Belgique

Du temps en plus pour les patients, des honoraires revus, des collaborateurs supplémentaires… Vers un New Deal pour les médecins généralistes

1. Le contexte : des généralistes surchargés

”J’ai reçu de nombreux signaux d’inquiétude de la part de médecins généralistes”, confessait le ministre fédéral de la Santé, Frank Vandenbroucke (Vooruit), le 17 juin 2022, dans un communiqué. “Les généralistes sont trop peu nombreux pour assumer de trop nombreuses tâches”, résumait-il.

La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 a été un amplificateur des maux des généralistes, mais les signaux d’alerte étaient déjà là avant : augmentation de la charge de travail due principalement au vieillissement de la population et, corollaire, à l’augmentation du nombre de malades chroniques ; trop de charges administratives ; pas assez de soutien ; pas assez de nouveaux médecins ; etc.

L’approche de la médecine par les praticiens évolue aussi. Les jeunes sont davantage attentifs à l’équilibre entre leurs vies privée et professionnelle et ne sont plus prêts à prester autant d’heures que les générations précédentes. En plus, la population des généralistes vieillit et une vague de départs à la retraite se prépare. L’un dans l’autre, cela signifie “que pour remplacer un généraliste âgé, il faut aujourd’hui environ un nouveau généraliste et demi”, selon le ministre.

2. L’enjeu : les conditions de travail

”L’enjeu va bien au-delà d’une augmentation du nombre de généralistes, soulignait cependant M. Vandenbroucke. C’est aussi et surtout une question de bonne répartition des tâches, d’organisation de la pratique, de coopération, de digitalisation, de nouvelles formes de soins et de modèles de financement.”

En d’autres termes, il s’agit de savoir “comment assurer de meilleures conditions de travail, tout en continuant à garantir des soins de qualité et accessibles et abordables pour [les] patients ?”, résumait l’Inami (l’assurance maladie), mardi dernier (7 mars), dans un communiqué.

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Un nouveau changement de paradigme est nécessaire, un New Deal pour le médecin généraliste du 21e siècle.

Des progrès ont déjà été réalisés ces dernières années : les groupements de généralistes (dans des maisons médicales, par exemple) ; la délégation de certaines tâches à des collaborateurs ; la réduction des formalités administratives ; l’utilisation des outils numériques tels que les téléconsultations ; etc.

Mais tout cela reste insuffisant. “Un nouveau changement de paradigme est nécessaire”, selon Frank Vandenbroucke. Raison pour laquelle il lançait le 17 juin dernier une vaste réflexion devant aboutir à “un New Deal pour le médecin généraliste du 21e siècle”.

Nous avons besoin d’un New Deal […] qui ne se limite pas à la question de savoir comment nous pouvons mieux soutenir les médecins généralistes, […] mais qui examine aussi comment leur modèle de financement peut mieux prendre en compte la disponibilité, la collaboration, la continuité des soins, la prévention et l’autonomisation.”

Vice-prime minister and Public Health and Social Affairs minister Frank Vandenbroucke pictured during a plenary session of the Chamber at the Federal Parliament in Brussels on Thursday 09 February 2023. BELGA PHOTO JAMES ARTHUR GEKIERE
Frank Vandenbroucke (Vooruit), ministre fédéral de la Santé publique.

Un groupe de réflexion a été mis en place, associant syndicats de médecins, mutualités, experts, administration, mais aussi jeunes médecins et médecins en formation. Des enquêtes de terrain ont été réalisées. Et in fine le rapport final du groupe de réflexion “vers un New Deal pour le (cabinet de) médecin généraliste” a été publié mardi passé.

3. La proposition : un nouveau modèle de financement

Le groupe de réflexion formule une proposition phare : un nouveau modèle de financement pour la médecine générale.

Dans le système actuel, 77 % des revenus des généralistes proviennent de la facturation des consultations et des visites, et environ 17 % de la gestion du dossier médical global des patients (DMG) par le biais d’un forfait annuel qui leur est versé. Le solde vient de primes diverses.

Le groupe de réflexion propose d’augmenter la part forfaire (dite financement par capitation) et de réduire la part variable liée au nombre de prestations (financement à l’acte). Par un jeu de vases communicants entre les deux parts, la neutralité budgétaire doit être assurée. Le but, c’est que le financement par capitation et le financement à l’acte représentent chacun 40 à 45 % des revenus du médecin.

