”Cet acte pourrait s’apparenter à du terrorisme raciste, planifié par un groupe bien connu de hooligans qui gravitent autour du FC Bruges”
Marco Martinielleo, sociologue à l’ULiège et spécialiste du racisme et de l’antiracisme dans le football, décortique les incidents qui ont éclaté en marge du match de Coupe de Belgique, à Bruxelles, le dimanche 4 mai. Le rendez-vous est fixé sur la place Sainte-Catherine, à Bruxelles, là où les hooligans du noyau dur de Bruges ont démarré leur escapade en direction de Molenbeek.
- Publié le 10-05-2025 à 15h33
- Mis à jour le 10-05-2025 à 15h38

Comment qualifier ce qui s’est passé dimanche avec les hooligans de Bruges ?
Puis-je être radical ? Oui ? Alors selon moi, cet acte pourrait s’apparenter à du terrorisme raciste, planifié par un groupe bien connu de hooligans qui gravitent autour du FC Bruges. Bien évidemment, je ne mets pas cela sur le même pied que des actes de terrorisme de grande ampleur, mais j’évoque le mot « terrorisme » parce que le but de ces actes, c’est de terroriser volontairement les gens dans des quartiers spécifiques où vivent des personnes d’origine immigrée. De mon point de vue, on ne peut d’ailleurs pas se limiter à une approche de la sociologie du sport. Je crois qu’il faut convoquer la criminologie, les sciences politiques, voire l’anthropologie pour décortiquer ce qui s’est passé. Il faut se demander ce que cela dit de l’évolution de notre société. Que signifie le fait de voir un groupe d’une cinquantaine d’hommes blancs, tout de noir vêtus, se permettant d’aller dans un quartier pour cibler une population en fonction de son origine ou sa religion et la terroriser ? C’est la question à se poser. Bien qu’il n’y ait pas eu de mort, c’est quelque chose de terrifiant
On dit ici qu’il s’agit de hooligans. Quelle est la différence avec des supporters et des ultras ?
Les supporters, ce sont des personnes qui aiment le football et qui vont voir l’équipe qu’ils supportent, et c’est tout. Les ultras ont la volonté de défendre et de soutenir le club quelque quelles que soient les circonstances. Ils le font de manière expressive, en portant notamment les couleurs du club avec des tifos. Ce qui compte pour un ultra, c’est l’amour du club. Et s’il y a violence, c’est secondaire tandis que pour les hooligans, la violence l’emporte sur tout le reste. La plupart du temps, les hooligans ne portent même pas les couleurs de leur club et profitent surtout de l’occasion d’un match pour s’adonner à la violence en ciblant habituellement les hooligans d’un autre club. En principe, ils ne font pas ce qui s’est passé dimanche dans les rues de Bruxelles. Même si certains groupes de hooligans se sont déjà distingués par des actes racistes comme ce fut le cas dimanche.
C’est le cas du groupe brugeois qui s’est mis en évidence dimanche à Bruxelles ?
Oui. Il s’agit des « North Fanatics 13 ». C’est un groupe qui est officiellement dissous depuis quelques mois à la suite d’actes racistes. Force est de constater qu’ils ne sont pas si dissous que cela… Je précise qu’il y a plusieurs groupes de hooligans en dehors de ceux de Bruges. Il y a les « Brussels boys », liés au RWDM, qui sont proches de l’extrême droite. Mais il est important de préciser que tout hooligan n’est pas forcément d’extrême droite. Par contre, les « North Fanatics 13 », eux, sont clairement liés à l’extrême droite. D’ailleurs, ils le revendiquent.


Est-ce qu’il y a des liens évidents, organiques ou interpersonnels avec des partis comme le Vlaams Belang ?
Il y a certainement des électeurs du Vlaams Belang parmi les membres de ce groupe. Mais ce n’est pas quelque chose que l’on peut établir sur la base de statistiques claires ou d’un organigramme. Ce qui est évident, c’est qu’il y a une filiation avec l’extrême droite que l’on voit d’ailleurs à travers certains gestes ou sur certaines bannières. Rappelons que ce sont des hooligans de Bruges qui avaient fait le salut de Kühnen (salut à trois doigts utilisé pendant la période nazie au cours de certaines célébrations, NdlR) tout en brandissant des bannières sur lesquelles il était inscrit « Anti antifa ». Quand on se définit contre l’antifascisme, tout est dit.
Il y a eu des condamnations du monde politique, mais certains ont mis sur un pied d’égalité les attaques des hooligans et la réaction des jeunes de Molenbeek. Qu’en pensez-vous ?
Mettre dos à dos les deux groupes, c’est un peu ce que Trump avait fait lorsqu’il y avait eu les violences graves avec mort d’homme lors d’une manifestation à Jefferson. Pour moi, c’est une réduction de la réalité, parce que je suis convaincu que sans l’attaque des hooligans à Molenbeek, les jeunes des quartiers n’auraient jamais rien fait. Oui, cela ne se passe pas dans un contexte qui n’est pas vierge de toutes tensions, à Bruxelles. Mais il faut remettre les choses dans leur contexte. Ce sont les hooligans qui ont débarqué à Molenbeek, puis cela a entraîné une réaction violente.
Et donc, est-ce du hooliganisme ou est-ce une action d’extrême droite ?
C’est du hooliganisme d’extrême droite. On a vu dans les vidéos qui circulaient un peu partout que ces gens proféraient des insultes racistes en ajoutant « on va tous vous tuer, rentrez dans votre pays ». Sur les réseaux sociaux, de nombreux commentaires allaient d’ailleurs dans le même sens. Et cela ne venait pas nécessairement de la part d’individus se définissant hooligans, mais de la part de personnes qui soutiennent les idées et les discours appelant certaines populations à « retourner dans leurs pays ».
Qu’est-ce que cela traduit ?
Que ces discours, c’est un peu dans l’air du temps. L’idée selon laquelle les migrations et les minorités sont un problème est véhiculée un peu partout au sein de la société. Il faut aussi noter que les idées d’extrême droite et le rejet de l’autre percolent auprès de gens qui n’ont parfois même pas conscience que ce qu’ils disent est associé à une idéologie d’extrême droite. Le racisme se banalise et certain se sentent légitimés pour accomplir des actes comme ceux de dimanche.
Pensez-vous que les hooligans de Bruges ont préparé leur action ?
On peut émettre l’hypothèse que c’était un acte prémédité. Chercher la confrontation, cela fait partie de leur philosophie. Ils ont peut-être en plus saisi le moment. Mais il ne faut pas négliger que Molenbeek, en Flandre, jouit d’une image très négative. C’est un lieu lié à des faits de violence ou au terrorisme. Quand Conner Rousseau dit qu’il ne se sent pas chez lui en Belgique lorsqu’il traverse Molenbeek, cela alimente un imaginaire. C’est un exemple parmi d’autres. Il suffit de voir la communication du Vlaams Belang et même de la N-VA sur Bruxelles et ses quartiers. Je pense donc que dans leur logique, venir à Bruxelles et aller mettre « un peu d’ordre » à Molenbeek, ce n’est pas une idée née juste comme ça le jour même.