Belgique

En Belgique, évasion de prison n’est pas illégale, le gouvernement modifie la loi.

En Belgique, pour 10.000 détenus, seuls 7,7 tentent de se soustraire à la justice. Le projet de réforme prévoit que toute évasion, même non violente, soit passible d’une peine de prison allant de six mois à trois ans, avec une entrée en vigueur prévue pour le 1er mai 2026.


En Belgique, il est estimé que pour 10 000 détenus, seulement 7,7 tentent de s’échapper pour échapper à la justice. Actuellement, en vertu de la législation applicable (Code pénal, articles 332 à 337), un détenu ne peut être poursuivi que s’il commet une infraction durant sa fuite, comme user de violence, menacer un gardien, forcer une porte ou détruire du matériel. Offrir de l’aide à un détenu pour s’évader est également soumis à des sanctions pénales. En revanche, s’évader seul, sans causer de dégâts ni utiliser de violence, n’est pas considéré comme un délit.

Cette vision remonte au Code pénal belge de 1867, qui a été influencé par des penseurs tels que Cesare Beccaria, plaidant pour une justice plus réformatrice que punitive. Les autorités belges ont ainsi décidé de ne pas criminaliser l’évasion, la considérant comme un acte exprimant un désir de liberté.

Avec la réforme proposée par Annelies Verlinden, la Belgique s’apprête à s’aligner sur la majorité des pays européens où l’évasion est un délit. En France, par exemple, depuis 2004, une évasion de prison peut entraîner trois ans supplémentaires d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. « Il n’est pas normal que quelqu’un puisse s’évader de prison en toute impunité », justifie la ministre, soulignant que cette réforme est du bon sens.

Le texte, qui a été approuvé en commission de la Justice et devrait être voté à la Chambre d’ici la fin de l’année, prévoit que toute évasion, même non violente, serait punie d’une peine de prison allant de six mois à trois ans. Il inclut aussi des dispositions sur le sabotage d’appareils de surveillance électronique, comme les bracelets électroniques, dont la destruction ou la neutralisation serait sanctionnée comme une évasion classique.

Cette réforme ne se limite pas à l’évasion. Elle fait partie d’un ensemble plus large de mesures liées à la sécurité en prison. Le projet introduit un cadre légal pour les tests de dépistage de drogues en détention, autorisant des contrôles ciblés ou aléatoires par prélèvement de salive ou d’urine. Un refus de se soumettre à un test serait considéré comme un résultat positif. De plus, d’autres articles visent à renforcer la protection des victimes de violences intrafamiliales : le port du bracelet électronique par un auteur d’infraction ne pourra plus, sauf exception justifiée, être exigé à proximité du domicile de la victime.

L’entrée en vigueur de ces mesures est prévue pour le 1er mai 2026, dans le cadre d’une réforme plus générale du Code pénal adoptée en avril 2024. Cette réforme vise à moderniser la justice pénale belge et à l’aligner sur les standards européens. Cependant, le projet suscite des critiques. Pour l’Observatoire international des prisons (OIP), cette réforme est considérée comme “l’hérésie”. « D’une part, cela n’a pas lieu d’être dans un système où l’on sur-enferme déjà les personnes dans des prisons. D’autre part, l’évasion carcérale en Belgique est minime. On parle de moins de dix cas pour 10 000 détenus. Nous avons des personnes qui réfléchissent à faire une loi qui touchera une population tellement infime qu’elle sera à peine perceptible », déclare un membre de l’OIP.

D’autres intervenants du domaine judiciaire partagent ces préoccupations. Marie Blairon, membre du QUID, le service d’aide juridique des étudiants de l’Université libre de Bruxelles, plaide pour une réflexion entre l’approche légale et l’approche humaniste. « D’un côté, la loi va être très intéressante car cela ajoutera des mois à une peine. Mais d’un autre côté, en tenant compte des conditions de détention, c’est complètement infaisable. Nous avons des détenus sous-alimentés, vivant dans des conditions déplorables. »

Les critiques ne proviennent pas seulement du milieu académique. Les partis d’opposition, tels que le PTB, Ecolo-Groen, et Open VLD, critiquent une mesure considérée comme « symbolique », sans effet dissuasif réel. Selon eux, la majorité des évadés commettent déjà d’autres infractions, ce qui les expose de toute façon à des poursuites. Les experts en criminologie estiment que le pays devrait plutôt se concentrer sur la prévention de la récidive, la réinsertion, et l’amélioration des conditions de détention que sur des sanctions additionnelles. Le personnel pénitentiaire, souvent en sous-effectif, demande depuis des années de meilleures conditions de travail face à une population carcérale en constante augmentation.

Pour certains, il faudrait privilégier les peines alternatives. « La peine de prison doit être considérée comme le dernier recours possible », insiste Marie Blairon. « Nous avons des possibilités de traiter les infractions en dehors des établissements pénitentiaires, selon le danger qu’elles représentent pour la société. Dans les faits, ces outils ne sont pas encore pleinement utilisés. »

Les partisans de la réforme, quant à eux, défendent une vision différente. À leurs yeux, l’évasion, même sans violence, nuit au fonctionnement de la justice et à l’autorité de l’État. La mesure serait avant tout un signal politique, visant à réaffirmer le respect des décisions judiciaires et à renforcer la cohérence du droit pénal belge. Le gouvernement espère qu’elle contribuera à restaurer la confiance des citoyens dans le système judiciaire.

Cependant, pour l’OIP, le débat révèle principalement les carences profondes du système carcéral belge. « Le gouvernement et la Justice devraient davantage se préoccuper de la surpopulation et des conditions d’incarcération plutôt que de créer de nouveaux délits. Cela touche à une liberté fondamentale, inscrite dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. »

Si cette réforme est adoptée, la Belgique marquera la fin d’une longue tradition juridique. Le pays, qui a longtemps défendu l’idée que la liberté est une aspiration légitime même derrière les barreaux, rejoindra la quasi-totalité de ses voisins européens, où l’évasion est un acte pénal. Reste à voir si ce changement aura un impact réel sur le comportement des détenus, ou s’il ne représentera qu’une évolution symbolique dans un système carcéral que beaucoup estiment déjà à bout de souffle.