Belgique

Claude, le cycliste audacieux, traverse la Russie, le Kazakhstan et la Chine.

Nous avons rencontré Claude Brouir en avril 2025, juste avant son départ de Bruxelles et Namur à destination de Shanghai. Il a parcouru 12.000 kilomètres en 4 mois, dont 5000 en Chine, pour sensibiliser sur le cancer de la prostate et récolter des fonds pour des projets de soutien aux personnes touchées par cette maladie.


Nous l’avions rencontré en avril 2025, juste avant son départ depuis Bruxelles et Namur vers Shanghai, où l’attendait son fils Aurélien. Claude Brouir avait minutieusement préparé ce projet, lui qui avait déjà parcouru l’Europe du nord au sud sur son tricycle électro-solaire, un vélo où l’on pédale presque allongé, équipé de panneaux solaires alimentant l’assistance électrique.

Cette fois, toutefois, le défi s’annonçait plus long, plus périlleux et plus complexe, car il nécessitait la traversée de pays non européens aux réglementations administratives parfois peu adaptées aux vélos. Claude l’avait déjà ressenti en demandant des visas et autres autorisations à Bruxelles, mais c’est surtout sur le terrain qu’il a fait cette expérience.

Après avoir traversé sans difficulté l’Allemagne, la Pologne, la Lituanie et la Lettonie, l’entrée en Russie s’est révélée rocambolesque. En effet, comme l’explique Claude, sortir d’Europe fut plus laborieux que prévu : « Je pensais que sortir de Lettonie serait une simple formalité, car c’est un pays de l’Union européenne, mais j’ai vite compris que mon vélo posait problème, car on ne pouvait franchir la frontière qu’en voiture, bus ou camion. Malgré mes protestations, rien n’y a fait, j’ai dû faire monter mon tricycle dans une camionnette des Moldaves après avoir remonté la file de 60 camions en attente. »

« À la frontière, j’ai fait croire au douanier que mon drone était un rasoir… et ça a marché ! »

Tout cela pour franchir 200 mètres, car une fois le poste-frontière letton passé, Claude a pu décharger son vélo à trois roues. « Les Russes étaient moins exigeants sur le vélo que les Lettons, mais ils m’ont retenu pendant cinq heures, fouillant mon profil en ligne et m’interrogeant sur mes éventuels liens avec l’Ukraine. Une fois rassurés, ils ont enfin souri et ont même voulu faire un selfie. Le comble, c’est qu’ils n’ont pas remarqué mon petit drone replié dans son sac. À une autre frontière, quand on m’a demandé à quoi il servait, j’ai fait semblant de me raser et c’était gagné. Heureusement qu’ils ne m’ont pas demandé de tester devant eux… »

Une fois en Russie, la véritable aventure a commencé, notamment avec la barrière de la langue et l’alphabet cyrillique, très éloigné du nôtre, rendant la lecture impossible. De plus, peu de Russes parlent anglais, ce qui sera aussi le cas en Chine. Heureusement, les applications de traduction existent.

Le constat de Claude sur les routes russes est sans appel : « Les routes sont en mauvais état. Les grands axes sont plus ou moins carrossables, mais dès qu’on s’écarte, l’asphalte laisse place au gravier ou à la terre. En tout cas, ce n’est pas un pays fait pour les cyclistes, il est même dangereux avec des camions qui frôlent sans ménagement. »

« Partout, on m’a offert des cadeaux, souvent de la nourriture ou des boissons. J’ai même reçu une ration militaire. »

En revanche, la population se montre très accueillante. « Le fait d’être européen ne m’a pas desservi, au contraire, les gens étaient reconnaissants que je vienne, malgré la situation internationale. Cela se traduisait par des attroupements autour de mon vélo, des demandes de selfies et des cadeaux. On m’offrait boissons, chocolats, friandises, souvent achetées dans des stations-service où je me ravitaillais et où je dormais fréquemment, car on y trouve généralement des petits motels à bon prix. Un jour, un camionneur m’a même offert une ration militaire complète. »

Si les habitants sont gais, les animaux peuvent l’être moins. Claude s’attendait à croiser des chiens agressifs et se munissait d’un bâton, mais avoue qu’il n’a pas eu souvent l’occasion de s’en servir. Par contre, le voyage lui a permis de croiser de nombreux autres animaux, des cigognes entre la Pologne et la Lettonie, et des chevaux sauvages au Kazakhstan.

