Belgique

”Chez moi, chacun pleure dans son coin pour ne pas faire pleurer l’autre” : au procès des attentats de Bruxelles, des familles dévastées à tout jamais

”Cela fait sept ans, c’est toujours comme le premier jour. Je ne vis plus. Je n’ai plus goût à rien. Dans ma maison, chacun va pleurer dans son coin pour ne pas faire pleurer l’autre”, a conclu la mère de Loubna. Avant d’ajouter que si sa fille était morte de mort naturelle, cela aurait été en quelque sorte normal, mais pas comme cela.

Une telle douleur, décuplée car il s’agit d’une mort résultant d’un acte délibéré, pensé, visant délibérément des personnes tout à fait innocentes, est présente chez de nombreuses victimes qui ont témoigné depuis deux semaines devant la cour d’assises. “La colère et la haine m’ont envahie, immenses, dirigées vers ses assassins car elle est morte assassinée”, a ainsi dit Sarah Esmael Fazal, qui a perdu sa sœur Sabrina dans le métro à Maelbeek.

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Sabrina, alors âgée de 25 ans, avait un fils d’un an et demi. Venue de Wavre en bus, elle avait pris le métro à Delta pour rejoindre l’école d’infirmière où elle suivait les cours.

Ce jour-là, lorsqu’elle s’était levée, sa maman, Rita Gérard, avait, a-t-elle témoigné lundi devant la cour d’assises, “un drôle de ressenti, une impression désagréable, inexplicable, qui ne me ressemble pas”.

Elle allume la télé et apprend qu’il y a eu des attentats à l’aéroport. Elle crie. Elle réveille son mari. Elle connaît le parcours de sa fille. Elle est “envahie par l’angoisse”. Elle tente d’appeler sa fille à plusieurs reprises. Elle n’aura jamais de réponse.

Le tour des hôpitaux

Elle est rongée par l’inquiétude. Elle fait le tour des hôpitaux. Le lendemain, à l’hôpital militaire où sont rassemblées les familles, une amie, qui travaille là-bas, lui dit : “Si tu n’as pas encore de nouvelles, c’est qu’il n’y a pas d’espoir”.

Devant la cour, Rita Gérard s’exprime lentement, d’une voix douce. Elle choisit ses mots, ponctués de silence. Sa voix est quelquefois tremblante. Chacun, dans la salle d’assises, retient son souffle en l’écoutant. “Cette attente est insupportable”, dit-elle. Ce n’est que cinq jours plus tard, alors que la famille, très croyante, prie à la maison avec des proches de la même congrégation, que des policiers viennent lui annoncer la terrible nouvelle.

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On lui déconseille d’aller voir le corps, qui est terriblement mutilé. C’est son mari, le père de Sabrina, qui ira le reconnaître. “Il n’en sortira pas indemne. Cette image le hante toujours. Il ne m’a pas décrit le corps et j’ai refusé de voir les images.”

Rita Gérard est tombée en dépression. Toute la famille a été terriblement marquée. “Ma maman s’est laissée mourir. Elle est décédée de tristesse”. Son mari a également sombré dans la dépression. “Il m’a dit : ‘Vous n’avez pas vu ce que j’ai vu’. La vue le hantera jusqu’à son dernier souffle.”

La vie de ses enfants a été “marquée au fer rouge à jamais”. Rita Gérard a ainsi appris que son fils, qui avait 14 ans lors des attentats, allait parfois sur la tombe de Sabrina. “Il se couche sur la tombe pour être en contact avec elle. Comment imaginer son fils tellement triste et voir que son seul refuge est la pierre froide du cimetière.”

Le fils de Sabrina a grandi. Il lui pose des questions. “Il m’a dit : ‘Mamina, comment on fait pour aller au ciel’. Quand je lui ai demandé pourquoi, il m’a dit : ‘C’est pour aller voir maman’.”

Des proches de victimes s’interrogent: comment peut-on commettre de tels actes au nom de la religion?

Sarah, la sœur de Sabrina, a enfin réussi à se relever. “Après six ans de combat contre moi-même, d’auto-destruction, je deviens la femme que j’ai voulu être.” Elle a retrouvé la foi : “Je vous pardonne car je n’ai plus aucune haine”, a-t-elle dit en direction des accusés.

Au nom de la religion ?

Cette foi, Rita Gérard, ne l’a jamais perdue : “Comment peut-on au nom d’une religion ôter la vie de personnes innocentes ? Je me demande quel regard ils ont sur les horreurs qu’ils ont commises. Ont-ils des remords ?”, a-t-elle dit en direction des accusés. “Ces gens se cachent derrière la religion. Je suis musulmane. Cela n’a rien à voir avec la religion”, a de son côté asséné la mère de Loubna Lafquiri.

Mais Rita Gérard a voulu terminer avec une anecdote plus légère. “Sabrina adorait les boules de Berlin. J’ai toujours détesté cela. Mais depuis la disparition de Sabrina, il m’arrive d’en acheter et de croquer dans ces pâtisseries pour me rappeler le souvenir et le plaisir que Sabrina avait à en manger.”