Bruno Colmant : « Faire monter les présidents de parti au gouvernement? Non, cela affaiblirait le pouvoir législatif »
Tous les présidents de parti qui négocient l’Arizona (N-VA, MR, Les Engagés, CD&V, Vooruit) devraient participer au futur gouvernement fédéral. Telle est l’invitation que formulait il y a quelques jours le président du MR Georges-Louis Bouchez à l’adresse de ses collègues. Son argument : garantir l’efficacité de l’exécutif en ces temps de crises, en propulsant ministres ceux qui ont négocié l’accord gouvernemental. Bonne ou mauvaise idée ? « La Libre » a posé la question à Bruno Colmant, économiste, ancien chef de cabinet de Didier Reynders aux Finances et membre de l’Académie royale de Belgique.
- Publié le 14-01-2025 à 06h37
Pourquoi êtes-vous défavorable à l’idée que les présidents de parti, qui ont pourtant négocié l’accord de gouvernement, embarquent dans l’exécutif ?
Je n’y suis pas favorable car, dans un système aussi particratique que le nôtre, je crains que cela accentue la discontinuité démocratique, que cela affaiblisse encore un peu plus le rôle du parlement. Je m’explique. En Belgique, le vote d’un adhérent de parti est en pratique plus important que le vote d’un électeur lambda. Nous, citoyens, pouvons élire de futurs parlementaires mais dont nous savons qu’ils vont obéir aux ordres d’un président de parti qui, lui-même, a été élu par des adhérents de parti.
Si les présidents de parti deviennent ministres, cela signifie que le gouvernement n’émane pas du parlement. Nous sommes pourtant dans un régime parlementaire. Et comme les députés ont été désignés sur une liste par leur président de parti, sont élus le cas échéant, et sont eux-mêmes rattachés à des quotas politiques, cela veut dire que le parlement ne peut plus jouer son rôle de contre-pouvoir. Les partis politiques s’installent dans l’exécutif lui-même et ce dernier, par la force des choses, n’est plus contrôlé par le législatif. On inverse par conséquent l’émanation du pouvoir.
En pratique, c’est déjà le cas : les personnalités, parlementaires ou non d’ailleurs, qui deviennent ministres sont désignées par leur président de parti…
Oui, c’est exact. Raison de plus, donc, pour ne pas en faire une coutume qui risquerait de se perpétuer, pour ne pas « institutionnaliser » la chose. Je crains que l’on ne puisse faire marche arrière. Le danger majeur est non seulement que le pouvoir soit concentré dans les mains de quelques personnes, mais également que nous n’ayons plus de chambre d’écho, d’agora qui permet de débattre. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui que le Sénat est devenu une coquille vide en Belgique, là où la plupart des pays ont conservé un système bicaméral. C’est une perte d’intelligence collective.
En réalité, c’est comme dans une entreprise : un CEO qui impose tout seul ses ordres finira par se tromper. Il faut par conséquent être contredit. Il y a aujourd’hui une tendance – observable en France, aux États-Unis – à voir le pouvoir devenir de plus en plus autoritaire par un renforcement de l’exécutif au détriment du législatif. Je pense qu’elle doit être interrogée. La question de savoir ce que nous voulons comme projet de société doit être débattue au parlement. Je crois très fort à cette idée de contre-pouvoir.
Pour le reste, je reconnais que cette formule présente au moins l’avantage de la cohérence puisque ce sont en effet les personnes qui ont négocié l’accord gouvernemental qui seraient amenées à le défendre par la suite durant la législature.