Affaire Lenoci : enquête sur l’évasion d’un pédocriminel de la justice
Marc P. a été condamné en 2020 à 37 mois de prison avec sursis pour tentatives de viol sur mineur de moins de 10 ans, suite à des abus commis en 2012 et 2013. Le 29 juin, un père a déposé une plainte contre Marc P. pour des gestes inappropriés envers son enfant, rapportant qu’il échangeait des « câlins » contre des récompenses.
Les images de Marc P. gisant dans une mare de sang, victime des coups violents de Gregory Lenoci, ont choqué la Belgique l’été dernier. Près de trente ans après la disparition de Julie et Mélissa, la pédocriminalité apparaît brutalement dans l’actualité. Cette fois, il ne s’agit pas d’enfants disparus, mais d’un père qui se venge en diffusant la vidéo de l’agression sur les réseaux sociaux.
Rapidement, une ancienne affaire refait surface. Marc P. a déjà été condamné en 2020 pour tentatives de viol avec violence sur un mineur de moins de 10 ans. Les faits remontent à 2012 et 2013. À l’époque, il gardait un petit garçon de 5 ans tous les mercredis pendant que sa mère travaillait, profitant de l’occasion pour abuser sexuellement de l’enfant. Devant le juge, il a justifié ses actes par une addiction aux drogues, minimisant ainsi sa responsabilité.
Pour ces actes, il a écopé de 37 mois de prison avec sursis, à condition de suivre un traitement psychologique, une formation liée à ses pratiques sexuelles déviantes, de cesser sa consommation de drogues et de ne plus fréquenter d’enfants sans la présence d’un adulte responsable.
Dans le quartier résidentiel de Jambes, où Marc P. vit depuis 2018, personne n’était informé de sa condamnation. Un voisin a déclaré : « Quand je l’ai appris, je suis tombé de ma chaise. Il avait l’air plutôt gentil. » Marc P. dit bonjour, rend service et se montre généreux avec les enfants en leur offrant des glaces et des bonbons, et en leur prêtant son téléphone. En été, son garage est ouvert, rempli de jeux et de consoles, floutant la frontière entre la rue et son domicile.
Une voisine, Monique (prénom d’emprunt), se souvient d’une scène étrange : « C’était en mai, il faisait chaud. Nous lui avons demandé de tenir son chien en laisse lorsqu’il se promenait dans le quartier. Nous avons trouvé une dizaine d’enfants en maillot de bain devant son garage, il les aspergeait d’eau. Nous avons trouvé cela vraiment bizarre. »
Le va-et-vient d’enfants chez Marc P. a débuté au moins à l’été 2024. Un père rapporte que sa fille a été attirée là-bas par une copine du quartier qui les emmenait promener le chien de Marc P. avec lui. Parfois, il les emmenait sur son vélo-cargo. Cela fait plus d’un an que Marc P. ne respecte plus une condition de sa probation : ne pas fréquenter d’enfants. Cela aurait probablement suffi pour que son sursis soit révoqué par un juge. Toutefois, l’assistant de justice en charge de suivre sa probation n’était pas au courant que son garage était devenu une salle de jeux pour les enfants.
