2000€ d’indemnité pour un toit que les ministres n’ont pas à payer : enquête sur les logements de fonction
Le salaire des ministres s’élève à 254.434€ brut par an, tandis que l’indemnité pour frais de logement est de 1962€ par mois, octroyée sans condition. Actuellement, 11 des 15 ministres sont logés aux frais de l’État, en plus de cette indemnité.
Comme point de départ, un document a été examiné. Il s’agit d’une circulaire ministérielle, un document interne de l’administration du Premier ministre. Ce document détaille les traitements que reçoivent les ministres : le salaire de 254.434€ brut par an (environ 12.000€ net par mois), les frais de représentation (frais professionnels nécessaires à la fonction de ministre), une voiture avec chauffeur, ainsi que cette fameuse indemnité pour « frais de logement et frais domestiques ».
À ce jour, cette indemnité s’élève à 1962€ par mois. Elle est identique pour tous les ministres, attribuée sans condition, que le ministre ait besoin ou non d’un logement.
Cette indemnité a une longue histoire, existant depuis presque aussi longtemps que la Belgique elle-même : « C’est une très vieille habitude », confie Jean Faniel, politologue et directeur du Centre de Recherche et d’Information Socio-Politiques (CRISP). « Au 19e siècle, le traitement des ministres a été conçu pour inclure une partie destinée à couvrir les frais de logement », explique-t-il.
Difficulté à justifier
Cependant, il ne s’arrête pas là : de nos jours, les ministres peuvent bénéficier d’un logement de fonction financé par l’État. En général, ce logement est intégré directement au cabinet du ministre, le plus connu étant le Lambermont, résidence officielle du Premier ministre.
En cas de manque de place, les ministres peuvent également louer un appartement privé, dont les frais sont pris en charge par la Régie des Bâtiments, l’institution responsable du patrimoine immobilier du pays. Actuellement, 11 des 15 ministres sont logés aux frais de l’État, en plus de l’indemnité de logement déjà perçue.
« On a à la fois un logement qui peut être mis à disposition et une indemnité pour frais de logement. Il y a quelque chose qui est un peu difficile à justifier, au moins au niveau des termes »,analyse Jean Faniel.
Aucun ministre n’a accepté de s’exprimer directement sur ce cumul. Les premières tentatives de contact ont échoué, y compris celle avec Vanessa Matz (Les Engagés), ministre en charge de la Régie des Bâtiments. Son cabinet a répondu par écrit : « La rémunération des ministres et l’ensemble du package salarial est une compétence du Premier ministre ».
Du côté du Premier ministre Bart De Wever, aucune réponse à nos répétitions d’appels. Toutefois, d’autres membres du gouvernement ont réagi par écrit. « Je rentre chaque soir à mon domicile, sauf lors de réunions tardives », indique le ministre des Affaires étrangères Maxime Prévot (Les Engagés). « Le cabinet est partagé par les ministres Vandenbroucke et Beenders. Il existe deux pièces équipées d’un lit, qui peuvent être utilisées en cas de nécessité », ajoute son cabinet.
La seule explication obtenue lors de l’enquête provient de Sarah Schlitz (Ecolo), ancienne secrétaire d’État sous la législature précédente. Son cabinet n’avait pas de logement intégré, mais elle a refusé la proposition de disposer d’un appartement. « On nous contacte pour nous faire visiter un appartement dans un bâtiment qui appartient à la Régie », se souvient-elle. « Je demande alors comment ça fonctionne et ce qu’on est censé payer. Et là, on me dit qu’il n’y a rien à payer », constate la Liégeoise, surprise de toucher une indemnité de logement tout en ayant accès à un logement gratuit.
À quoi ressemblent ces appartements ?
Interrogée sur la description de l’appartement qu’elle avait visité, la députée décrit des lieux modestes : « Il y a un petit salon à l’avant, une kitchenette et une chambre à l’arrière. Je ne dirais pas que c’était complètement dispendieux comme lieu. »
Un de ces appartements est occupé par le ministre de l’Emploi, David Clarinval (MR), pour un loyer de 1698€ par mois. Bien qu’épinglé par l’opposition à ce sujet, il n’a pas souhaité s’exprimer.
Pour avoir une idée des tarifs, une agence immobilière a été contactée pour une visite d’un bien dans une gamme de prix similaire, près de la rue de la Loi.
Cet appartement n’est qu’à quelques pas de la rue de la Loi.
« Nous avons la cuisine complètement équipée avec four, lave-vaisselle… et de ce côté-ci, la chambre avec salle de bains », présente la responsable de l’agence. Selon ses estimations, avec 1700€ par mois, il serait possible d’avoir un appartement d’une chambre meublé, ou de deux chambres non meublées.
Un budget qui ne l’étonne pas, car elle est régulièrement sollicitée pour des appartements de fonction. « Pas plus tard qu’hier, j’ai eu un monsieur qui habitait à Paris. Son bureau était un peu plus loin dans la rue. Il voulait donc un pied-à-terre pour les jours où il est trop fatigué pour reprendre le train », témoigne-t-elle.
David Clarinval, habitant à deux heures de route de la capitale, a donc également besoin d’un pied-à-terre.
Avantage ou privilège ?
Dans le cas des ministres, cela signifie que ce pied-à-terre s’ajoute à une indemnité, ce qui fait réagir certains partis de l’opposition, notamment le PTB. « On ne donne pas des extras comme ça, sans aucune justification », critique la députée Sofie Merckx. « On appelle ça une indemnité de logement, mais ils sont déjà logés, ils ont des logements de fonction ! On ne comprend pas ce privilège alors qu’on met l’ensemble de la population à la diète pour le moment », s’indigne-t-elle.
« Contrairement au PTB, je trouve normal que des ministres soient correctement payés », nuance François De Smet, député DéFI. « C’est un métier dur et difficile. Mais il faut faire la différence entre une rémunération juste pour un métier difficile et des privilèges », estime-t-il.
Ouvrir le débat
Au cours de l’enquête, certaines voix au sein même du gouvernement admettent que la question du cumul entre indemnité et logement de fonction pourrait faire l’objet d’un débat, tout en affirmant que ces logements de fonction sont réellement nécessaires.
L’enquête n’a abordé que le gouvernement fédéral, mais les autres niveaux de pouvoir sont également concernés. La province représente cependant une exception, car celle-ci doit mettre un logement officiel à la disposition des gouverneurs. « Si elle ne le fait pas ou si le gouverneur refuse de prendre ce logement, alors la province le rétribue avec une indemnité de logement », précise Jean Faniel.

