Belgique

30 ans après la mort de Jean Gol, quel héritage pour les libéraux ?

Jean Gol a marqué la vie politique belge depuis la fin des années 70 jusqu’à sa mort en 1995. Le 17 septembre 1995, Jean Gol s’effondre à son domicile à Beaufays et est emmené à l’hôpital du Sart-Tilman, où son état est jugé préoccupant par ses médecins.

Jean Gol, une figure familière incontournable

Peu de personnalités politiques peuvent se vanter d’avoir eu un impact profond sur leur pays. C’est néanmoins le cas de Jean Gol, président du PRL, ancêtre du MR. Les plus jeunes n’ont peut-être connu son nom que par le centre d’études du MR, le centre Jean Gol, qui honore sa mémoire. Jean Gol a marqué la vie politique belge de la fin des années 70 jusqu’à son décès en 1995. En tant que président du PRL, il était une figure politique majeure, familière du paysage politique.

« C’est la première fois que j’ai rencontré une personnalité qui, dans mon imaginaire, représentait le modèle parfait de l’homme d’État », a déclaré Louis Michel, qui a occupé diverses fonctions ministérielles, au micro d’Hélène Maquet et de Bertrand Henne, exprimant son admiration pour son collègue.

17 septembre 1995 : un grave malaise en pleine nuit

Le 17 septembre 1995, Jean Gol s’effondre à son domicile. À Beaufays, près de Liège, une ambulance perturbe le calme nocturne. Il est rapidement transporté à l’hôpital du Sart-Tilman. Personne ne comprend ce qui lui arrive. À 53 ans, Jean Gol était une véritable force de la nature et son apparence ronde suggérait une énergie intacte.

Le diagnostic tombe six heures plus tard : une hémorragie cérébrale. Le politique est dans un profond coma et « son état est jugé préoccupant », indiquent ses médecins. L’hémorragie est sévère, inopérable. Jean Gol décède le lendemain à 18h15.

La veille de ce malaise, Louis Michel et Jean Gol avaient déjeuné ensemble pour « taper des balles », une façon de se préparer à une interview. C’était la dernière fois que Louis Michel voyait son ami en bonne santé. Il avait remarqué, les jours précédents, que Jean Gol se tenait souvent le ventre, mais n’y avait pas prêté trop d’attention. En sortant du restaurant, Jean Gol, en direction de sa voiture, s’est arrêté.

« Il s’est retourné, il est revenu vers moi et m’a fait une accolade en disant ‘On s’aime bien quand même, hein ?’ Il n’avait jamais fait ça. »

Un souvenir gravé « de manière énigmatique et très douloureuse ».

Fin des années 60 : l’engagement à gauche de Jean Gol

Les quelques années de pouvoir de Jean Gol ont été à la fois intenses et marquantes. En réalité, ses engagements politiques ont débuté à la fin des années 60, lorsqu’il était étudiant en droit et s’impliquait dans des mouvements régionalistes. Il participe au succès électoral fulgurant du Rassemblement wallon, un parti aujourd’hui disparu. Jean Gol était donc d’abord un fervent régionaliste. Selon Louis Michel, il était même un porteur de la communauté française : « Je l’ai entendu parler du fait qu’il fallait absolument un patriotisme francophone. Il avait compris depuis longtemps que la langue française et la culture étaient des porte-drapeaux forts pour tous les francophones du pays. »

Mais peu après, Jean Gol devient un libéral convaincu. En 1966, il quitte avec fracas le Rassemblement wallon et fonde le PRL W, le Parti réformateur libéral wallon. Dans les années 70, les libéraux ne parviennent pas à s’adapter aux évolutions vers le régionalisme. Le parti implose, avec des résultats catastrophiques. Pour la première fois lors des élections législatives, les libéraux wallons et bruxellois unissent leurs efforts avec le PRL et présentent un sigle et un programme commun. Jean Gol, qui n’est pas historiquement un libéral, parvient donc à prendre la tête de ce nouveau parti libéral unifié en 1979. Sa priorité ? Réduire les impôts pour générer des emplois et restaurer le pouvoir du gouvernement face aux groupes de pression, notamment les syndicats.

