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COP30 : la Chine, superpuissance verte mais toujours dépendante du charbon

La Chine a investi 818 milliards de dollars, soit 4,5% de son PIB, dans les technologies décarbonées en 2024. Selon l’Agence internationale de l’énergie, la demande chinoise de charbon a encore augmenté de 1,2% en 2024, atteignant un nouveau record historique.

« Croître (et polluer) d’abord, nettoyer ensuite. » Cette phrase résume l’histoire industrielle de la Chine. Après avoir développé son économie de manière spectaculaire grâce à des énergies fossiles à bas coût, Pékin promeut, depuis 2007, une « civilisation écologique » et se positionne comme leader mondial dans le secteur des énergies renouvelables, sa capacité éolienne et solaire dépassant celle du charbon d’ici 2025.

Cependant, le géant asiatique demeure dépendant du charbon. Avec 12 milliards de tonnes de dioxyde de carbone (CO₂) émises en 2024, représentant 30 % des émissions mondiales pour seulement 18 % de la population, la Chine reste le principal émetteur de gaz à effet de serre au monde.

À l’occasion de la 30e Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP30), la Chine incarne un paradoxe : championne du vert, mais toujours accro au noir.

Après le retrait des États-Unis de l’accord de Paris, l’Europe doit-elle compter sur Pékin pour mener avec elle la lutte contre le dérèglement climatique ? La Chine défend-elle vraiment ce combat, ou n’y voit-elle qu’une opportunité de renforcer sa puissance économique ? Décryptage.

Une superpuissance verte

Il est indéniable que la Chine est un géant vert. Les chiffres qui le prouvent sont impressionnants.

En à peine trois ans, la Chine a doublé sa capacité éolienne et solaire, passant de 635 gigawatts (GW) à 1408 GW en 2024. À titre de comparaison, depuis 2019, la capacité éolienne et solaire de l’Union européenne a augmenté de 289 à 569 GW, selon le think tank Ember, spécialisé dans les questions d’énergie.

Plus de 47,5 % des capacités solaires installées dans le monde sont en Chine, contre 18 % en Europe et 9,5 % aux États-Unis, selon l’IRENA, l’Agence internationale pour les énergies renouvelables. Pour l’éolien, la Chine représente 46 % des capacités mondiales installées.

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L’environnement comme impulsion, l’économie comme moteur

Comment la Chine en est-elle arrivée là ?

Pour le comprendre, il faut revenir un peu en arrière, il y a 10 ans. En 2015, un documentaire d’une ancienne présentatrice vedette de la télévision d’État chinoise, CCTV, fait le tour du web. Devenue maman, Chai Jing raconte son histoire et celle de sa fille atteinte d’une tumeur bénigne au cerveau, probablement causée par l’air pollué respiré pendant sa grossesse.

Cette enquête met en lumière la crise écologique que traverse alors l’Empire du Milieu. À cette époque, les émissions de CO₂ par habitant explosent et Pékin suffoque. La pollution de l’air cause près de 1,2 million de décès annuels, selon les autorités.

Craignant une crise sociale, l’État chinois fait de la protection de l’environnement l’un des moteurs du développement des énergies renouvelables. Il y voit aussi une opportunité économique, ainsi qu’une chance d’améliorer sa sécurité énergétique, notamment en ce qui concerne le pétrole qu’il importe massivement : 73,9 % de l’approvisionnement total en pétrole brut est encore importé en 2023.

« Depuis 2010, la Chine a une volonté forte d’investir dans des technologies bas carbone, visant à décarboniser son mix énergétique et de transport », souligne Emmanuel Hache. Il ajoute que « chaque fois qu’elle décarbone son mix énergétique ou son mix de transports, la Chine gagne en autonomie stratégique et en souveraineté. »

Ainsi, l’Agence internationale de l’énergie (IEA) indique qu’au cours des deux dernières décennies, la part des énergies renouvelables dans la production d’électricité en Chine a augmenté de 82 %, atteignant 30,2 % de son mix électrique en 2022.

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Produire (trop) au risque de saturer

Cependant, la Chine fait face à des défis. Elle a créé une production massive de technologies propres, au point de surproduire, notamment dans le domaine solaire.

Selon Reuters, le monde produit annuellement deux fois plus de panneaux solaires qu’il n’en consomme, la plupart d’entre eux étant fabriqués en Chine. De plus, la guerre des prix entre producteurs chinois a des conséquences : en 2024, les plus grandes entreprises solaires chinoises ont licencié près d’un tiers de leur personnel, et le secteur a enregistré une perte de 52 milliards d’euros.

Les excédents de production de panneaux solaires chinois ne sont plus absorbés par les marchés européens ou américains. « Il y a une décélération de la dynamique d’installation des technologies bas carbone dans le monde, notamment dans les pays développés, en raison de problèmes de financement public », note Emmanuel Hache. Les politiques de Trump ralentissent également l’investissement dans les énergies vertes.

« C’est pour cela que notre marché est inondé de produits chinois, qui sont de qualité probablement équivalente aux nôtres, mais offerts à des prix 30 à 50 % plus bas », ajoute Adel El Gammal, secrétaire général de l’Alliance Européenne pour la Recherche en Energie (EERA).

Pile vert, face noire

Ces revers ne remettent pas en cause le statut de leader de la Chine en matière d’énergies renouvelables. Cependant, le pays n’a pas encore fini de nettoyer son économie. Sa dépendance au charbon demeure totale.

