Armée, fascisme, monarchie, Église catholique : fondements de la dictature de Franco
Le 20 novembre 1975, le président du gouvernement Carlos Arias Navarro annonce officiellement la mort de Franco lors d’un message télévisé à dix heures du matin. Le cercueil ouvert de Franco est exposé pendant trois jours avant d’être inhumé au Valle de los Caidos, le site monumental construit au nord ouest de Madrid.
« Espagnols, Franco est mort. » Le 20 novembre 1975, le président du gouvernement Carlos Arias Navarro, visiblement affecté, annonce la mort de Franco dans un message télévisé. Il est dix heures du matin. Plus tôt dans la matinée, les dépêches de l’agence Europa Press ont annoncé la nouvelle après la longue agonie du Caudillo, le « chef militaire », qui avait tenu en haleine tous les Espagnols, que ce soit les franquistes ou les opposants, qu’ils soient en péninsule ou émigrés.
Le dictateur espagnol souffrait de la maladie de Parkinson depuis longtemps, et son état s’était dégradé au fil des années jusqu’à l’automne 1975, lorsque son décès est devenu imminent. Malgré un infarctus, Franco assiste à un conseil des ministres, branché à des électrodes. Il subit plusieurs opérations abdominales en l’espace de trois semaines. Le silence règne sur son état de santé, tandis que les Espagnols spéculent. El abuelo (le grand-père) apparaît affaibli et amaigri.
Malgré sa maladie, Franco garde le contrôle sur le récit de sa vie, le Caudillo maître de l’Espagne, qui, à peine deux mois plus tôt, le 27 septembre 1975, faisait encore exécuter des antifascistes et des militants de l’organisation séparatiste basque ETA.
Cette image d’autorité sera mise à mal par un reportage photographique publié par La Revista en 1984, qui révèle un Franco loin de la propagande officielle. Les images montrent un homme mourant, affaibli, à moitié nu et intubé sur son lit d’hôpital, prises par son gendre et médecin personnel Cristobal Martinez Bordiu y Ortega, le marquis de Villaverde, alors que le Caudillo est maintenu en vie artificiellement. Ces photos controversées provoqueront un vif débat.
À cette époque, ces clichés ne sont pas encore connus. Fin novembre, un corps embaumé est alors présenté aux Espagnols. Le cercueil de Franco est exposé durant trois jours avant son enterrement au Valle de los Caidos, ou Vallée des Tombés, un monument imposant construit au nord-ouest de Madrid pendant la dictature, incluant une basilique souterraine, une abbaye et un ossuaire regroupant les restes de 33 847 victimes de la guerre, principalement des franquistes mais aussi des civils républicains. L’ensemble est dominé par une croix de 150 mètres de haut qui surplombe toute la vallée.
À l’époque, le Valle de los Caidos, rebaptisé depuis 2022 Valle de Cuelgamuros pour devenir un lieu de mémoire pour toutes les victimes du conflit et non plus seulement pour un camp, contenait également le cercueil de Jose Antonio Primo de Rivera.
Cependant, ces images ne sont pas encore révélées au public en 1975, et c’est un corps embaumé qui est affiché aux yeux des Espagnols. Le cercueil de Franco est exhibé pendant trois jours avant d’être inhumé. Le Valle de los Caidos, un lieu monumentale érigé par Franco, servait alors de sépulture.
La possibilité que Franco ait été maintenu en vie jusqu’à sa mort le 20 novembre 1975 pour coïncider avec la date de décès de Jose Antonio Primo de Rivera, le fondateur de la Phalange, a suscité de nombreuses spéculations. Que ce soit vrai ou une légende urbaine, cette coïncidence nourrit la propagande autour de Franco.
La mise en scène de la mort du dictateur survient trente-neuf ans après le golpe, l’échec du coup d’État militaire d’été 1936 qui ouvre une page sombre de l’histoire de l’Espagne : la guerre civile, la victoire des nationalistes sur la seconde république et la dictature de Franco.