Le financement par capitation serait ainsi réformé pour mieux tenir compte des tâches de suivi des patients inscrits dans une relation thérapeutique fixe avec un généraliste (via le dossier médical global). Ces tâches de suivi – telles que les avis médicaux courts, les programmes de prévention ou le suivi des dossiers médicaux – sont aujourd’hui peu valorisées financièrement.

Concrètement, le groupe de réflexion propose d’évoluer vers “un financement par capitation pondérée en fonction de la lourdeur des soins”. Le montant du forfait perçu par dossier médical global serait modulé “en fonction de l’âge du patient et du statut Intervention Majorée (statut BIM, NdlR)”. “On pourrait travailler avec 3 ou 4 catégories d’âge”, qui restent à définir.

Le coût du dossier médical global augmenterait pour les patients, mais le montant des honoraires à la prestation serait réduit.

Le coût du dossier médical global augmenterait pour les patients qui s’inscrivent dans une relation thérapeutique fixe avec un médecin. Mais, en contrepartie, le montant des honoraires à la prestation (consultations et visites) serait réduit. Un document serait signé pour formaliser cette relation thérapeutique.

Les montants des honoraires à charge des patients sans relation thérapeutique fixe resteraient les mêmes qu’aujourd’hui.

Enfin, le système de primes dont jouissent les médecins ou groupements de médecins serait étendu et pèserait 10 à 20 % de leurs revenus. Il est déjà prévu des primes pour couvrir une partie des coûts de fonctionnement des cabinets médicaux, en ce compris pour l’engagement de personnel (secrétaires, assistants…). Mais on développerait le système, essentiellement pour le recours à des infirmières qui déchargeraient les médecins d’une partie de leurs tâches. Les pouvoirs publics devront, pour ce faire, injecter des moyens budgétaires supplémentaires.

4. Les effets : une meilleure qualité et accessibilité des soins

Les généralistes qui décident de s’engager dans la voie du financement New Deal – ce qui se fera sur base volontaire ! – devront respecter certaines obligations favorables aux patients. Les heures d’ouverture des cabinets seront élargies (alignées sur les heures de la garde), l’accessibilité téléphonique sera garantie, et une prise en charge assurée dans des délais raisonnables.

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Les généralistes sont bien souvent débordés. ©fotolia

Si les médecins bénéficient de davantage de collaborateurs, tels que des infirmières ou des assistants à la pratique, cela implique que les patients, en particulier les malades chroniques, seront de temps en temps pris en charge par ces derniers (en fonction de l’acte à poser) et verront moins leur généraliste.

Par contre, le médecin aura plus de temps à consacrer à chaque patient qu’il voit, ce qui aidera à l’amélioration de la qualité des soins prodigués. L’augmentation du financement forfaitaire (par capitation) poursuit le même but puisque le médecin ne sera plus obligé de multiplier les consultations pour atteindre un certain niveau de rémunération.

Au global, à nouveau grâce à l’appui des collaborateurs, davantage de patients pourront être pris en charge, ce qui améliorera l’accessibilité des soins.

5. Les défis : mise en œuvre, formation, abus

La suite des opérations, qui va prendre plusieurs mois, c’est la mise en œuvre du modèle de financement New Deal (atterrissage sans doute en 2024) et l’évaluation de toutes ses conséquences. Par exemple, selon le groupe de réflexion, “une augmentation du financement à la capitation et une baisse du financement à l’acte conduiront à des risques pour les médecins généralistes débutants ou médecins remplaçants” puisque ces derniers n’ont pas – ou pas encore – une patientèle fixe avec laquelle une relation thérapeutique est établie.

Les autorités devront par ailleurs veiller au recrutement et à la formation des infirmières et assistants à la pratique. Or le métier d’infirmier est en pénurie.

Enfin, un risque d’abus a été identifié, appelé cherry picking ou picorage. Il consisterait pour le médecin à nouer une relation thérapeutique avec les patients qui requièrent peu de suivi, mais pas avec les cas les plus lourds. Ces derniers, qui ont besoin de consulter plus souvent leur généraliste, ne bénéficieraient dès lors pas des honoraires réduits prévus par la relation thérapeutique fixe.