1981 : au pouvoir, Jean Gol imprime sa marque, celle de l’autorité et de la fermeté

Le PRL, sous la conduite de Jean Gol, remporte les élections de 1981 et accède au pouvoir en coalition avec les Sociaux-chrétiens. Jean Gol devient vice-Premier ministre et ministre de la Justice dans les gouvernements Martens-Gol, qui marqueront l’histoire du pays. C’est un tournant en matière de politique sociale et économique. Inspiré par le libéralisme de Margaret Thatcher et Ronald Reagan, Jean Gol adopte une politique d’austérité pour réduire le train de vie de l’État, affirmant « qu’une opération de réduction des dépenses de l’État sans précédent a pu être réalisée, et ceci sans un franc d’impôts nouveaux. »

En tant que ministre de la Justice, Jean Gol incarne également un tournant sécuritaire. La hausse de l’immigration, jusqu’alors peu discutée, devient un sujet de controverse. Il souhaite éviter la concentration de populations d’origine non-européenne dans certains quartiers. La loi Gol, qui limite le nombre d’étrangers autorisés à s’installer dans certaines communes, suscite de vives discussions. Jean Gol doit se défendre contre des accusations de xénophobie. Pourtant, pour son compagnon libéral Louis Michel, il était « sans concession vis-à-vis des racistes ».

La décennie 80 sera particulièrement violente avec les tueries du Brabant, les attentats des C.C.C. et le drame du Heysel. Après cette catastrophe, le ministre de l’Intérieur, Charles-Ferdinand Nothomb, refuse de démissionner. Jean Gol en tire les conséquences et remet sa démission en juillet 1985, un acte de panache politique. « Lorsque l’on fait appel à la conscience des autres, il faut aller au bout de la sienne », déclare-t-il.

1988 : isolés, les libéraux sont coincés dans l’opposition quelques années

Jean Gol se retire de la vie politique suite à la défaite du PRL, qui tombe dans l’opposition en 1988. Il revient à la tête du parti quatre ans plus tard pour lancer une refondation idéologique. Associé au FDF à Bruxelles, le PRL reprend enfin goût à la victoire aux élections de novembre 1992, mais reste dans l’opposition. Jean Gol, qui ne parvenait pas à briser l’isolement des libéraux, décède alors que Hermann De Croo accède à la présidence du VLD, rapprochant ainsi les libéraux du pouvoir.

Le 23 septembre 1995, à la synagogue de Liège, de nombreux socialistes et autres politiques non libéraux assistent aux funérailles de Jean Gol. « Même lorsqu’il y avait de gros débats, il a toujours eu une relation basée sur le respect avec ses adversaires politiques », souligne Louis Michel. « C’était une époque de solidarité entre les pères. Nous formions une communauté politique. »

Le cercueil, drapé d’une couverture noire avec l’étoile de David, est conduit dans le cimetière de Robermont sous cinq drapeaux : européen, belge, wallon, liégeois et libéral.

Georges-Louis Bouchez, héritier de Jean Gol ?

Aujourd’hui, l’héritage de Jean Gol est revendiqué par de nombreux libéraux, en premier par l’actuel président du MR, Georges-Louis Bouchez. Louis Michel, de manière laconique, ne répond pas directement à cette question, se contentant d’observer que « J’»observe qu’il se réclame de Jean Gol ». Jean Gol avait initié le fait d’être « fier d’être libéral », note-t-il également.

Cependant, Louis Michel souligne des différences significatives avec l’actuel président du MR : contrairement à Bouchez, qui affiche une conviction belgiciste, Jean Gol, qui avait fondé le concept de nation francophone, aurait clairement opté pour un rattachement à la France en cas de « bye-bye Belgium ». Une autre différence : « Jean Gol était un homme de compagnonnage. Il n’aimait pas être seul » tandis que Georges-Louis Bouchez ne semble pas avoir cette inclination naturelle à travailler en équipe et à consulter son entourage politique pour ses décisions.

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