Francisco Franco est impliqué dans le coup d’État des généraux, une tentative qui intervient après la victoire du front populaire, une coalition politique de gauche ayant remporté les élections de janvier 1936 sous la seconde république. Cependant, ce golpe échoue, entraînant une guerre fratricide entre nationalistes et républicains.
Franco s’appuie sur l’armée, qui devient un élément central de sa prise de pouvoir. L’historien François Godicheau explique que les forces militaires juguent un rôle crucial, car la seule partie militairement efficace de l’armée espagnole est la légion étrangère, dirigée par Franco, le jeune général en chef de cette unité.
Le slogan de la légion espagnole, « Viva la Muerte! » (Vive la mort !) illustre l’extrême violence qui caractérise cette période. Les légionnaires, surnommés « les fiancés de la mort », sont ceux par qui Franco débutera sa carrière militaire lors de la guerre du Rif.
La guerre civile entraîne des destructions considérables, notamment avec le bombardement de Guernica le 26 avril 1937 par l’aviation nazie et mussolinienne, immortalisé dans l’œuvre de Picasso.
Au cœur de la guerre civile, Franco a besoin d’un soutien politique et se tourne vers la Phalange, qui promeut la violence et l’extermination des ennemis. Après l’exécution de son fondateur en novembre 1936, Franco fusionne la Phalange avec d’autres partis d’extrême droite, notamment les traditionalistes.
L’Église catholique devient également un pilier du franquisme aux côtés de l’armée et de la Phalange. La mobilisation politique des droites, initiée dès 1931, est soutenue par l’Église, qui voit dans toute initiative républicaine une menace à ses valeurs. Victor Fernandez Soriano confirme l’importance de cette alliance, issue d’un ultranationalisme et d’un intégrisme catholique.
Le catholicisme cristallise les haines, ceux qui ne se plient pas à ce régime étant perçus comme des ennemis. Ce sont les prêtres et les religieuses qui figurent parmi les premières victimes, avec plus de 2000 d’entre eux exécutés. La guerre est idéologique et fratricide, les républicains exécutant également des enseignants laïcs et des militants de gauche.
Les institutions répressives opèrent un tri parmi les « ennemis intérieurs », en fonction de leur dangerosité et capacité de rédemption. Les individus jugés irrécupérables sont exécutés, tandis que les autres sont « rééduqués ». Souvent, les dissidents sont séparés de leur famille et placés dans des camps de concentration.
La violence ne provient pas seulement de l’armée mais aussi de groupes paramilitaires et de la police, ainsi que de la population civile, qui fait des dénonciations.
Seule l’Église basque exprime une certaine opposition à Franco, entraînant la répression de plusieurs dizaines de prêtres. Cela retient le Vatican d’une aide totale, bien qu’il l’appuie grandement.
La longévité de la dictature s’explique par sa violence d’une part et par sa capacité d’adaptation d’autre part. Alors que la Deuxième Guerre mondiale redessine le contexte européen, Franco, en restant neutre, échappe au sort d’autres dictateurs.
Le régime franquiste évolue également dans son rapport au monde, adaptant ses alliances : de fasciste, il devient une dictature antisoviétique, s’imposant comme la sentinelle de l’Occident.
À partir de 1953, l’Espagne franquiste établit des relations avec les États-Unis, bénéficiant d’un soutien économique précieux. Ce n’est qu’à partir des années soixante que le pays connaîtra une certaine croissance économique, développant notamment le tourisme.
Malgré cette évolution, il est crucial de noter que la dictature maintiendra son essence répressive. La mort de Franco le 20 novembre 1975 ne marque pas la fin du franquisme, puisque le régime perdurera jusqu’en 1977, marquant une transition démocratique qui ne se fera pas sans difficulté.
Le contexte politique et social reste tendu, et les craintes d’un retour à l’autoritarisme sont réelles. La transition démocratique sera un processus complexe et semé d’embûches.

