Belgique

Belfius : six questions sur sa privatisation partielle

1. En octobre 2025, l’État s’oriente vers une privatisation partielle de Belfius, en considérant que sa mission de sauvetage est accomplie depuis le nationalisation de la banque en 2011. La vente d’une participation de 20% à 25% pourrait rapporter à l’État belge entre 2 et 2,5 milliards d’euros, selon Mikael Petitjean.

2. À la fin de 2023, l’exposition effective de la Belgique concernant les garanties d’État de Dexia était d’environ 19 milliards d’euros, représentant les flux futurs de capital et d’intérêts que Dexia doit encore payer sous la garantie de l’État.


Cet article a été publié initialement en octobre 2025, lors du début du conclave budgétaire. Nous le republions ce vendredi 5 décembre, à l’occasion du vote du conseil des ministres.

### 1. Pourquoi l’État veut-il privatiser Belfius ?

Pour comprendre les motivations derrière la privatisation partielle de Belfius, il est crucial de revenir sur l’histoire récente de la Banque, notamment la crise financière. En 2011, après l’effondrement de plusieurs institutions financières, l’État a racheté Dexia pour 4 milliards d’euros, dans le but de protéger la banque et les épargnants. Dexia a été dissoute, et deux entités distinctes ont été créées : Belfius, qui suit un chemin plus stable, et une structure de défaisance destinée à gérer les actifs toxiques de l’ancienne Dexia Banque Belgique.

Avec le temps, le secteur bancaire s’est redressé. Au lieu de vendre Belfius, l’État a commencé à en percevoir des dividendes. « Plutôt que de vendre Belfius, l’État demande une contribution, un dividende, à la banque. Il s’agit pour partie également d’une compensation par rapport au sauvetage lui-même », déclare Roland Gillet, professeur d’économie financière à la Sorbonne Université Paris1 et à la Solvay Brussels Schools of Economics & Management de l’ULB.

Après 14 ans, le paysage économique et financier a évolué, et Belfius est devenue une bancassureur robuste. La question de sa privatisation partielle revient au premier plan, d’autant plus que les finances publiques sont tendues et que l’État a besoin de liquidités pour son budget.

« Après avoir nationalisé la banque pour la sauver de la faillite de Dexia en 2011, l’État considère que sa mission de sauvetage est accomplie », souligne Mikael Petitjean, professeur à la Louvain School of Management de l’UCLouvain. « Belfius est devenue une banque rentable. La vente d’une partie de ses parts permettrait de récolter les fruits de cet investissement forcé et de financer d’autres priorités. »

Le contexte budgétaire actuel justifie la privatisation envisagée, mais cela soulève également des questions sur le rôle de l’État en tant que propriétaire intégral d’une banque. Les opinions divergent, mais Roland Gillet souligne qu’ »il y a, outre la BCE, des régulateurs nationaux qui surveillent le secteur bancaire, dont Belfius. N’y a-t-il pas un risque de conflit d’intérêts, surtout que l’État en est actionnaire à 100% ? »

La privatisation partielle de Belfius aujourd’hui ne peut être comprise sans la crise financière de 2008 et le sauvetage qui a suivi. À cette époque, l’État avait aussi sauvé Fortis en prenant des parts dans BNP Paribas Fortis, à hauteur de 5,1 %, « ce qui représenterait actuellement 4,5 milliards d’euros ». Cette valorisation est « proche de la moitié de la valeur de Belfius », selon Mikael Petitjean. Cette participation est gérée par la Société Fédérale de Participations et d’Investissement (SFPI).

### 2. Quelle est la privatisation envisagée pour Belfius ?

L’État envisage une **privatisation partielle de Belfius** et non totale. La solution privilégiée n’est pas une introduction en Bourse (IPO), mais plutôt une vente privée d’une partie des actions.

Ce n’est pas la première fois qu’une privatisation est envisagée. Une entrée en Bourse avait été considérée en 2018 mais a été rapidement abandonnée, les conditions n’étant pas favorables à ce moment-là, et l’État préférant continuer à percevoir des dividendes.

« Le scénario sur la table est un placement privé, c’est-à-dire la vente d’un bloc d’actions – probablement entre 20 % et 25 % du capital – à un ou plusieurs investisseurs institutionnels de long terme. Cela pourrait inclure des fonds de pension, des compagnies d’assurance ou d’autres acteurs financiers stables. L’objectif est d’assurer la stabilité de l’actionnariat tout en permettant à l’État de rester l’actionnaire majoritaire et de garder le contrôle stratégique de la banque », précise le professeur Mikael Petitjean.

