Belgique

Arrêter de fumer grâce à un laser dans l’oreille : enquête.

« Addictik » a ouvert 23 centres en deux ans sur le territoire belge, ainsi qu’une dizaine de centres en France, aux Pays-Bas et au Luxembourg. Certaines entreprises d’auriculothérapie laser promettent des taux d’efficacité supérieurs à 80%, mais le docteur Christian Melot déclare que « ce n’est pas du tout une médecine reconnue ».


Si vous avez tenté d’arrêter de fumer, vous avez certainement rencontré ces publicités séduisantes : « En finir avec la cigarette en une seule séance », « Sans effets secondaires, sans douleurs, sans prise de poids », « Les sensations de manque disparaissent instantanément ».

Quelle est donc cette méthode miracle ? En cliquant sur ces annonces, on découvre des entreprises qui se développent ces dernières années : des cabinets d’auriculothérapie laser.

Cette technique, inspirée de l’acupuncture, repose sur l’idée que le pavillon de l’oreille est une carte du corps humain. En stimulant certains points précis, que ce soit avec des aiguilles ou un laser, on pourrait atténuer des douleurs ou encore stopper des dépendances.

Parmi les principales entreprises d’auriculothérapie laser, on trouve « Addictik ». Babar Suleman, acupuncteur et fondateur de l’entreprise, a ouvert 23 centres en seulement deux ans en Belgique. « On a également ouvert une dizaine de centres en France, aux Pays-Bas et au Luxembourg. La demande ne cesse d’augmenter », déclare-t-il.

Pour comprendre le fonctionnement, nous assistons à une séance dans l’un de ses cabinets à Mont-Saint-Guibert. Linda, une patiente, vient pour la première fois afin de surmonter son addiction au sucre. « Une fois que je commence, je ne sais plus m’arrêter », confie-t-elle. « J’ai vu cette annonce sur les réseaux sociaux et tous les avis positifs m’ont donné envie d’essayer. »

Après avoir discuté avec Linda, l’auriculothérapeute active certains points dans son oreille gauche. « C’est complètement naturel et indolore, sans effets secondaires. On ressent un soulagement immédiatement », explique-t-il en marquant les zones à stimuler.

Avec un laser, il passe environ 30 secondes sur chaque point et termine en plaçant de petites billes qui resteront quelques jours dans l’oreille de Linda. « Il faudra les masser pour continuer à stimuler les points », lui précise-t-il.

La séance dure un peu moins d’une heure et coûte 170 euros. Pour l’acupuncteur, ce prix est justifié : « La personne le rentabilise assez rapidement. Par exemple, un fumeur qui arrête durant 10 jours a déjà rentabilisé la séance. Ce n’est pas une perte. Puis c’est aussi pour la motivation. Si la personne paye 30 euros, la motivation n’est pas vraiment là, parce qu’elle pense que si ça ne fonctionne pas, ce n’est pas grave. » Il ajoute que les séances en cas de rechute sont garanties gratuites pendant un an.

Mais est-ce efficace ? Nous prenons les coordonnées de Linda.

Une semaine après la séance, nous rappelons Linda. Ses envies de sucre ont-elles disparu ? « Oui, ça marche vraiment, je n’ai plus du tout envie, je suis écœurée. J’ai croqué par automatisme dans un gâteau et je n’ai pas pu l’avaler, donc ça fonctionne très bien ! J’ai perdu presque deux kilos et mon sommeil s’est amélioré. »

Un miracle pour Linda, comme pour de nombreuses personnes, si l’on se fie aux nombreux commentaires enthousiastes sur les réseaux sociaux.

Cependant, tout le monde ne connaît pas le même succès. Joëlle, une autre patiente, a également été séduite par les avis positifs dans sa tentative d’arrêter de fumer : « Au début, j’étais en confiance. On m’a donné des explications, mais je n’ai pas bien compris. Après le laser, deux jours plus tard, je fumais de nouveau. J’y suis retournée, car la séance de 190 euros incluait des séances gratuites en cas de rechute. Cette fois-ci, ça m’a fait mal, et le lendemain, je fumais à nouveau. Je me suis dit que c’était une arnaque, un gaspillage d’argent. »

Les résultats semblent donc varier d’une personne à l’autre. Certaines entreprises d’auriculothérapie laser avancent des taux d’efficacité dépassant 80 %.

