Belgique

19% des exclus du chômage ne sont pas Belges

Le 10 juillet 2025, la députée socialiste Sophie Thémont a posé une question écrite au ministre MR de l’Emploi David Clarinval concernant l’impact de la limitation du chômage sur les publics vulnérables. Dans sa réponse écrite, le ministre a indiqué que 57% des exclus du chômage ne sont pas belges, mais a précisé que ce chiffre concerne des personnes d’origine étrangère et non des personnes de nationalité étrangère.

Une question écrite a été posée le 10 juillet 2025 par la députée socialiste Sophie Thémont, au ministre de l’Emploi, David Clarinval, du MR. Elle relaye l’inquiétude d’Unia, le Centre interfédéral pour l’égalité des chances, concernant l’impact de la limitation du chômage dans le temps sur les groupes vulnérables, « en particulier les personnes en situation de handicap, les personnes âgées, ou issues de l’immigration ». Elle demande au ministre s’il dispose de données chiffrées sur l’impact de cette réforme du chômage sur ces populations.

La une de Sud Presse de ce mercredi 29 octobre 2025.

Dans sa réponse, le ministre a communiqué des chiffres régulièrement rapportés par Sudinfo dans son édition du mardi, titrant en une : « 57% des exclus du chômage ne sont pas belges » et mentionnant dans l’article : « Plus de 100.000 étrangers vont perdre leurs allocations ». L’article sur le site de Sudinfo a depuis été retiré.

Ces chiffres figurent également dans une interview de la matinale de Bel RTL, où David Clarinval a déclaré : « L’information importante, c’est que plus d’un chômeur sur deux qui va être exclu du chômage, au cours de l’année prochaine ou de l’année suivante, sont d’origine étrangère donc moins de la moitié sont Belges, en réalité, et ça, c’est un chiffre étonnant en ce qui me concerne. »

Une personne d’origine étrangère n’est pas un étranger

Les données fournies dans la réponse écrite de David Clarinval proviennent de la Banque Carrefour de la Sécurité Sociale (BCSS) et concernent les personnes d’origine étrangère inscrites au chômage durant le quatrième trimestre de 2023, qui sont les dernières statistiques disponibles. Il est essentiel de noter qu’il ne s’agit pas de personnes de nationalité étrangère. Dans sa réponse à la question parlementaire, le ministre fait néanmoins la distinction entre origine et nationalité. Le chiffre de 57% de personnes d’origine étrangère est donc correctement indiqué et référencé.

Cependant, dans l’article, le titre et l’une des informations de Sudinfo confondent l’origine étrangère et la nationalité étrangère, en rapportant que « 57% des exclus du chômage ne sont pas belges » et que « plus de 100.000 étrangers vont perdre leurs allocations ». Le ministre Clarinval fait également cette confusion sur Bel RTL, en parlant d’abord correctement de personnes « d’origine étrangère », mais en ajoutant ensuite, incorrectement, que « donc moins de la moitié sont Belges ».

Une définition particulièrement large de l’origine étrangère

La définition de l’origine étrangère, fournie dans la réponse du ministre Clarinval ainsi que dans l’article, correspond à celle du site de la BCSS : « Pour déterminer l’origine d’une personne, on prend en compte tour à tour la première nationalité du père, de la mère et de la personne elle-même, ainsi que la nationalité actuelle. La première occurrence de la nationalité étrangère compte comme l’origine de la personne. Une personne est d’origine belge si elle a quatre fois la nationalité belge. »

Définition de l’origine étrangère selon la Banque Carrefour de la Sécurité Sociale. © Capture d’écran RTBF

Pour être considéré comme d’origine belge, il faut donc que les quatre nationalités observées pour une personne soient belges : la première nationalité de la mère, la première nationalité du père, sa propre première nationalité et sa nationalité actuelle. Si un seul de ces critères n’est pas satisfait, l’individu sera considéré comme d’origine étrangère.

