Belgique

« Cibler un hôpital, c’est ruiner notre humanité » : soignants belges dénoncent attaques israéliennes à Gaza

Six associations de défense des droits humains et/ou d’aide humanitaire ont appelé aujourd’hui les professionnels de santé de Belgique francophone à dénoncer les attaques de l’armée israélienne contre les infrastructures de santé dans la bande de Gaza. Au total, 16 autres hôpitaux ainsi que 22 maisons médicales du pays étaient mobilisés.

« Cibler un hôpital, c’est ruiner notre humanité. » C’est sous ce slogan que six associations de défense des droits humains et d’aide humanitaire ont appelé aujourd’hui les professionnels de santé de Belgique francophone à dénoncer les attaques de l’armée israélienne contre les infrastructures de santé dans la bande de Gaza.

Au CHU Saint-Pierre de Bruxelles, plusieurs dizaines de soignants ont participé à cette action. En tout, 16 autres hôpitaux ainsi que 22 maisons médicales du pays étaient mobilisés.

Quelques dizaines de soignants mobilisés au CHU Saint-Pierre

Ce vendredi midi, il fait froid dans cette ruelle étroite de Bruxelles, en face de l’hôpital Saint-Pierre. Les rares rayons de soleil n’arrivent pas à réchauffer les soignants postés à l’entrée du bâtiment. Certains portent une blouse blanche, manches courtes, et quelques-uns ont enroulé un keffieh à motif noir et blanc, symbole de la lutte palestinienne. Le vent souffle, la chair de poule est visible et certaines partagent une veste.

Parmi les mobilisés se trouve la docteure Manon Lomré, endocrinologue. Pour elle, participer à ce rassemblement est une nécessité : « Ça me terrifie. Je me dis qu’en 2025, on continue à bafouer le droit international face à toutes les caméras possibles. J’avoue que non seulement ça me terrifie, mais ça me questionne énormément sur notre capacité de réflexion.« 

Ce qui l’inquiète, ce sont les chiffres annoncés durant la manifestation : selon Médecins du monde, 1722 professionnels de santé et humanitaires auraient perdu la vie à Gaza depuis octobre 2023, tandis que 700 à 800 attaques contre des hôpitaux, centres de santé ou ambulances ont été recensées.

Federico Dessi, directeur général de Médecins du Monde Belgique, précise : « si plus de 60.000 civils ont été tués par les opérations de l’armée israélienne, il y a eu 160.000 blessés au bout de deux ans de guerre. Parmi eux, des estimations font état de 40.000 qui seraient touchés par une forme de handicap ou de blessure à vie, nécessitant des soins continus et de la réhabilitation. » Il évoque également l’augmentation des fausses couches chez les femmes gazaouies : « + 300% en deux ans. »

Les manifestants étaient regroupés sous le slogan « Cibler un hôpital, c’est ruiner notre humanité » © Belgaimage

« Je crois que l’état de sidération, on doit le dépasser, car sinon on reste chez soi et on ne fait plus rien« , déclare la docteure Lomré. « Être ici ce midi, ce n’est même pas être politisé, c’est plutôt essayer de trouver un sens, de faire front contre cette déshumanisation dont sont victimes le personnel soignant à Gaza et tous les civils. »

La sidération a aussi poussé Victor Bauchet, assistant en médecine interne, à sortir dans le froid devant l’hôpital. « C’est dur à entendre« , commence-t-il. « Je n’ai pas envie d’être pessimiste, mais je me dis que si ce garde-fou, à savoir bombarder des hôpitaux, a sauté à Gaza, malheureusement, il peut sauter ailleurs…« 

À l’appel de six organisations (Amnesty International, Caritas, Médecins du Monde, Médecins sans Frontières, Oxfam et Viva Salud), cette action vise à rappeler que « les hôpitaux ne doivent jamais constituer une cible. »

Tout le monde ici garde en mémoire le double bombardement par l’armée israélienne de l’hôpital Nasser le 24 août dernier, il y a deux mois jour pour jour. En février 2024, Meinie Nicolaï, infirmière et conseillère humanitaire pour MSF (dont 15 membres du personnel ont été tués dans l’enclave palestinienne), se trouvait à Gaza.

