Belgique

Comment vaincre le blues au retour d’un Erasmus ?

« Le retour a été assez compliqué », avoue d’emblée Morgane, étudiante en dernière année de Master de droit à l’ULB. Pendant un quadri, la jeune femme a vécu à Split, en Croatie. « J’en garde un super souvenir. Tout était génial. J’ai rencontré plein de gens. » Quand elle est rentrée, Morgane a toutefois éprouvé un sentiment de nostalgie qu’elle a mis du temps à surmonter. C’est également le cas d’Alice, partie pendant 6 mois Amsterdam. « La ville m’a énormément plu. Je me suis forcée à sortir de ma zone de confort et je ne regrette absolument pas. Par contre, le retour a difficile », explique l’étudiante en BAC3 en philosophie, politique et économie.

Ce sentiment de mal-être après un Erasmus, c’est ce que les étudiants appellent parfois le « choc du retour » ou « le syndrome post-Erasmus ». « C’est le sentiment de déprime que l’on ressent quand on revient d’un long séjour à l’étranger », détaille Nina Aala Amdjadi, psychologue à Anderlecht. « Les jeunes peuvent le vivre après un Erasmus, mais il peut aussi apparaître après un tour du monde ou après un voyage de noces », note-t-elle. « Cela s’explique par le fait que ces personnes étaient dans une bulle pendant des semaines voire des mois et que le contraste avec le retour à la réalité peut être très fort. »

Un départ difficile, un retour qui l’est tout autant

Généralement, les Erasmus et les expatriés passent par plusieurs phases dans leur séjour, comme on peut le voir dans le graphique ci-dessous, élaboré par McCormick et Chapman, mais modifié par nos soins pour ajouter le retour et la réadaptation.

Le cycle de vie de l'expatriation. Graphique.
Le cycle de vie de l’expatriation. Graphique. ©dr

Lorsqu’ils arrivent, ils sont dans la phase « lune de miel » ; ils découvrent plein de choses et sont émerveillés par elles. Puis ils passent par une phase de crise. Ils se rendent compte qu’ils ressentent des difficultés à s’adapter à leur nouvel environnement, que leurs proches leur manquent, etc. Heureusement, leur moral va généralement remonter pour atteindre la phase d’adaptation. Durant celle-ci, ils vont surmonter les difficultés auxquelles ils font face. Tout naturellement, ils vont donc atteindre la phase de « maîtrise » où ils vont trouver leurs repères et être pleinement à l’aise dans leur nouvel environnement.

Malheureusement, dès qu’ils trouvent leurs marques, il est presque déjà temps de rentrer pour les étudiants. « Ils ont dû s’adapter à leur arrivée, et ils devront encore le refaire à leur retour », résume la psychologue. Ils repasseront donc par une phase de « crise » (ou nostalgie), avant d’atteindre à nouveau la phase de maîtrise.

« Le départ est difficile, mais le retour l’est aussi », acquiesce Alice. Encore plus en période de Covid où les mesures n’étaient pas forcément les mêmes partout. En Croatie, Morgane pouvait encore faire la fête. Par contre, quand elle est rentrée, elle a dû faire face à des mesures plus strictes. « Le décalage était encore plus grand », note-t-elle.

Un décalage compliqué

Tous les étudiants que nous avons interrogés parlent de « décalage » au retour. Celui-ci peut prendre plusieurs formes. « Cela peut paraître bizarre car je ne suis pas partie très longtemps, mais je ne reconnaissais pas certaines nouvelles chansons françaises qui passaient en soirée », note Morgane. « Pendant que j’étais à l’étranger, j’ai aussi moins suivi l’actualité de mon pays, donc il s’est passé des choses dont je n’étais pas au courant », poursuit-elle. Pareil dans la vie de ses amis. « Mes potes parlaient d’histoires qui leur étaient arrivées, mais je n’avais pas toutes les références. Je comprenais quand même les grandes lignes, mais je ne l’avais pas vécu donc c’était plus compliqué. » L’inverse est vrai également. Alice avait beau expliquer ce qu’elle avait vécu en Erasmus, elle avait parfois l’impression d’être écoutée mais pas comprise. « Personne ne réalisait vraiment ce que j’avais pu vivre », résume-t-elle.

Sans qu’elles s’en rendent compte, cette expérience à l’étranger les a changées. A tel point qu’elles ont eu du mal à reprendre leur vie là où elles l’avaient laissée. « C’est assez bizarre comme sensation, car j’ai changé mais à côté de ça, ma vie en Belgique est restée la même. Aujourd’hui, j’ai vraiment du mal à reparler avec certaines personnes car on n’est plus du tout dans la même optique. Je sais que je vais perdre des amis », dit Alice.

« C’est normal de changer pendant un Erasmus », explique la psychologue Nina Aala Amdjadi. « L’Erasmus est un voyage initiatique. Il ne faut pas réprimer ces changements. Ce n’est pas grave de s’éloigner de certaines personnes et de se rapprocher d’autres. Le changement fait partie de la vie. » Selon l’experte, il est également normal de ressentir un sentiment de déprime. « Sur place, le système nerveux est tout le temps sollicité. Il y a beaucoup d’adrénaline et de dopamine, l’hormone du plaisir. Au retour, ces taux d’hormones diminuent, et c’est bien normal. »

Que faire pour surmonter le choc?

Maintenant, les deux jeunes femmes se sont réacclimatées, mais cela a pris du temps. « J’ai relativisé mon mal-être car je me suis rendue compte que j’avais eu une chance incroyable de partir. Mais j’aurais aimé être prévenue avant de ce qui allait se passer à mon retour », précise Alice.

Pour se préparer au mieux au retour, la psychologue conseille de tenir un carnet de voyage pendant le séjour à l’étranger. « Cela permet d’exprimer ses émotions », note-elle-. Il peut aussi être intéressant de le continuer au retour pour mettre des mots sur ses sensations. Garder contact avec ses proches restés en Belgique est également important. Morgane recommande de ne pas hésiter à appeler ses proches. « Cela permet d’aller plus loin que les discussions sur les réseaux sociaux. »

Naturellement, les deux étudiantes sont restées en contact avec les autres Erasmus qui vivaient la même chose qu’elles. C’est aussi ce que conseille la psychologue. « Pourquoi ne pas accompagner de futurs Erasmus dans leur projet? Cela permet de rester au contact des valeurs qui nous ont plu dans l’expérience. »

Enfin, la psychologue conseille de bien s’entourer et de s’occuper. Morgane et Alice ont d’ailleurs avoué avoir enchaîné les activités pour ne pas avoir le temps de déprimer. « Il est possible de retrouver certaines sensations liées à l’Erasmus en Belgique », poursuit la psychologue. « Si on s’est initié à la salsa en Espagne, rien ne nous empêche de prendre des cours pour approfondir ces compétences une fois de retour en Belgique. »

« L’idée, c’est de trouver un moyen d’intégrer au mieux son Erasmus dans sa vie », conclut l’experte. « Il faut se demander ce qu’on peut reprendre de son Erasmus pour l’intégrer dans son quotidien. » Et si, vraiment, le goût du voyage se fait trop fort, rien n’empêche l’étudiant d’y céder lorsqu’il en aura encore l’occasion.