« Cela me paraît énorme », réagit Anna Argento, tabacologue et coordinatrice chez Tabacstop. À titre de comparaison, « chez Tabacstop, le taux de réussite est de 50 % à la fin de l’accompagnement. 22 % maintiennent ce sevrage après 6 mois, et 19 % après un an. Ces chiffres reposent sur des techniques scientifiquement prouvées. » Affirmer un taux de réussite supérieur à 80 % avec une séance au laser d’une heure semble donc très optimiste.

La question se pose : l’efficacité de l’auriculothérapie laser est-elle prouvée scientifiquement ? « Je n’ai pas de données scientifiques pour affirmer que c’est efficace et utile pour les patients », répond Pierre Cole, chef de service de psychiatrie et d’addictologie au CHU Tivoli à La Louvière. « Si c’était si simple d’arrêter une addiction, on le saurait depuis longtemps. »

L’Ordre des médecins partage cette opinion. « Ce n’est pas du tout une médecine reconnue », déclare le docteur Christian Melot, vice-président du conseil national. « Le seul effet, c’est l’effet placebo. Ils reprennent des codes médicaux alors que ce n’est pas enseigné en fac de médecine. Si ce traitement marchait vraiment, tout le monde irait chez l’auriculothérapeute. »

Concernant la reconnaissance par l’Organisation Mondiale de la Santé, certaines entreprises annoncent que l’auriculothérapie laser est validée par l’OMS. Cependant, rien n’indique cela. En contactant l’OMS, nous avons reçu la réponse suivante : « L’auriculothérapie est issue des systèmes de médecine traditionnelle d’Asie de l’Est, y compris la médecine traditionnelle chinoise. Actuellement, l’OMS ne reconnaît officiellement aucune thérapie médicale traditionnelle. »

Cette information a été rapportée au directeur d’Addictik, qui avait mentionné que l’auriculothérapie laser était reconnue par l’OMS sur son site. Depuis, il a retiré cette affirmation.

Les entreprises d’auriculothérapie laser évoquent également des dépendances au cannabis, à l’alcool, à l’héroïne, au crack et autres drogues dures. Peut-on réellement traiter de telles dépendances sans suivi médical ? « Non », répond le directeur d’Addictik. « Pour des addictions plus intenses, nous avons des séances plus intensives. En fait, l’état de manque provient des organes. Nous détoxifions les organes. Mais pour la majorité des cas, il n’y a jamais vraiment eu de médicaments. »

Pierre Cole, chef du service de psychiatrie et d’addictologie à Tivoli, s’inquiète de cette approche : « L’alcool est l’une des substances les plus dangereuses à arrêter. Lors du sevrage, des crises d’épilepsie, des épisodes confusionnels peuvent survenir. On ne doit jamais arrêter brutalement l’alcool, un bilan médical est nécessaire avant le sevrage. Donc je suis très inquiet face à cela. »

La possibilité que l’auriculothérapie puisse jouer un rôle dans un processus de sevrage suscite aussi des débats. « Cela peut être un coup de pouce », nous dit Anna Argento. Le service gratuit reçoit beaucoup d’appels concernant l’auriculothérapie. « On nous demande si ça marche vraiment. Nous informons que ce n’est pas prouvé scientifiquement, que c’est une alternative, et nous laissons la personne faire ses propres choix. Cela peut être une étape du sevrage, tant que c’est un choix conscient. »

Le constat est partagé par l’association Infor-Drogues. « Cela reste une porte d’entrée vers le soin », indique Timour Ducarme, chargé de communication. « Parler de son addiction à un médecin ou un psy n’est pas toujours aisé, cela peut être perçu comme un échec. Même si l’auriculothérapie a probablement un effet placebo, cela permet à certaines personnes de commencer un parcours de soins, c’est déjà une avancée. Le fait qu’elles soient entendues, soutenues, et qu’elles se posent des questions sur leur addiction est un premier pas vers le milieu médical. C’est un aspect positif. »

Ainsi, malgré son coût et son absence de validation scientifique pour le traitement des addictions, l’auriculothérapie laser peut avoir un impact sur ceux qui y croient. Cette méthode peut offrir un soutien supplémentaire dans un parcours de sevrage, à condition d’être bien informé et de prendre activement part à son sevrage.