Affaire Lenoci : enquête sur l’évasion d’un pédo-criminel.
Marc P a déjà été condamné en 2020 pour tentatives de viol avec violence sur mineur de moins de 10 ans, les faits datant de 2012 et 2013. Gregory Lenoci, en liberté surveillée sous bracelet électronique, a tabassé Marc P le 24 juillet, après avoir été informé d’attitudes ambiguës de ce dernier envers son fils de 6 ans.
Les images de Marc P gisant dans une mare de sang, victime des coups de poing de Gregory Lenoci, ont choqué la Belgique l’été dernier. Près de trente ans après la disparition de Julie et Mélissa, la pédocriminalité fait de nouveau les gros titres. Cette fois-ci, il ne s’agit pas d’enfants disparus, mais d’un père qui prend la justice en main et fait le buzz en diffusant la vidéo de l’agression sur les réseaux sociaux.
Une affaire plus ancienne émerge rapidement. Marc P avait déjà été condamné en 2020 pour tentatives de viol avec violence sur un mineur de moins de 10 ans. Les faits remontent à 2012 et 2013. À cette époque, il garde un petit garçon de 5 ans tous les mercredis pendant que sa mère travaille. Il en profite pour abuser sexuellement de l’enfant, ce qu’il reconnaîtra devant le juge, invoquant une addiction aux stupéfiants pour minimiser sa responsabilité.
Pour ces faits, il avait été condamné à 37 mois de prison avec sursis, à condition de suivre un traitement psychologique, de suivre une formation liée à ses pratiques sexuelles déviantes, d’arrêter la consommation de stupéfiants et de ne pas fréquenter d’enfants sans la présence d’un adulte responsable.
Dans le quartier résidentiel de Jambes, où Marc P vit depuis 2018, personne n’est au courant de sa condamnation. « Quand j’ai appris cela, je suis tombé de ma chaise, » confie un voisin. « Il avait l’air plutôt gentil. »
Marc P salue, rend service occasionnellement et se montre généreux avec les enfants, leur offrant des glaces et des bonbons. En été, la porte de son garage reste ouverte, proposant des jeux et des consoles. La frontière entre le trottoir et le domicile privé est floue, les enfants sont à l’extérieur, puis à l’intérieur…
Une scène a particulièrement marqué Monique (prénom d’emprunt), qui habite deux rues plus loin. « C’était en mai, il faisait chaud. Nous sommes allés le voir pour lui demander de tenir son chien en laisse dans le quartier. Nous avons vu une dizaine d’enfants en slip de bain à l’entrée de son garage. Il les aspergeait d’eau. C’était vraiment bizarre. »
Ce va-et-vient d’enfants chez Marc P dure depuis au moins l’été 2024. « Ma fille a été attirée là-bas par une copine du quartier, » raconte un papa. « Elles allaient promener le chien de Marc P avec lui. Parfois, il les emmenait sur son vélo-cargo faire des balades. »
Cela fait donc au moins un an que Marc P ne respecte plus une condition de sa probation : ne pas fréquenter d’enfants. Ce manquement est probablement suffisant pour une révocation de son sursis par un juge. Cependant, l’assistant de justice chargé de suivre sa probation n’est pas au courant que le garage de Marc P est devenu une salle de jeux pour enfants.
