est crucial de comprendre que durant la Guerre froide, Européens et Américains avaient la même perception de la menace, car l’Union soviétique représentait un danger systémique pour les Américains, tandis qu’aujourd’hui, la Russie n’est plus une menace pour les États-Unis, mais l’est toujours pour les Européens. C’est donc à nous de nous défendre, et nous devons construire cette défense européenne. »
« S’il y a peu ou pas d’appui américain, la situation sera particulièrement complexe pour les Européens », confirme Alain De Nève. Toutefois, « la question reste de savoir quelle est la crédibilité de ce scénario ? », interroge-t-il. Dans une telle situation, à long terme, « les autres alliés des États-Unis, comme le Japon, Taïwan, la Corée du Sud ou l’Australie, pourraient commencer à voir les États-Unis comme un allié peu fiable. Cela pourrait inciter la Chine à entreprendre des actions plus tôt que prévu sur Taïwan. Si les États-Unis se retirent de leur engagement à soutenir la solidarité atlantique lors d’une agression envers un allié de l’OTAN, cela pourrait causer l’effondrement de cet équilibre précaire. »
**L’observation de la Russie.**
Quelle que soit la position adoptée par les États-Unis, « comme nous le voyons, le dispositif d’assistance mutuelle tel qu’établi dans le traité de Washington présente certaines vulnérabilités », souligne Alain De Nève. « C’est parce que la Russie en est consciente qu’elle pourrait entreprendre des actions qu’elle espérerait en dessous du seuil de déclenchement belligène », par exemple, en testant la solidarité de l’Alliance « sur des points ou axes que tous les membres de l’OTAN n’estiment pas de la même manière », ou en « impactant des capacités de l’OTAN sans nécessairement recourir à l’occupation territoriale (attaque sur des satellites par exemple) », ou en réalisant « une percée russe ou biélorusse dans le couloir de Suwalki, qui sépare la Biélorussie de Kaliningrad. Cela ne prendrait qu’un après-midi, provoquerait un état de sidération parmi les membres de l’OTAN et isolerait géographiquement les pays baltes du reste du territoire de l’OTAN », envisage Alain De Nève.

