Clément Viktorovitch dénonce la logocratie : « La parole officielle est mensongère »
Donald Trump a été décrit comme un « menteur invétéré » par Clément Viktorovitch, qui affirme que dans ses discours, il y a presque un mensonge par phrase. Le Washington Post a comptabilisé 30.000 mensonges et imprécisions de Trump en quatre ans.
Ce n’est pas un scoop, Donald Trump est un menteur invétéré. « Quand il prétend avoir arrêté huit guerres en huit mois, tout le monde sait que c’est faux, mais il le dit. Dans ses discours, il y a presque un mensonge par phrase », déclare Clément Viktorovitch, faisant référence à un bilan du Washington Post à la fin du premier mandat du Président républicain : « Le journal a comptabilisé 30.000 mensonges et imprécisions en quatre ans. »
Ce qui est notable selon le professeur, c’est la généralisation du mensonge dans le répertoire d’action du personnel politique. « Jair Bolsonaro au Brésil, Boris Johnson au Royaume-Uni… dans certaines démocraties représentatives, la parole officielle du pouvoir est devenue mensongère », analyse-t-il. L’auteur a intitulé son livre Logocratie (Seuil), un néologisme qu’il a créé pour définir cette tendance : « Quand les gouvernants imposent leurs mots contre le réel. »
Ce mensonge a « changé de nature ». Autrefois ponctuel et parfois justifié « pour camoufler des réalités trop énormes pour être dites », comme le projet Manhattan ou la maladie du président François Mitterrand, il est devenu « de circonstance, pour dire ce que l’on a besoin de dire, sans se soucier de savoir si c’est vrai ». La logocratie traduit politiquement l’air du temps de la post-vérité.
Le « wokisme » et la perte de sens des mots du pouvoir
On imagine bien le concept appliqué aux États dits « illibéraux », qui dérivent du populisme vers l’autoritarisme. Cependant, l’expert en rhétorique à Sciences Po Paris s’appuie sur la France d’Emmanuel Macron pour étayer son concept, qui pourrait par bien des égards être étendu aux démocraties occidentales. L’auteur prend l’exemple du débat sur le « wokisme », et s’interroge sur la substance même du mot : « On ne sait pas encore exactement ce qu’il désigne. On a l’impression que c’est lutter contre les inégalités, le racisme. Pourtant ce mot est devenu une arme de disqualification dirigée contre la gauche. » Si certains chercheurs peuvent utiliser le terme pour pointer certaines dérives des mouvements sociaux et sociétaux à un moment donné, « ce n’est pas parce que ça arrive que c’est une idéologie », rappelle Clément Viktorovitch.
Celui qui analyse l’actualité politique sur Twitch estime que la circulation du terme dans les sphères polémiques et médiatiques peut être discutée. « Mais quand c’est le gouvernement qui fait circuler ces thèmes, c’est grave. Ils légitiment ces termes, qu’on retrouve dans les discussions quotidiennes », citant les exemples de l’ancien ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer et de l’ex ministre de l’éducation supérieure Frédérique Vidal, tous deux engagés dans la lutte contre le wokisme et « l’islamo-gauchisme à l’université », un autre terme de la logocratie. « En passant la ligne rouge du mensonge, la parole officielle se permet d’utiliser des techniques réservées jusque-là à la communication, comme mettre en circulation de nouveaux mots, qui n’ont pas de sens. »
Reconquérir son indignation face au mensonge
L’intérêt du concept de logocratie est surtout d’alerter sur un état de rabougrissement du débat public, et sur une classe politique mondiale qui laisse « sa parole se consteller de mensonges » inspirés par l’occupant de la Maison Blanche. « La logocratie, c’est l’entre-deux de la démocratie représentative recroquevillée, mais qui n’a pas encore basculé dans l’autoritarisme », précise son créateur.
Un signal, face à la résignation ambiante, paradoxale : « Quand on rentre dans le ‘tous pourris’, ‘tous des menteurs’, on finit par ne plus relever les mensonges, ne plus s’indigner. » Le professeur médiatique appelle dès lors à « reconquérir notre indignation. C’est sain et légitime d’être en colère contre le mensonge. Et nous sommes de plus en plus nombreux à faire attention à l’emploi des mots. » Un devoir de vigilance et une nécessité d’informations fiables, contre l’empire de la manipulation politique.
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