La musique a aussi sa place dans ce voyage. Claude a eu droit à plusieurs moments musicaux, y compris des concerts improvisés, tel ce groupe de musiciens kazakhs s’arrêtant en pleine steppe pour lui jouer une aubade au bord de la route, un moment à la fois émouvant et surréaliste.

La traversée de la frontière entre le Kazakhstan et la Chine s’est avérée tout aussi rocambolesque : « Comme pour passer de l’Europe à la Russie, il est impossible de franchir la frontière à vélo. On m’a dit qu’il fallait prendre le bus… Mon tricycle pesant des tonnes, je ne pouvais pas le faire passer par les portes. Il m’a donc fallu ruser et faire jouer mes contacts diplomatiques avec l’ambassade. Après un coup de fil venu d’en haut, tout s’est soudain arrangé, j’ai sans doute été le premier cycliste à entrer en Chine à cet endroit en pédalant ! »

Entrer en Chine revient à changer d’ère selon Claude : « Dès l’arrivée, on change de siècle ! On est au 21e voire au 22e siècle. Les routes sont en excellent état, meilleures qu’en Europe. On croise de nombreuses voitures électriques récentes, parfois sans chauffeur. Les TGV ont des gares qui ressemblent à des aéroports. Tout est numérique, on paie partout avec son smartphone, même sur les petits marchés. Le réseau informatique est omniprésent, même en plein désert. Ces agriculteurs pulvérisent à l’aide de drones. »

Claude a remarqué que la Chine est aussi le pays des livreurs, omniprésents : « On se fait tout livrer, même à l’hôtel où le livreur dépose votre repas dans un compartiment d’un robot qui vous amène votre commande dans votre chambre, c’est fascinant. »

Les Chinois sont très occupés et, bien que Claude attise la curiosité, l’accueil semble plus distant. « On me prend en photo mais sans chercher à établir le contact. J’ai l’impression que les Chinois sont pressés, ayant intégré que le temps c’est de l’argent et qu’ils ne veulent pas en perdre. »

Claude n’a cependant jamais vraiment ressenti d’insécurité, même en traversant des régions reculées : « C’était une crainte, je l’avoue, mais je n’ai jamais ressenti d’insécurité. Les régimes sont plutôt autoritaires et s’en prendre à un touriste occidental est sans doute risqué. En Chine, j’étais de toute évidence surveillé, il m’est arrivé d’être contrôlé cinq fois en une journée par la police. Et il y a aussi des millions de caméras, donc le sentiment de sécurité va de pair avec cette surveillance policière que j’appelle ‘protect-veillance’. »

Concernant les nuits passées sur la route, Claude a souvent dormi dans des motels ou chez des habitants. Pas mal de passionnés de vélo suivaient son périple en ligne et lui proposaient de l’héberger ou même de rouler un moment avec lui. Claude a même été invité par des autorités, notamment chinoises, qui lui offraient l’hôtel ; une fois, il a dormi chez un gouverneur kazakh, qui lui a offert un sauna traditionnel.

Il a souvent été invité à manger : « En Russie, plusieurs fois, j’ai payé à la caisse d’un magasin et on m’a dit que la note avait déjà été réglée par un autre client, même modeste mais soucieux de donner une bonne image de son pays. En Chine, j’ai eu des repas presque gastronomiques avec des autorités ravies de m’accompagner, mais souvent, après avoir mangé, tout le monde se levait et partait. Il m’est même arrivé d’aller aux toilettes et de revenir sans qu’il y ait plus personne. »

Après 12.000 kilomètres parcourus en quatre mois, dont 5.000 en Chine, Claude est finalement arrivé à Shanghai, où il retrouve son fils Aurélien. À son arrivée, il a été accueilli par les autorités chinoises et le consul général de Belgique. La cérémonie a inclus tapis rouge, discours, traduction par IA en direct sur écran géant, et même une pluie torrentielle !