### 3. Que rapportera la privatisation partielle de Belfius à l’État ?

Avec un bénéfice net de 1,127 milliard d’euros en 2024 et des fonds propres de l’ordre de 12,2 milliards d’euros, la valorisation totale de Belfius est estimée à environ 10 milliards d’euros, selon Mickael Petitjean. « La vente d’une participation de 20% à 25% pourrait rapporter à l’État belge **entre 2 et 2,5 milliards d’euros**. Le montant final dépendra bien sûr de la valorisation exacte négociée avec les investisseurs au moment de la transaction. »

Belfius est également une source de revenus significative pour l’État grâce aux dividendes qu’elle verse chaque année, totalisant 444 millions d’euros en 2024. De plus, la banque versera un dividende exceptionnel de 250 millions d’euros et une avance de 250 millions d’euros, renforçant le budget de la Défense.

Le bénéfice que l’État tirera de la privatisation dépendra à la fois de la valorisation de Belfius et des intentions du potentiel acquéreur. Plusieurs scénarios sont envisageables : l’acquéreur pourrait vouloir acquérir seulement 20 à 30 % ou espérer obtenir le contrôle de la banque à long terme.

« Certains pourraient se contenter de 25 à 30 %. Mais s’ils savent que ce sera 25 à 30 % sans possibilité d’avoir une réelle minorité de blocage, ils risquent de payer moins cher », explique Roland Gillet.

Divers acquéreurs pourraient montrer un intérêt, notamment des fonds de pension étrangers ou des acteurs belges comme AB InBev ou Ackermans & van Haaren.

### 4. Quel risque financier l’État prend-il avec la privatisation ?

En vendant une partie de Belfius, l’État ne percevra plus les dividendes actuels et ses revenus futurs en seront impactés. Depuis 2012, Belfius a rapporté environ 4 milliards d’euros en dividendes à l’État, somme équivalente à ce qu’a coûté le sauvetage de la banque en 2011.

« Un autre risque, plus politique que financier, est la perte d’influence sur la stratégie de la banque », ajoute Mikael Petitjean. Bien que l’État demeure majoritaire, il devra composer avec les intérêts des nouveaux actionnaires privés qui pourraient avoir des exigences de rentabilité plus élevées.

La vente d’une partie de Belfius amplifie-t-elle la logique de marché ? C’est ce que pense le professeur à la Solvay Brussels School of Economics and Management de l’ULB, Marek Hudon : « À court et moyen terme, on ancre l’entreprise dans une finalité plus traditionnelle d’une banque privée alors qu’historiquement, Belfius est la banque des communes. »

« Dans les faits, c’est moins le cas actuellement, mais avec une privatisation partielle, on s’éloigne des missions de service à la communauté qu’il va falloir défendre dans la négociation avec l’investisseur privé », ajoute-t-il.

Quoi qu’il en soit, selon le professeur d’économie de la Louvain School of Management de l’UCLouvain, « peu importe les risques liés à la privatisation, il ne faut pas attendre la prochaine crise bancaire pour vendre les participations de l’État au rabais ».

### 5. Quel sera l’impact pour les clients de Belfius ?

Les experts s’accordent à dire que l’impact d’une privatisation partielle sera très limité, voire inexistant, pour les clients à court terme. La stratégie de la banque est bien établie et il y a peu de chances que les nouveaux actionnaires la modifient. Avec l’État détenant toujours 70 %, « je vois mal comment quelqu’un de minoritaire pourrait significativement changer la stratégie de la banque », analyse Roland Gillet.

Cependant, si cette privatisation n’est qu’une étape vers une prise de participation plus importante, les clients pourraient ressentir des effets à moyen ou long terme, mais cela n’est pas le scénario actuellement envisagé.

### 6. La crise financière de 2008 est-elle oubliée ?

La crise financière a eu un impact profond, mais elle a également conduit à des réformes soulignant la solidité accrue du secteur bancaire par rapport à 2011. D’importantes réglementations ont été mises en place au niveau européen et mondial, imposant des ratios de solvabilité plus stricts. Roland Gillet note que « le risque zéro n’existe pas, mais la majorité des banques sont dans un meilleur état en termes de couverture et de gestion des risques qu’elles ne l’étaient en 2008. »

Mikael Petitjean souligne que les banques doivent maintenant détenir des niveaux de capitaux propres et de liquidités nettement plus élevés, capables d’absorber les chocs. La capacité de Belfius à verser près d’un milliard d’euros de dividendes en un an sans compromettre sa solidité témoigne de cette nouvelle réalité.

Cela dit, il reste des « traces » de la débâcle de Dexia, gérées par la structure de défaisance. À la fin de 2023, l’exposition effective de la Belgique était d’environ 19 milliards d’euros, correspondant aux flux futurs de capital et d’intérêts que Dexia doit encore rembourser sous garantie d’État. Ces obligations demeurent non apurées tant qu’elles ne sont pas arrivées à échéance et remboursées correctement.