Belgique

De dérogation en dérogation: comment les pesticides toxiques continuent à circuler en Belgique

À l’époque, le SPF Santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et Environnement annonçait en effet entamer le remplacement de certains pesticides par des solutions alternatives moins nocives. Sept plus tard, la situation n’a pourtant guère fort évolué et, pour les auteurs du rapport, la proportion de pesticides dangereux et très toxiques qui circule en Belgique est toujours trop élevée. “80 % des substances actives identifiées comme très toxiques au niveau européen continuent d’être utilisées et à contaminer notre alimentation et notre environnement, au lieu d’être définitivement éliminées au profit d’alternatives plus sûres”, note le rapport.

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Toxiques, cancérigènes…

Une liste de douze substances devant être éliminées de toute urgence en raison de leur toxicité a été dressée par PAN Europe. “Ces pesticides sont parmi les plus dangereux et l’exposition de la population et de l’environnement y est particulièrement élevée en raison de leur utilisation en extérieur et/ou de la présence importante de résidus dans l’alimentation”, précise l’ONG dans le rapport. Tébuconazole, cyperméthrine, pendiméthaline… Ces “12 toxiques” se retrouvent dans une centaine de pesticides autorisés en Belgique.

Outre ces substances, près d’un tiers des autorisations de pesticides belges concerne des produits classés cancérigènes ou toxiques pour la reproduction et ce, tant pour les produits à destination des professionnels que des amateurs. “Une vingtaine de ces pesticides sont classés à la fois cancérigènes et reprotoxiques”, précise le rapport, prenant l’exemple du chlorotoluron. Cette substance est suspectée de provoquer le cancer et de nuire au fœtus. Pourtant, six herbicides à base de cette substance sont encore autorisés en Belgique pour les cultures de céréales d’hiver et de pommes/poires. “En 10 ans, l’utilisation du chlorotoluron a peu diminué et reste l’une des substances candidates à la substitution les plus utilisées.”

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L’ambition belge mise en doute

Parmi les autorisations données par la Belgique, 21 % concernent des pesticides candidats à la substitution qui auraient donc dû disparaître progressivement depuis 2015. “Un pourcentage qui fait douter de la réelle ambition belge de réduire l’exposition de la population (travailleurs, riverains, consommateurs, etc.) à ces substances et interroge sur le respect de son obligation légale d’éliminer les plus toxiques au profit d’alternatives plus sûres”, assurent les auteurs du rapport.

Les deux associations accusent l’État belge de “fournir abusivement des dérogations temporaires” aux pesticides interdits au niveau européen pour leurs toxicités excessives. Le rapport note que le nombre de dérogations belges a augmenté, passant de 14 en 2011 à 64 en 2022, ce qui représente une hausse supérieure à la tendance européenne. De plus, près de la moitié des pesticides autorisés en urgence au cours de cette période l’ont été sur au moins trois années consécutives.

Lorsqu’un pesticide est interdit pour sa toxicité excessive, le SPF utilise les dérogations pour fournir des autorisations d’urgence. Un procédé qui remet en cause les bases même du règlement européen sur les pesticides”, résument les auteurs.

Nature&Progrès et PAN Europe relèvent également des irrégularités au niveau des exemptions d’évaluation comparative, pourtant prévues par la législation européenne. Cette évaluation obligatoire vise à déterminer si d’autres produits biocides autorisés (ou des méthodes non chimiques de contrôle ou de prévention) sont disponibles, suffisamment efficaces et ne présentent pas d’autres inconvénients économiques ou pratiques significatifs. “90 % de ces pesticides hautement toxiques pour la santé et l’environnement à long terme autorisés en Belgique sont exemptés d’évaluation comparative alors que cette exigence est obligatoire au niveau européen depuis plus de 7 ans”, note pourtant le rapport.

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Alternatives et recommandations

“Des alternatives existent déjà mais la Belgique continue d’autoriser ces pesticides, plutôt que de les substituer”, déplorent Nature&Progrès et PAN Europe, qui estiment que notre pays doit “passer à une gestion des risques liés aux pesticides compatible avec la législation européenne et interdire les produits mettant gravement en danger la santé”.

Le rapport dresse une série de recommandations pour mettre un terme à cette situation, parmi lesquelles l’application stricte de la législation européenne sur les pesticides et l’interdiction des dérogations d’urgence octroyées à des produits contenant une substance active interdite par l’UE. Les deux associations espèrent aussi un engagement de la Belgique quant à la finalisation d’ici à 2020 de la révision des autorisations nationales de pesticides particulièrement préoccupants, en prenant en compte toutes les alternatives existantes.

Par ailleurs, ce n’est pas la première fois que les deux associations s’attaquent à cette question. Fin février, elles mettaient en demeure le ministre Clarinval (MR) pour avoir autorisé le 19 janvier dernier un insecticide à base d’indoxacarbe, une substance active dont le renouvellement a été refusé par la Commission européenne en novembre 2021. Restées sans réponse de la part du ministre, elles l’ont assigné en justice vendredi dernier.