Belgique

Charleroi : un rapport dénonce des logements malades et une action publique maltraitante

Environ 10.000 ménages carolos seraient confrontés à des problèmes majeurs d’humidité. En Belgique, 55.000 jours d’école manqueraient chaque année à cause de l’humidité dans les logements.

10.000 ménages concernés par des problèmes d’humidité

Le rapport indique qu’environ 10.000 ménages à Charleroi rencontreraient d’importants problèmes d’humidité. Ces problèmes sont souvent associés à : moisissures, infiltrations d’eau, installations électriques non conformes, planchers fragilisés…

Audrey, porte-parole du syndicat Carolocataires Ensemble, a vécu plusieurs mois dans un logement insalubre au centre-ville :

Les toilettes de l’étage supérieur fuyaient à travers les murs. Cela provoquait la putréfaction dans le mur en bois, le rendant fragile et menaçant de s’effondrer. Les prises de courant prenaient feu, le plancher s’effondrait.

Ces conditions, selon le rapport, ont des conséquences graves sur la santé des habitants.
Les moisissures sont particulièrement pointées du doigt comme responsables de troubles respiratoires, surtout chez les enfants. En Belgique, 55.000 jours d’école seraient perdus chaque année à cause de l’humidité dans les logements.

© Tous droits réservés

Pourquoi rester dans un logement dangereux ? L’impasse du marché locatif

Le rapport met en exergue l’un des paradoxes de la crise à Charleroi : les locataires ne choisissent pas de vivre dans de telles conditions, ils n’ont pas le choix.

L’offre de logements de qualité y est extrêmement limitée, et encore plus rare à des prix abordables. Selon le rapport, il est presque impossible pour les personnes travaillant à temps partiel, les mères célibataires ou les retraités de trouver un logement décent.

Selon l’Observatoire wallon du Logement, les logements insalubres ont vu leur prix augmenter plus rapidement que d’autres types de logements. Ce phénomène est particulièrement marqué à Charleroi, où l’achat d’appartements reste attrayant pour les investisseurs attirés par des rendements élevés. « Cela se confirme » précise le rapport, « au regard des bailleurs avec lesquels le syndicat est en contact : on retrouve de nombreux bailleurs multipropriétaires, ce qui casse l’image de “petits bailleurs modestes” et souligne qu’il serait pertinent d’examiner plus en profondeur les rendements dans ce marché plutôt opaque. »

Un service salubrité qui effraie parfois

En théorie, la Ville dispose d’un service chargé de constater l’insalubrité. Cependant, dans la pratique, une fois l’arrêté de fermeture prononcé, c’est au locataire de se reloger, souvent sans solution.

Cette réalité incite certaines personnes à redouter l’intervention de ce service. Audrey témoigne :

« À cette époque, oui. J’avais vraiment peur. Je n’avais pas les moyens de me reloger dignement. J’étais seule et je craignais de me retrouver à la rue si le service de salubrité venait à visiter le bâtiment.

Selon le syndicat Carolocataire Ensemble, la ville de Charleroi reconnaît le problème dans sa brochure explicative destinée aux locataires désireux de dénoncer l’insalubrité de leur logement : « obtenir un arrêté d’inhabitabilité conduit à une expulsion dans un délai variable suivant la gravité de la situation, sans garantie d’obtenir un logement social ou d’urgence. Assurez-vous d’avoir des pistes de relogement pour éviter de vous retrouver à la rue. »

Le rapport met également en lumière des situations absurdes : lorsque qu’un arrêté de fermeture est prononcé, cela ne met pas fin au bail. Une locataire, Léa, en a fait l’amère expérience. Elle a été expulsée parce que son logement a été déclaré insalubre… mais poursuivie par son propriétaire pour non-paiement de loyer.
C’est une “triple peine”, selon le syndicat : insalubrité, expulsion, poursuites.

© Tous droits réservés

Quelles solutions ? Le syndicat avance plusieurs pistes

La première étape à envisager, selon le syndicat Carolocataire, est d’éviter autant que possible les arrêtés de fermeture : « cela doit devenir l’exception et non la norme », estime Arnaud Bilande, coordinateur du Rassemblement wallon pour le droit à l’habitat, qui a participé au rapport.

Il affirme que les arrêtés de fermeture représentent une fausse bonne idée, car ils laissent les locataires sans solution… Et n’incitent pas les propriétaires en infraction à procéder à des rénovations sérieuses.

“Les propriétaires savent qu’ils vont avoir un arrêté de fermeture, puis ils pourront relouer. Un simple coup de peinture, et c’est reparti.”

Le rapport critique des constatations de salubrité jugées trop superficielles : il est question de l’humidité, mais sans chercher sa source. « On ne cherche pas à comprendre les causes », déplorait Arnaud Bilande.

« Des diagnostics plus complets sont nécessaires pour fournir des recommandations aux bailleurs sur les travaux à réaliser, ou aux locataires concernant d’éventuels changements de comportement. »

Carolocataires Ensemble soutient que la ville de Charleroi dispose des ressources nécessaires pour réaliser ces études approfondies : « il existe des acteurs capables d’effectuer ces diagnostics. » Le syndicat mentionne notamment Charl’isol, qui aide les propriétaires dans leurs projets de rénovations énergétiques.

Carolocataires souhaiterait également qu’avant toute expulsion, le propriétaire et le locataire soient systématiquement interrogés.Actuellement, ces auditions ne sont pas obligatoires.

Sanctionner davantage les propriétaires négligents

Le syndicat réclame des sanctions accrues à l’égard des propriétaires négligents, un travail qui doit s’effectuer à tous les niveaux de pouvoir. Cependant, Arnaud Bilande souligne que la commune peut agir immédiatement.

La commune peut, selon le code wallon, entreprendre les travaux à la place du bailleur s’il refuse, et se faire rembourser par les loyers que la commune pourrait percevoir.

Il s’agit d’une procédure complexe, reconnait le syndicat, mais elle est faisable.

Si une expulsion est inévitable : inverser la responsabilité

Lorsque l’état du logement est attribuable aux manquements du propriétaire, Carolocataires Ensemble préconise que ce soit le propriétaire qui prenne en charge le relogement : « c’est déjà le cas en France ou en Flandre, par exemple. »

Le rapport souligne également qu’une autre solution pourrait être mise en œuvre par les pouvoirs publics : mobiliser le fonds wallon de relogement. Ce fonds, créé en 2015, est alimenté par les amendes infligées aux propriétaires, mais « il n’a jamais vraiment été utilisé », regrette Arnaud Bilande.

“Les modalités sont tellement compliquées que personne ne s’en sert.
Nous enjoignons la commune de Charleroi à faire les démarches nécessaires pour pouvoir utiliser cet argent.”

Le montant disponible serait de 500.000€.