Christine Defraigne (MR) : “Une fusion entre le MR et Les Engagés serait une bonne chose ; et cela finira par arriver”
L’ancienne présidente du Sénat, ancienne parlementaire, vient de quitter la vie politique active. Son mandat de première échevine de la Ville de Liège s’est achevé lundi. À 62 ans, elle va se consacrer désormais à son cabinet d’avocats. Christine Defraigne revient sur sa carrière, l’évolution du MR et de la politique en général. Principautaire dans l’âme, sa ville « chevillée aux tripes », elle estime que Liège ne reçoit pas ce qu’elle mérite de la Wallonie et de l’État fédéral.
- Publié le 07-12-2024 à 07h03
- Mis à jour le 07-12-2024 à 07h05
Comment jugez-vous l’évolution de la politique depuis vos débuts ?
La politique a toujours été un monde dur et sauvage. L’évolution majeure, c’est la place faite aux femmes. Le machisme n’a pas complètement disparu. Mais quelques pionnières ont montré la voie. Quand je suis arrivée en politique, en 1988, il n’y avait pas de parité, pas de quota. Votre carrière, c’était au petit bonheur la chance. Au départ, j’étais contre les quotas, car les femmes ne constituent pas une réserve d’Indiens, une espèce protégée en voie de disparation. Elles représentent 52 % de la population. Mais, progressivement, j’ai été gagnée par cette idée. Désormais, les assemblées sont quasiment paritaires et de plus en plus de femmes occupent des postes clés dans les gouvernements. Le plafond de verre est en train de sauter.
Autre évolution : la place prise par les réseaux sociaux qui déshumanisent le débat. Aucun élu n’échappe à cette dose de mauvais stress et de cortisol. Je pointerai également le « wokisme », qui est la négation de l’universalisme et qui réduit les individus à leur sexualité, à leur couleur de peau, à des identités meurtrières. L’histoire nous enseigne ce qui arrive lorsqu’on s’en prend aux gens en raison de leur identité… Enfin, la perte de confiance de nos concitoyens envers la politique m’inquiète énormément, car elle indique l’épuisement de notre système représentatif.
Les assemblées sont quasiment paritaires et de plus en plus de femmes dans les gouvernements occupent des postes clés. Le plafond de verre est en train de sauter.«
Et le MR, votre parti, a-t-il changé ?
Oui. Le parti s’est réorganisé. Il est géré désormais comme une entreprise. Et les militants adorent. Les nouveaux membres sont super heureux : ils reçoivent une réponse beaucoup plus rapidement qu’avant à leurs interactions avec le parti. Cette professionnalisation du MR, c’est la marque de Georges-Louis Bouchez. J’ai de bonnes relations avec lui car, moi, je n’ai rien à lui demander. Je suis donc très sincère.
Vous avez pu avoir des réserves à son sujet, pourtant.
Je l’ai vu évoluer. La fonction fait l’homme. Il est plus calme. Et comme j’ai l’âge de sa maman, Rosalie, je me permets de lui envoyer de temps en temps des petits messages WhatsApp pour l’inviter à rectifier certaines choses, positivement.
Vous incarnez un libéralisme plus progressiste que le sien. En 2019, vous vous étiez présentée au premier tour des présidentielles MR face à lui. Ensuite, après son élection, vous aviez lancé le « Rassemblement des libéraux progressistes » afin de créer un courant idéologique plus centriste au sein du parti.
En 2019, nous sortions de la « suédoise ». Le MR était le seul parti francophone au pouvoir avec la N-VA, l’ogre qui allait tout manger. On a pris tous les coups aux élections communales de 2018 et aux élections générales de 2019. On était cabossé. Déstabilisés, beaucoup de militants que l’on pourrait qualifier de « libéraux sociaux » ou de « libéraux progressistes » sont venus me trouver car j’avais pris position dans le cadre des visites domiciliaires (en 2018, le MR liégeois s’est opposé au système que voulait mettre en place le gouvernement Michel pour le contrôle des étrangers en situation illégale, NdlR). J’ai eu tout le monde en ligne au sommet du MR… On m’a beaucoup « bougé les papiers », comme on dit dans le sud de la France. Ce dossier a été une lame de fond au sein du MR. Nos dirigeants n’en avaient peut-être pas pris la mesure.
Vous auriez pu quitter le MR à ce moment ?
En 2019, lors des élections internes à la présidence, j’ai fait une promesse aux militants : celle de me ranger derrière le panache du président qui serait élu. Au contraire des principaux thuriféraires de Georges-Louis qui ont été les premiers à le dézinguer, je n’ai participé à aucune « nuit des longs canifs », ni passé mes étés à téléphoner pour le faire tomber.
guillement Au contraire des principaux thuriféraires de Georges-Louis qui ont été les premiers à le dézinguer, je n’ai participé à aucune « nuit des longs canifs » ni passé mes étés à téléphoner pour le faire tomber.«
Il y a deux ans, vous avez tout de même été approchée par Jean-Luc Crucke. Ce dernier, à l’époque, voulait créer un parti centriste rassemblant l’aile sociale du MR, Les Engagés et Défi. Vous avez même participé à une rencontre discrète dans un restaurant d’Ixelles.
Oui, oui.. J’ai été beaucoup approchée et courtisée, en tout bien tout honneur. Il y a eu des contacts. Mais mon objectif était local : créer une liste de cartel MR-Engagés à Liège, une espèce de « Liège en mieux », sur le modèle montois. Mais mes troupes n’en ont pas voulu et cela a alimenté ma réflexion. Je suis une libérale dans l’âme et je ne conçois pas de trahir, de partir. Toutefois, à terme, je suis convaincue qu’il faudra une recomposition plus large du paysage politique. Une fusion entre le MR et Les Engagés serait une bonne chose ; et cela finira par arriver. Il faudra bien sûr respecter les spécificités de chacun, les nuances dans ce grand pôle de centre-droit.
Un exemple de ces nuances à respecter ?
Sur la neutralité de l’État, sur l’universalité des valeurs, sur le communautarisme, il n’y a que le MR qui a un discours clair. Je suis peut-être plus centriste que d’autres mais quand je vois ce que Les Engagés ont fait à Bruxelles sur l’étourdissement des animaux avant abattage… Seul le MR est cohérent sur cette thématique. Même Défi a été totalement chèvre-choutiste. La loi civile doit l’emporter sur la loi religieuse. Quand on autorise l’abattage à domicile, par exemple, on sait que la loi sera contournée. J’ai assisté comme échevine du Bien-être animal à des scènes apocalyptiques : les moutons égorgés sans étourdissement se roulaient dans des rivières de sang. Des voisins m’appelaient en pleurant et en hurlant face à ce spectacle…
guillement La loi civile doit l’emporter sur la loi religieuse. Quand on autorise l’abattage à domicile, par exemple, on sait que la loi sera contournée.«