Cette définition particulièrement large inclut sous l’appellation « d’origine étrangère » de nombreuses personnes belges dont les origines ne sont pas perçues comme étrangères. Par exemple, selon ces critères, le roi Philippe ne serait pas d’origine belge, puisque la première nationalité de sa mère, la reine Paola, est italienne.

Ainsi, cette définition augmentera de manière significative la proportion de Belges d’origine étrangère dans le pays. Selon cette définition, 36% des habitants du pays seraient d’origine étrangère selon Statbel, alors que seuls 13,8% des résidents belges sont de nationalité étrangère.

Les chiffres ne correspondent pas à ceux de l’ONEM

Une confusion supplémentaire réside dans les chiffres eux-mêmes. Dans sa réponse à la question parlementaire, le ministre de l’Emploi précise sa méthode : « L’ONEM ne dispose pas des données « origine » des chômeurs […] En revanche, les chiffres des chômeurs par origine sont disponibles dans le datawarehouse de la BCSS […] Si l’on applique ces pourcentages à l’estimation de la population de chômeurs qui perdent leurs droits en raison de la restriction des prestations au fil du temps, on obtient les chiffres suivants. »

En d’autres termes, le ministre n’indique pas les chiffres réellement distribués par origine pour les futurs exclus du chômage, mais procède à une estimation en appliquant la répartition par origine de la population totale des chômeurs (au dernier trimestre de 2023) à celle des chômeurs qui vont être exclus. Rien n’indique cependant que cette répartition sera similaire, même en termes d’origine.

Quel est le bon chiffre du nombre d’étrangers exclus du chômage ?

Pour obtenir le chiffre exact du nombre d’étrangers qui seront exclus par cette réforme du chômage, nous avons contacté l’ONEM, qui a communiqué les données suivantes. Sur les 193.905 personnes qui seront exclues du chômage :

  • 156.750, soit 80,8 %, sont de nationalité belge,
  • 19,2 % sont des étrangers, dont 19.146 Européens (9,87 %) et 18.009 non Européens (9,28 %).

Cela indique que 19,2 % des futurs exclus du chômage sont de nationalité étrangère. Ce chiffre présente une légère surreprésentation par rapport à la population générale vivant en Belgique, puisque, au 1er janvier 2025, 13,8 % de la population est étrangère, selon Statbel.

Conclusion

Ce mercredi matin, Sud Presse a rapporté en une que « 57% des exclus du chômage ne sont pas Belges » et les titres des articles indiquaient que « plus de 100.000 étrangers vont perdre leurs allocations ». Cette une a été repartagée sur les réseaux sociaux par le président du MR et reformulée par David Clarinval sur Bel RTL, affirmant que « moins de la moitié sont Belges ». 

En réalité, Sud Presse a confondu, dans son article, les concepts de « nationalité » et d’« origine ». Une personne peut être belge sans être d’origine belge. Il est donc inexact d’affirmer que « 57 % des exclus du chômage ne sont pas belges », comme l’indique le quotidien, ou que « moins de la moitié sont belges », comme l’a déclaré David Clarinval. D’une part, ce chiffre concerne des personnes d’origine étrangère et non des personnes de nationalité étrangère. D’autre part, les chiffres ne correspondent pas à ceux de l’ONEM, qui indique que 19 % des futurs exclus du chômage ne sont pas de nationalité belge.

De plus, la définition utilisée par la Banque Carrefour de la Sécurité Sociale pour déterminer qu’une personne est d’origine étrangère est très large et surreprésente les personnes d’origine étrangère par rapport à la perception générale en Belgique. Par exemple, le roi Philippe serait considéré comme d’origine étrangère selon cette définition.

La rédaction en chef de Sudinfo a indiqué qu’« il semble que le ministre se soit trompé dans ses explications hier (mardi, lors de l’écriture de l’article, NDLR) et nous allons évidemment publier un erratum. » Le ministre Clarinval n’a pas souhaité préciser ses propos et a renvoyé à son interview sur Bel RTL ce mercredi matin.