Stéphane Davreux, directeur général adjoint des Maisons de justice, rappelle que « l’assistant de justice est un travailleur social qui accompagne les justiciables. S’il est informé d’un non-respect des conditions de probation, il doit le signaler au Parquet et à la commission de probation. Mais manifestement, l’assistant n’était pas au courant. Et ce n’est pas son rôle de vérifier dans le quartier que tout se passe bien. Cela relève plutôt de la police. »
La prise en charge thérapeutique de Marc P. était assurée par l’Unité de psychopathologie légale (UPPL), un centre spécialisé dans la criminalité sexuelle. Là encore, rien ne laissait présager les événements à venir. Julien Lagneau, directeur de l’UPPL, déclare : « Nous sommes un service ambulatoire de thérapie. Les justiciables viennent au centre pour rencontrer un psychologue. Nous travaillons avec ce qu’ils veulent bien nous dire et bien sûr avec leur dossier judiciaire. Mais ce n’est pas notre rôle de surveiller le patient dans sa vie quotidienne. Nous n’étions pas en possession d’informations inquiétantes dans ce dossier, sinon nous l’aurions signalé à l’assistant de justice. » Tous les rapports de l’UPPL concernant Marc P. étaient rassurants, le dernier stipulant en juin 2025 qu’il « ne représente pas un danger pour autrui. »
Le 29 juin, un père vient porter plainte à la police avec son enfant de 7 ans. « Un jour, j’ai surpris un geste un peu trop familier entre ce monsieur et mon enfant, un geste qu’on ne fait pas avec un inconnu : se prendre par le bras. Cela m’a interpellé. Mon enfant m’a expliqué que Marc P. échangeait des récompenses, comme des bonbons ou le droit de jouer avec son téléphone, contre des “câlins”. Il l’attirait dans sa chambre, se couchait avec lui, et pendant que l’enfant jouait avec le téléphone, il procédait à des attouchements sexuels. »
Un père furieux s’interroge sur le fait que « ce monsieur aurait dû être en prison. Je ne comprends pas qu’on laisse ce genre de pédocriminels en liberté. » Actuellement, la politique belge favorise les soins plutôt que l’enfermement. Océane Gangi, criminologue à l’ULiège, précise que « durant les années qui suivent la condamnation, souvent les cinq années de sursis, il n’y a que 7% de récidive, ce qui est très peu. C’est pourquoi on essaie au maximum de proposer des sursis probatoires. La prison, en revanche, augmenterait le taux de récidive. Il ne m’étonne donc pas qu’il y ait eu un sursis. »
Le papa qui a déposé plainte le 29 juin sera surpris de réaliser que, dans les jours suivants sa plainte, il ne se passe pas grand-chose dans le quartier. Avec l’apparition du soleil, le garage de Marc P. est de nouveau ouvert, et les enfants viennent de nouveau. « J’étais sidéré. La police m’avait demandé de rester discret pour les besoins de l’enquête. Mais je ne comprenais pas pourquoi on ne venait pas l’arrêter. »
En sachant que Marc P. était en sursis probatoire pour une condamnation de tentative de viol sur mineur, ne fallait-il pas agir immédiatement en le privant de liberté ? Nos demandes répétées d’interview auprès du Procureur du roi sont restées sans réponse.
Trois semaines plus tard, alors qu’il est en vacances avec sa famille, ce père apprend par la presse qu’un habitant du quartier, Gregory Lenoci, a tabassé Marc P., l’accusant d’abus sexuels sur son beau-fils de 6 ans. Le 22 juillet, lorsque G. Lenoci vient chercher son enfant chez Marc P., il pressent une attitude ambiguë. De retour à la maison, il interroge son fils, qui évoque des « jeux » à caractère sexuel avec Marc P. Le lendemain, G. Lenoci se rend au commissariat. Il n’est pas au courant de la plainte déposée le 29 juin, mais tout comme le père, il s’étonne de la lenteur de la réaction de la police.
Le 24 juillet, à 16 heures, Marc P. n’est toujours pas inquiété. G. Lenoci, connu pour ses antécédents criminels, a prévenu sa psychologue qu’il « est en train de péter les plombs ». Deux policiers tentent de le calmer cet après-midi-là. À 16h20, G. Lenoci somme Marc P. de venir s’expliquer. Ce dernier accepte et se rend chez Lenoci où il est accueilli par une pluie de coups, s’effondrant inanimé au milieu du salon. G. Lenoci appelle lui-même les secours à 16h57.
Les hésitations du Parquet de Namur et de la police soulèvent des questions. D’un côté, un pédocriminel sous sursis, sujet à deux nouvelles plaintes en un mois pour abus sexuels sur des enfants ; de l’autre, un condamné sous bracelet électronique qui crie à qui veut l’entendre qu’il se fera justice lui-même. Cette combinaison est explosive. Il aurait suffi d’interpeller l’un des deux pour prévenir la tragédie. Pourquoi avoir attendu ?
Pour une réponse plus claire, il faudra probablement attendre les procès de G. Lenoci, poursuivi pour tentative d’assassinat, et de Marc P. pour ses nouvelles accusations d’abus sexuels sur enfants. À condition qu’il soit un jour capable de se défendre devant la justice, car selon les dernières informations, il est toujours hospitalisé dans un état grave et incapable de répondre aux enquêteurs.