« L’assistant de justice est un travailleur social qui accompagne le justiciable, » estime Stéphane Davreux, directeur général adjoint des Maisons de justice. « S’il est informé du non-respect des conditions de la probation, il doit le signaler au Parquet et à la commission de probation. Mais dans ce cas, l’assistant n’était visiblement pas au courant. Ce n’est pas son rôle de vérifier dans le quartier si tout se passe bien. Cela, c’est plutôt le travail de la police. »
La prise en charge thérapeutique destinée à Marc P était assurée par l’Unité de psychopathologie légale (UPPL), un centre spécialisé dans la criminalité sexuelle. Là encore, aucune anomalie n’a été décelée. « Nous sommes un service ambulatoire de thérapie, » explique Julien Lagneau, directeur de l’UPPL. « Les justiciables viennent nous voir pour rencontrer un psychologue. Nous travaillons avec ce qu’ils veulent bien nous dire et avec leur dossier judiciaire. Ce n’est pas notre rôle de surveiller le patient dans sa vie quotidienne. Nous n’avions pas d’informations inquiétantes dans ce dossier, autrement nous l’aurions signalé à l’assistant de justice. » Tous les rapports de l’UPPL concernant Marc P étaient rassurants. En juin 2025 encore, il était indiqué qu’il « ne représente pas un danger pour autrui. »
Le 29 juin, un père se rend à la police avec son enfant de 7 ans pour déposer plainte. « Un jour, j’ai surpris un geste un peu trop familier entre ce monsieur et mon enfant : se prendre par le bras. Cela m’a interpellé. Mon enfant m’a raconté que Marc P échangeait des récompenses, comme des bonbons ou le droit de jouer avec son téléphone, contre des ‘câlins’. Il l’attirait dans sa chambre, se couchait avec lui sur le lit. Pendant que l’enfant jouait avec le GSM, il pratiquait des attouchements sexuels. »
La politique belge actuelle favorise les soins plutôt que l’emprisonnement, explique Océane Gangi, criminologue à l’ULiège. Elle souligne que pendant les années suivant une condamnation, souvent les cinq années de sursis, le taux de récidive n’est que de 7%, ce qui est très bas. « C’est pourquoi nous essayons au maximum de proposer des sursis probatoires, car nous savons que la récidive peut diminuer quand on est pris en charge par des services spécialisés. Au contraire, la prison augmenterait le taux de récidive. »
Le papa qui a déposé plainte le 29 juin dernier est également surpris de constater qu’il ne se passe apparemment rien dans le quartier après sa déclaration. Dès qu’il y a du soleil, le garage de Marc P est de nouveau ouvert et les enfants arrivent. « J’étais sidéré. La police m’avait demandé de rester discret pour l’enquête. Mais je ne comprenais pas pourquoi on ne venait pas l’arrêter… »
Sachant que Marc P est sous probation pour une condamnation de tentative de viol sur mineur, fallait-il réagir immédiatement en le privant de liberté? Nos demandes d’interview au Procureur du roi sont restées sans réponse.
Trois semaines plus tard, alors qu’il est en vacances, ce papa apprend par la presse qu’un habitant du quartier, Gregory Lenoci, a tabassé Marc P qu’il accuse d’abus sexuels sur son beau-fils de 6 ans. Le 22 juillet, G. Lenoci vient récupérer son enfant chez Marc P et croit percevoir une attitude ambiguë. Rentré chez lui, il questionne son fils. L’enfant évoque alors des « jeux » à caractère sexuel avec Marc P.
Le lendemain, G. Lenoci se rend au commissariat. Il n’est pas au courant de la plainte déposée contre Marc P le 29 juin, mais s’étonne lui aussi de la lenteur de la réaction de la police. Le lendemain à 16 heures, Marc P n’est toujours pas inquiété.
Gregory Lenoci, impulsif et avec un casier judiciaire pour coups et blessures, prévient sa psychologue le 23 juillet qu’il « est en train de péter les plombs ». Le lendemain, celle-ci alerte le Parquet. Deux policiers se rendent chez lui l’après-midi pour tenter de le calmer, mais il est déjà trop tard.
À 16h20, G Lenoci demande à Marc P de venir s’expliquer. Celui-ci accepte et se rend chez Lenoci, où il est accueilli par une pluie de coups, s’effondrant inanimé au milieu du salon. G. Lenoci appelle lui-même les secours à 16h57.
Les manquements du Parquet de Namur et de la police soulèvent des questions. D’un côté, un pédocriminel en sursis, avec deux nouvelles plaintes pour abus sexuels ; de l’autre, un condamné sous bracelet électronique qui menace de faire justice lui-même. Pourquoi avoir attendu?
Pour éclaircir la situation, il faudra sans doute attendre le procès de G. Lenoci, poursuivi pour tentative d’assassinat sur Marc P, ainsi que celui de Marc P pour les nouvelles accusations d’abus sexuels. À condition qu’il soit un jour en état de répondre de ses actes devant la justice, car il est toujours hospitalisé dans un état grave et incapable de répondre aux enquêteurs.