Son périple a été relayé par les médias dans chaque pays traversé : « En Russie, le reportage à la télévision me servait de carte de visite. Si je rencontrais une difficulté, je le montrais, cela a impressionné mes interlocuteurs et souvent tout s’est arrangé comme par miracle. » Claude note également que ces reportages visaient aussi à mettre en valeur le pays, même si cela signifiait parfois embellir la réalité.

Lors de son arrivée à Shanghai, Claude a droit à une visite médicale. Avec 400 heures passées sur le vélo et un million et demi de coups de pédale, cela peut laisser des traces. Il a d’ailleurs perdu quelques kilos en chemin. Pourtant, le bilan de santé reçu de la municipalité diffère largement de ceux européens : « Un acupuncteur m’avait aidé avec un mal de dos un mois avant d’arriver ; il m’a planté des aiguilles ressemblant à des clous et m’a causé une décharge électrique efficace. »

Claude n’a pas été préparé à l’examen médical à Shanghai : « Je pensais avoir un examen complet et une prise de sang comme chez nous mais rien de tout cela. Le médecin chinois m’a simplement pris le pouls pendant presque un quart d’heure, me posant des questions intimes sur la couleur de mon urine ou la consistance de mes selles, sans se soucier qu’il y avait une quarantaine de personnes autour, dont ma famille et même la télévision ! J’ai découvert que la notion de secret médical n’est pas la même partout. »

Finalement, quelles leçons Claude tire-t-il de ce voyage à travers des continents et des cultures variées ? La première est encourageante : « Globalement, les gens sont sympathiques et bienveillants, l’accueil a été partout positif. Il suffit de demander de l’aide, et souvent on est récompensé. Les nombreux problèmes techniques rencontrés en sont le reflet : j’ai cassé ma remorque plusieurs fois et j’ai toujours été secouru par des personnes prêtes à remorquer, réparer, souder sans compter leur peine. »

Une autre leçon est de s’alléger, tant physiquement que mentalement : « J’avais des craintes en me lançant et je les ai traînées au départ. J’ai découvert qu’elles étaient souvent infondées, et je m’en suis débarrassé au fur et à mesure. Un peu comme mes bagages, d’ailleurs : j’avais préparé 160 kilos, je suis parti avec 120 et je suis arrivé à Shanghai avec 90. »

Il s’agit aussi de faire confiance aux autres mais aussi à soi-même : « J’ai surmonté mes peurs d’échouer en oubliant le but final, me concentrant sur le jour suivant. Vivre l’instant présent est ce qu’apporte le voyage, mais cela peut aussi servir au quotidien. »

Ce voyage avait aussi une dimension solidaire pour Claude, qui a pédalé pour financer deux projets liés à une maladie qu’il connaît bien : « J’ai eu la chance de faire ce périple après mon cancer de la prostate et ma chirurgie il y a un an. Je souhaitais partager mon expérience et donner de l’espoir à d’autres. »

Claude a ainsi soutenu Re-Source, une structure d’accompagnement pour les personnes touchées par le cancer, afin de développer un projet ciblant les hommes : « Les hommes sont rares à fréquenter l’association, ils se confient moins que les femmes. Nous voulons les inciter à venir échanger leur vécu et à poser toutes leurs questions sur les cancers masculins. »

Il a également établi des partenariats pour « Les 100 km au-delà », qui offre à 100 femmes ayant vécu un cancer du sein l’opportunité de participer à un trek de 100 kilomètres pour les aider à se réinsérer.

À ce jour, Claude a déjà récolté 23.000 euros, avec l’espoir d’atteindre 30.000 euros par le biais d’une projection du documentaire en cours de réalisation. Il compte aussi intervenir dans des écoles pour sensibiliser davantage : « On peut toujours contribuer via la Fondation Roi Baudouin en soutenant le projet. »

En somme, même de retour chez lui, Claude Brouir ne cesse de déployer une énergie et conviction qui forcent le respect et inspirent tous ceux qui cherchent à se remettre en action, avec la conviction que l’activité physique est essentielle pour la santé, tant en prévention qu’en réhabilitation après une maladie.