Belgique

À Maelbeek, Thibault a survécu à l’enfer: « Ils ont foutu ma vie en l’air »

C’est à ces 16 personnes mortes dans l’attentat que cet homme, aujourd’hui âgé de 53 ans, a d’abord tenu à rendre hommage, lors de son témoignage devant la cour d’assises qui juge les attentats : “Jamais je ne les oublierai. Sans leur présence, je ne serais plus là”. Il en est convaincu : “Ce sont les rangées de sièges et ces 16 personnes qui ont fait obstacle et qui ont préservé ma vie”.

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Il doit aussi, précise-t-il, le fait d’être en vie à sa position sur le siège. “Je suis en vie grâce au fait que j’étais penché lors de l’explosion, avec un GSM sur le point de tomber et pour lequel j’étais encore plus penché vers le sol”.

Ce 22 mars 2016, il avait déposé sa voiture à Herrmann-Debroux, première station de la ligne 5. Il avait pris place dans la deuxième voiture. Ils étaient trois. Il avait appris à la radio que des bombes avaient explosé à Zaventem. “De toute ma vie, je n’avais jamais connu une voiture de métro aussi vivante. Les passagers se parlaient. Ils parlaient de Zaventem.”

Un mal de tête fulgurant

Arrivé à Maelbeek, “je suis complètement plongé dans le noir. Je me demande si je suis mort ou vivant. J’ai l’impression que mes oreilles sont débranchées”. Et là survient, poursuit-il, “le premier miracle : un mal de tête fulgurant. C’est grâce à cela que je suis vivant”. Il est convaincu que les secours arriveront trop tard et qu’il doit s’en sortir seul. Il a l’impression d’être au “niveau -3 avec un immeuble de 25 étages écroulé sur moi”.

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”Arrive le deuxième miracle. Je peux enfin respirer”. À ce stade, Thibault Jonckheere mime une respiration haletante. C’est “comme un plongeur qui, après une apnée trop longue, revient à lui”. L’inquiétude ne disparaît pas. Il y a cette “odeur irrespirable de produit chimique infect”. Et il se dit que, s’il l’inhale trop longtemps, il va “y rester”.

C’est la pensée de sa compagne et de ses deux enfants qui lui donne la force. “Je me dis : ‘Bats-toi ! reviens à toi pour ces trois-là !’ Sans eux, sans mes pensées pour eux je serais resté à Maelbeek. Je leur dois la vie”.

Et c’est “le troisième miracle” : il peut remuer les pieds “comme des essuie-glaces”. Et le “quatrième miracle”. Il peut ouvrir les yeux : “Je ne pourrai jamais vous dire à quoi ressemblait la voiture deux. Les mots n’existent pas pour décrire l’intérieur. Pour moi, à cet instant, la voiture deux, c’est Hiroshima et Nagasaki réunis”.

Une terrible culpabilité

Mais “le corps humain est bien fait. Tout est automatique”. Avec les deux pieds, il retourne les gravats. Il recherche les deux corps des personnes qui étaient assises autour de lui. Il ne les retrouve pas. “Et là c’est une décision dramatique à prendre, la plus dure de ma vie”, dit cet homme qui précise que, montagnard aguerri, il a participé à des dizaines de sauvetage en montagne. “Ce jour-là, je n’ai rien pu faire. Et j’en souffre encore. Si j’étais resté, j’aurais pu aider une victime, la dégager, l’aider à survivre ou à atténuer ses blessures”.

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Il fait un pas. Il y a une flamme de 80 cm de haut. Il ne le sait pas : ce sont les restes de la bombe. Il voit deux pieds qui dépassent. Il les dégage. Il retire une plaque de métal qui recouvre un visage. Pendant six mois, il sera rongé par la culpabilité pour cette femme qu’il a partiellement dégagée et celle qui était à côté de lui. Six mois plus tard, il apprendra des juges d’instruction qu’elles ont survécu.

Les rescapés gagnent les escaliers. Après quatre marches, Thibault Jonckheere est trop faible. Une file se forme derrière lui. Une personne l’aide, une deuxième, sept au total. “Un truc de fou se passe. Cela s’appelle de l’humanité. On est à Maelbeek. Le 22 mars 2016. Il doit être est 09 h 20. Sept passagers, qui jusque-là étaient hagards, regardaient leurs pieds sans avoir la force de relever la tête, auront le courage de me regarder dans les yeux. Sept passagers vont se redresser. Ils ont pris le temps de s’arrêter de ne pas fuir.”

Sur la mezzanine, c’est une femme avec “un grand sourire qui me dit ‘Monsieur, puis-je vous aider’. Sans elle je n’aurais pu atteindre la rue de la Loi”. C’est ensuite l’hôpital Brugmann, où on lui refuse un miroir. À 20 h 30, quand tout le monde est parti, il rampe vers la salle de bains, lève la tête vers le lavabo. Il se regarde. “Vous prenez 900 cochons. Vous prenez le plus laid. C’est moi”. Brûlé, il n’avait plus de cils, de sourcils ni de cheveux.

Une colère contre les assurances

Il éprouve des maux de tête violents et permanents, qui le handicapent, réduisent ses nuits et l’ont forcé à réduire ses activités. C’est un “mal invisible”. Il est en colère contre les assurances, qui ne veulent pas le reconnaître, soutenus par leurs médecins qui “comme des mercenaires ont pour mission de permettre de verser le moins possible”.

Il ne comprend pas plus les terroristes contre qui il est aussi en colère. “Je n’ai pas commis de faute. Je ne comprendrai jamais cet acte du 22 mars. Il y avait d’autres moyens que de faire exploser des bombes. Ils ont foutu ma vie en l’air. Jamais je ne leur pardonnerai. Jamais je ne pardonnerai à ceux qui ont fait pleurer ma compagne et mes enfants. Je passais là par hasard. J’ai pris cette haine en pleine gueule. On m’a pris pour responsable alors que j’aurais éventuellement pu comprendre”.