Elle a vu des équipes médicales « opérant dans des conditions extrêmes, manquant de nourriture, qui voyaient leurs patients, souvent des enfants, s’affaiblir jusqu’à en mourir. Lorsque j’étais sur place, l’hôpital Nasser de Khan Younès, justement, a été encerclé et pris d’assaut par l’armée israélienne. Le personnel a été arrêté, il n’y avait ni eau, ni nourriture, ni électricité : les patients en soins intensifs sont morts. » Pour elle, cela ne fait aucun doute : « À Gaza, les hôpitaux sont pris pour cible », malgré les affirmations régulières de Tsahal selon lesquelles ils sont utilisés par des terroristes du Hamas.

Le cessez-le-feu, un espoir vain ?

Normalement, les armes se taisent dans la bande de Gaza depuis l’accord de cessez-le-feu entré en vigueur le 10 octobre. « Le cessez-le-feu est fragile« , rappelle Carine Thibaut, directrice générale d’Amnesty International Belgique : « Qui nous dit que ça ne va pas reprendre ? C’est pour cela aussi que nous avons maintenu cette mobilisation. Le système de santé gazaoui a été une cible du gouvernement israélien, c’est absolument inadmissible au regard du droit international, c’est un crime de guerre. Cela ruine notre humanité, cela ne doit plus jamais se reproduire.« 

D’ailleurs, partout sur les murs, jusqu’à l’aubette réservée aux fumeurs, les affiches rappellent ce slogan : « Cibler un hôpital, c’est ruiner notre humanité. » On y voit une soignante en blouse verte, de dos, face à un hôpital en ruine dans le viseur d’une arme à feu.

« Les enfants, les civils, les hôpitaux, les humanitaires, la presse, les innocents ne sont pas des cibles », assène cette pancarte © Belgaimage

À proximité, Emna Jelloul, également endocrinologue au CHU Saint-Pierre, porte un keffieh. Dans un instant, elle prendra la parole devant le public. Juste avant, elle confie être « terrifiée » par les images qui [nous] parviennent de là, et aussi par « le silence et l’inefficacité de nos décideurs politiques à faire arrêter cela bien avant. J’ai l’impression que seule la mobilisation populaire est à la hauteur de l’horreur des événements. Il faut qu’on continue à se mobiliser, ne serait-ce que pour montrer qu’on ne laissera pas notre boussole commune, c’est-à-dire le droit international, se faire enterrer.« 

« Dire que nous ne savions pas, c’est inacceptable »

Selon l’Organisation mondiale de la Santé, il faudra plus de sept milliards de dollars pour reconstruire le système de santé à Gaza. Meinie Nicolaï s’interroge : « Le secrétaire général de MSF a rappelé à l’ONU que les patients ont des blessures catastrophiques, des amputations, des membres broyés, des brûlures graves. Ils auront besoin de soins complexes, de rééducation intensive. Impossible de traiter ces malades sur un champ de bataille, ni dans les ruines d’un hôpital; il n’y a pas assez de médicaments, pas assez de matériel. Sans compter que nos équipes sont au-delà de l’épuisement. Et nous alertons depuis longtemps. Nos décideurs ne peuvent pas dire qu’ils ne savaient pas, c’est inacceptable.« 

Ces inquiétudes pour l’avenir immédiat sont aussi partagées par Carine Thibaut d’Amnesty International : « L’aide humanitaire n’arrive toujours pas en suffisance à Gaza, que ce soit en termes de matériel ou de ressources humaines. Nous demandons que des médecins et des soignants puissent entrer en masse dans l’enclave, et pas au compte-goutte comme c’est encore le cas actuellement. Rappelons-le, il y a encore des professionnels de santé détenus dans les prisons israéliennes.« 

En tout, 16 autres hôpitaux ainsi que 22 maisons médicales du pays ont participé à cette mobilisation.