Des avions de chasse à l’alambic, il n’y a qu’un pas
Si un artisan peut se définir par une personne qui extrait des éléments de la nature pour les embellir, les rendre meilleurs, les rendre plus utiles… Alexandre Chapelle, lui, se consacre à purifier ces ingrédients en les distillant en l’alcool. Pour le troisième volet de notre série « les artisans qui font la Belgique », nous sommes allés à sa rencontre.
- Publié le 26-12-2024 à 14h09
La période du covid n’a pas eu que des points négatifs. Certains y ont vu l’occasion de développer une vocation, une passion et de saisir une opportunité qui n’aurait pas été possible sans cette période de mise à l’arrêt. C’est le cas d’Alexandre Chapelle qui, il y a quatre ans, a décidé d’assouvir sa fibre entrepreneuriale en ouvrant sa propre distillerie artisanale à Laneffe (Walcourt), au sud de la province de Namur.
Pour La Libre, il ouvre les portes de sa vieille bâtisse en pierre de taille, rachetée au menuisier du village. Comme quoi, cette maison avait vocation à servir l’artisanat local. Toujours en cours de transformation, il a fait de cet atelier où l’on travaillait le bois, un lieu où l’on purifie et l’on accélère les opérations de la nature pour les sublimer. Cette volonté de parfaire la matière et d’en tirer un produit fini porte un nom : l’alchimie. Pour Alexandre Chapelle, le nom de son projet était tout trouvé : « L’alchimie distillerie« .
De l’industrie à l’artisanat
C’est dans sa pièce de dégustation qu’il nous reçoit. Tonneaux en chêne en guise de table, petit bar en bois dans le fond de la pièce et, sur une étagère, un avant-goût des derniers gins qu’il a confectionnés. Le tout forme un lieu chaleureux et réconfortant où il est bon de s’arrêter en cette période hivernale.
Ingénieur industriel de formation, Alexandre Chapelle est un sous-traitant de l’armée belge, chargé de superviser la maintenance des avions de chasse. Autant dire que dans son milieu professionnel, il se situe aux antipodes de l’artisanat. Il avoue : « Ça me manquait, justement, ce côté ‘environnement extérieur’ et j’ai toujours voulu voler de mes propres ailes. L’idée avec ce projet lancé en 2020, c’était de tout faire moi-même.«
Sur le chemin qui mène à sa salle de production, on observe l’ampleur des travaux qu’il a entrepris de ses propres mains et à côté de ses heures de bureau. « C’était vraiment calamiteux ici, on a du tout retaper : l’eau, l’isolation, l’électricité… » Jusqu’à permettre l’arrivée d’un majestueux alambic d’environ quatre mètres de haut, en cuivre blinquant, qu’il a lui même assemblé. « On le reçoit comme un meuble Ikea en kit« , explique-t-il en rigolant.
Tout de A à Z
Cette volonté de tout réaliser lui-même, il la conserve également dans l’élaboration de ses gins tout en privilégiant le circuit court et l’écoresponsabilité. « Je vais chercher moi-même les arômes dans la nature. J’ai par exemple un gin à base de fleurs de sureau, de feuilles de cassis, d’un peu de rhubarbe et de deux, trois autres choses que je ne dévoilerai pas, mais qui sont tous des produits cueillis moi-même dans les bois environnants. » Le seul ingrédient essentiel à la confection du gin qu’il ne peut pas trouver en Belgique est la baie de genévrier qu’il déniche chez un petit herboriste français.
Alexandre Chapelle tient particulièrement à ne pas ajouter de produits exotiques dans ses préparations. « Je ne travaille pas avec les agrumes par exemple, alors que cela se fait de manière récurrente dans les gins, car il est indispensable de les faire importer d’Amérique du Sud. » Il tient ce désir de travailler avec les produits locaux d’une activité précédente où, il réalisait pour sa propre consommation, des vins de fruits.
Mais alors pourquoi le gin ? Alexandre Chapelle l’explique par un goût de trop peu par rapport à ce qu’il pouvait déguster dans les restaurants du coin. « On voit toujours les mêmes choses sur les cartes : du Cointreau, du Grand Marnier, de l’Amaretto… » Il voulait donc apporter sa petite touche personnelle avec un produit qu’il affectionne particulièrement. Il explique aussi que l’avantage du gin est qu’il ne nécessite pas de fermentation en période de récolte des fruits. Il peut aussi bien être fabriqué en été qu’en hiver.
Un processus alambiqué
Même si, selon lui, le gin est un alcool « inratable« , il nécessite une bonne maîtrise du processus. D’autant plus qu’Alexandre Chapelle démarre sa production par un alcool neutre qu’il distille lui-même. « Il était hors de question pour moi d’acheter un alcool industriel« , insiste-t-il.
Le processus commence donc par la distillation de betteraves sucrières, la matière première pour obtenir un alcool neutre à 65 degrés qu’il dilue pour ne pas tuer les arômes. Une distillation qui lui prend tout de même quatre semaines de travail, ce qui le différencie avec les processus industriels. Alexandre Chapelle y fait ensuite macérer ses ingrédients utiles à la fabrication de ses gins le temps nécessaire en fonction de ce qu’il recherche. L’alcool filtré repart enfin une deuxième fois en direction de l’alambic pour être distillé une seconde fois.
Il insiste : « La distillation de l’alcool ne s’improvise pas. » Lorsque le produit fini sort de l’alambic, il est indispensable de séparer la tête, le cœur et la queue de distillation. Le premier, le méthanol étant toxique voire mortel, le second, l’éthanol est le produit désiré et le dernier est simplement impropre à la consommation. Pour se lancer, Alexandre Chapelle s’est donc formé auprès d’un spécialiste alsacien qu’il surnomme avec humour « le Ronaldo de la distillation« .
Un produit qu’il aime avant tout
Pour arriver au meilleur produit, Alexandre Chapelle en est convaincu, « il faut faire d’abord ce que l’on aime déguster« . Il est donc sûr et fier de ce qu’il propose en bout de chaîne à sa clientèle. Là aussi, il privilégie le local pour écouler sa production qui oscille en 300 et 600 bouteilles par an. « Je fonctionne avec quelques restaurants qui mettent en valeur les produits et les commerces locaux, par le biais d’une coopérative régionale« , explique-t-il.
Quand on lui demande s’il a l’intention d’ouvrir un petit commerce à l’avant de son atelier, il avoue en toute franchise être « un très mauvais commerçant » et préférer rester concentré sur le côté production.