Selon l’Agence internationale de l’énergie, la demande de charbon en Chine a encore augmenté de 1,2 % en 2024, atteignant un nouveau record. Sa demande en électricité a bondi de 7 %, mais les capacités en éolien, solaire, hydroélectrique, ainsi que nucléaire, biomasse et gaz, n’ont pas suffi à couvrir la croissance du besoin énergétique chinois.

« La Chine continue donc à construire massivement des centrales au charbon », souligne Adel El Gammal (ULB/EERA). Au premier semestre 2025, Pékin a mis en service 21 GW de centrales au charbon, soit l’équivalent de la puissance d’une vingtaine de réacteurs nucléaires. Sa part dans la consommation mondiale de charbon atteint 58 %.

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Contribution à la baisse des émissions de CO₂…

Il ne fait aucun doute que le développement fulgurant des énergies renouvelables en Chine a eu un impact positif sur ses émissions de CO₂.

Selon une analyse de Carbon Brief, entre juin 2024 et juin 2025, les émissions de la Chine ont diminué de 1 %, malgré la croissance continue de l’activité économique et de la demande énergétique. Ce succès est sans précédent : pour la première fois, la production d’énergie propre (éolienne, solaire et nucléaire) a entraîné une baisse des émissions de CO₂ en Chine.

Ces conséquences positives s’étendent à l’international, avec les exportations chinoises de panneaux solaires, batteries, véhicules électriques et éoliennes contribuant à réduire les émissions de 1 % dans le reste du monde, selon Carbon Brief.

Virginie Arantes, chercheuse CNRS (EHESS/CCJ) et FNRS (ULB), rappelle que l’Empire du Milieu projette sa transition verte vers ses voisins, en particulier dans le Sud global. Ces pays, selon elle, vont encore croître et l’accès à des technologies chinoises à bas carbone sera une contribution majeure aux questions climatiques.

De cette manière, Pékin se positionne et est perçu comme un acteur clé de la transition climatique. « La Chine est essentielle pour limiter le réchauffement climatique en dessous de la barre des deux degrés [par rapport à l’ère préindustrielle] », un objectif établi lors des Accords de Paris de 2015.

…mais premier émetteur de gaz à effet de serre

Malgré cela, ce bilan encourageant ne doit pas occulter les importantes conséquences environnementales résultant de la transition verte chinoise.

Derrière la fabrication de voitures ou de batteries électriques se cachent « l’extraction de métaux rares, des pressions sur l’eau et sur les sols où sont situées les giga-usines de production », souligne Virginie Arantes.

En outre, bien que les émissions de CO₂ liées aux combustibles fossiles de la Chine soient restées stables ces 18 derniers mois, le pays continue de représenter un tiers des gaz à effet de serre à l’échelle mondiale, d’après l’IEA. En 1985, ce chiffre était de 10 %. Pékin demeure le principal émetteur de gaz à effet de serre de la planète.

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La difficile entente sino-européenne

Dans ce contexte, l’Europe doit trouver sa place vis-à-vis de la Chine. Le Vieux continent est, selon Adel El Gammal, « partenaire de la Chine pour les discussions au niveau de la COP afin d’augmenter l’ambition des engagements sur la modération climatique, mais l’Europe est également son adversaire sur le plan économique et industriel, notamment concernant le déploiement de technologies. »

En effet, la Chine souhaite conserver sa position de leader sur le marché des technologies vertes, surtout avec le renforcement des droits de douane imposés par les États-Unis. Elle perçoit aussi négativement le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) de l’UE, qui impose des taxes sur les importations selon leur empreinte carbone.

D’après Le Monde et l’AFP, lors de sa visite à Belém, le vice-Premier ministre chinois Ding Xuexiang a insisté sur la nécessité « de supprimer les barrières commerciales et de garantir la libre circulation des produits verts ».

Engagée à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, l’Europe est vue par Pékin comme un marché stratégique pour ses exportations massives de technologies vertes : éoliennes, panneaux solaires, batteries et voitures électriques.

« L’Europe a déjà perdu la bataille sur certaines technologies. Le photovoltaïque en est un exemple, où elle était autrefois leader. À présent, elle est menacée aussi sur l’éolien », constate Adel El Gammal.

Les Vingt-Sept critiquent fermement le manque d’ambition climatique de la Chine et sa réticence à financer la lutte mondiale contre le changement climatique. Le commissaire européen au Climat, Wopke Hoekstra, souligne que l’objectif de la Chine, annoncé en prévision de la COP30, de réduire de 7 à 10 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2035, est « loin d’être à la hauteur de ce qui est considéré comme réalisable et nécessaire ».

La Chine est devenu un acteur structurant de l’économie verte, avec ses priorités, ses outils et son propre récit civilisationnel.

Virginie Arantes, chercheuse au CNRS et membre d’EASt/REPI (ULB)

A malgré cela, Virginie Arantes estime que la Chine ne changera pas de cap. « Elle ne va pas stopper immédiatement ses émissions pour le climat, surtout dans le contexte géopolitique actuel, » souligne-t-elle. Cela s’inscrit dans un « scénario très nationaliste ». « La Chine est devenu un acteur structurant de l’économie verte avec ses priorités, ses outils et son récit. »

« Comment l’Europe va-t-elle réussir à collaborer tout en protégeant ses intérêts face à ce leadership chinois ? Cela reste à déterminer », conclut Virginie Arantes.

Lors de la COP30, la Chine, soutenue par les pays émergents, pressionne pour que l’Europe abandonne sa taxe carbone aux frontières, mettant le commerce international au cœur des négociations.

Dans les rues de Belém, la petite citadine électrique BYD Dolphin Mini, « made in China », domine maintenant le marché automobile brésilien. Cela illustre la détermination de Pékin à conquérir le monde avec ses technologies vertes.