Belgique

À la recherche du « chef de famille » ou de son fantôme

Vous devez « vous présenter au guichet numéro 2 muni de votre carte d’identité et de l’accord du chef de ménage » lors d’un déménagement à la commune. Le SPF Finances précise que « seul le chef de ménage peut déclarer les personnes à charge s’il est satisfait aux conditions ».


Vous envisagez de déménager. À la commune, on vous informera que vous devez vous « présenter au guichet numéro 2 muni de votre carte d’identité et de l’accord du chef de ménage ».

Ou bien, pour obtenir une dérogation d’âge pour votre enfant, vous devrez vous adresser à la Fédération Wallonie-Bruxelles (circulaire 8974), ce qui impliquera de remplir une « déclaration du chef de famille ».

Vous souhaitez des informations sur un avantage fiscal relatif à votre déclaration d’impôts ? Le SPF Finances vous précisera que « seul le chef de ménage peut déclarer les personnes à charge s’il respecte les conditions ».

Le site MyMinFin ajoute qu' »une réduction du précompte immobilier applicable à l’immeuble occupé par le chef d’une famille […] peut être accordée sur demande de l’intéressé ».

Et ainsi de suite.

C’est peut-être à ce moment-là que vous vous interrogez sur la définition du « chef de famille » ou de « ménage ». S’agit-il de l’homme du foyer, par défaut ? Cette vision est démodée, car elle était vraie, mais ne l’est plus.

En réalité, ce terme n’est plus souvent approprié. On utilise désormais d’autres appellations, comme « personne de référence ».

### Mais qui est la « personne de référence » ?

À partir du moment où vous lisez « chef de famille/de ménage », vous devez généralement comprendre « personne de référence ». Aujourd’hui, ces termes doivent être considérés comme équivalents, bien que la notion qui les sous-tend ait évolué, tout comme la société.

Pour vérifier si vous êtes la « personne de référence » requise, allez sur le site du SPF Intérieur, à la direction générale Identité et Affaires citoyennes (DGIAC), qui « protège et gère l’identité du citoyen ».

On vous expliquera clairement que, dans une composition de ménage, on distingue désormais la « personne de référence » (anciennement appelée « chef du ménage », selon le SPF Intérieur) et les membres du ménage. Une seule personne de référence est désignée par ménage.

> « Aucune règle particulière ne guide la désignation de la personne de référence, si ce n’est la logique et le bon sens. »

Il n’existe pas de règles précises, sauf la « logique » et le « bon sens ». Mais encore ?

« La personne de référence sera le plus souvent l’un des époux ou partenaires, un parent, ou la personne qui ouvre droit à différentes allocations. »

Cette flexibilité dans le choix marque une différence par rapport à la conception ancienne du « chef de famille/de ménage ».

Et donc, qui prend cette décision et selon quels critères ? Qu’est-ce que cela implique ? Nous avons contacté le SPF Intérieur pour obtenir plus d’informations.

### Les réponses officielles du SPF Intérieur

Voici quelques précisions reçues par écrit :

Enquête EBM (Budget des ménages) : la personne de référence est « la personne qui fournit la majeure partie du revenu du ménage ».
Enquête EFT (Emploi et chômage) : la personne de référence est « la personne du ménage qui travaille la plus âgée » (s’il n’y a pas de travailleur, il s’agit de « la personne qui a le plus haut revenu »).
Enquête SILC (Suivi des conditions de vie) : la personne de référence est « la personne qui répond au questionnaire ménage, c’est-à-dire celle qui connaît le mieux la situation financière du ménage et la situation de logement ».

Ce type de définition qui évite le terme « chef de famille » ne reproduit-il pas malgré tout une vision stéréotypée des rôles de chacun ? Pour les enquêtes EBM et EFT, les critères choisis ne conduisent-ils pas à des biais genrés, sous prétexte de neutralité ?

Si l’on considérait la personne la plus jeune (souvent la femme du couple) ou celle ayant le revenu le plus faible (également souvent la femme, particulièrement représentée dans les emplois à temps partiel), quel impact cela aurait-il ? En outre, pourquoi ne pas permettre à plusieurs membres du ménage de participer aux enquêtes ?

### Changer d’étiquette : une étape, pas une finalité

La question du ménage et de la famille, ainsi que de la manière de produire des statistiques pertinentes à ce sujet dans un contexte sociétal en mutation, préoccupe également les statisticiens, comme cela est évoqué dans un article de recherche français publié en 2004.

« Derrière les catégories statistiques, ce sont bel et bien les notions elles-mêmes qui sont questionnées quant à leur capacité à s’adapter aux évolutions de la société : non seulement le critère de désignation du ‘chef de ménage’, mais aussi l’idée même du ‘chef’ ; non seulement la localisation de la résidence principale, mais plus généralement la représentation du ménage comme ‘ménage-logement' », écrivent les auteurs.

Ce travail de remise en perspective doit permettre de déterminer dans quelle mesure l’existence de ces catégories, malgré leurs imperfections, reste justifiée dans la boîte à outils du statisticien.

Interroger les étiquettes est un premier pas. Il est nécessaire de poursuivre la réflexion et de questionner les catégories en profondeur.

Jusqu’à quel point des politiques publiques peuvent-elles induire des discriminations indirectes à l’encontre des femmes, même avec des termes devenus neutres ?

Dans la législation sociale, en matière de chômage, on parle depuis 1991 de « travailleur avec charge de famille », à différencier du « cohabitant (sans charge de famille) ». Au CPAS, il sera question de « personne cohabitante », avec ou sans « charge de famille ».

Le modèle implicite sous-jacent est-il réellement plus égalitaire ? À côté des questions de genre, est-il adapté à la diversité des modes de vie et de cohabitation actuelle ? C’est ce que dénoncent de nombreuses associations.

La question du « statut cohabitant » est inévitable, comme l’a souligné Nicolas Bernard, professeur de droit social à l’Université Saint-Louis. « La Sécurité sociale part du principe que si on vit à plusieurs, c’est parce qu’on est un couple. »

Et pas n’importe quel couple : « C’est une vision archaïque et genrée d’un couple hétérosexuel où l’un des deux gagne moins. Il faudrait un changement de mentalité, de représentation sociologique de ce qu’est encore un couple […] Il y a un vrai travail à faire sur les perceptions. »

Le fait d’avoir « dégenré » la déclaration fiscale en 2023 fait probablement partie d’une lente évolution dans les perspectives.

### Que dit la loi ?

Le législateur a effectivement saisi l’occasion d’une vaste réforme du Code civil pour se moderniser. On parle désormais de « personne prudente et raisonnable », par exemple dans les contrats de location.

Cependant, en ce qui concerne le concept du « chef de famille », la situation reste ambigüe, avec une coexistence de diverses définitions qui sont parfois source de confusion. Il ne s’agit néanmoins pas d’une discrimination directe, mais plutôt d’un bruit de fond culturel (patriarcal) qui va au-delà d’une simple question de vocabulaire.