Algérie

Risques économiques et géopolitiques en 2025 et stratégie de résilience de l’Algérie

Des risques multiples menacent la croissance économique mondiale, intensifiant l’instabilité sociale et politique et invitant les politiques et investisseurs à s’adapter à une période exceptionnelle d’incertitude et de division.

Selon les projections du FMI pour 2025, la croissance économique devrait stagner à 1, 8 % pour les pays avancés (États-Unis, zone euro et Japon), 4.2 % pour les pays émergents et en développement et chuter a 4,5 % pour la Chine, des niveaux parmi les plus bas des trente dernières années. De tels taux sont non seulement insuffisants pour améliorer significativement les niveaux de vie des citoyens dans un contexte de creusement des inégalités entre le Sud Global et le monde industriel.

Ces dernières, combinées aux tensions géopolitiques, l’irruption soudaine de l’intelligence artificielle dans la vie des sociétés, les changements démographiques structurels (vieillissement des populations et chômage des jeunes) sont autant de risques majeurs pouvant freiner l’activité économique mondiale et mettre en difficulté les systèmes de protection sociale et la productivité économique.

De plus, le changement climatique, la raréfaction des ressources associées aux politiques de croissance effrénées, la hausse des dettes publiques (liées aux politiques budgétaires expansionnistes) pèsent sur la stabilité budgétaire des nations à travers le monde.

Parallèlement, le recul de la mondialisation symbolisé par les politiques industrielles et la fragmentation économique complique la coopération mondiale et la croissance économique.

Dans un tel environnement d’incertitude, les gouvernements, les entreprises et les investisseurs sont contraints de s’adapter à travers un recalibrage de leurs stratégies.

L’Algérie pour sa part ne dispose pas de marges de manœuvre budgétaire pour amortir à court terme les effets de ces risques externes.

Sur le moyen terme, Le pays devrait renforcer sa résilience en se dotant d’une stratégie intégrée articulée autour d’un renforcement de la discipline budgétaire, de la diversification économique et du commerce extérieur (avec entre autres un soutien accru à l’innovation et à l’entrepreneuriat) et des réformes structurelles pour favoriser l’investissement et la création de secteurs à haute valeur ajoutée. Discutons de ces points cruciaux.

Les risques externes en 2025 sont de plusieurs ordres :

La persistance des tensions géopolitiques mondiales.

Tout d’abord, mentionnons la rivalité entre les États-Unis, la Chine et la Russie qui ont causé un recul majeur de la coopération multilatérale, favorisé la montée du Sud Global et la mise en place de nouvelles alliances comme les BRICS (40 % de la population mondiale et 36 % du PIB mondial) et remis définitivement en question l’ordre international unipolaire dirigé par les États-Unis.

Notons au passage que ces derniers ne souhaitent pas toujours assurer le fardeau d’arbitre international. Cette fracture géopolitique, exacerbée par des tensions vives au Moyen Orient (Gaza, Liban) et en Asie (Taiwan et Corée du Nord), la fragmentation géoéconomique de ces dernières années et une série de chocs à répétition (crise financière de 2008, chocs pétroliers de 2014, 2020 et 2022, pandémie de la COVID-19 ont lourdement pénalisé la croissance économique mondiale et creuse les inégalités entre les économies avancées et celles en développement.

Un tel contexte est susceptible de faciliter des affrontements militaires à court terme. L’influence croissante de la Chine, l’un des plus grands créanciers étrangers des États-Unis et rival technologique est de nature à exacerber les tensions géostratégiques économiques et commerciales entre les deux pays.

Pendant ce temps, de nouvelles puissances régionales comme la Turquie et l’Arabie Saoudite sont en train d’influencer une recomposition des échanges mondiaux, des chaines de valeur et des flux d’investissements.

Dans un tel environnement, le déficit significatif de coopération internationale ne facilite pas la lutte contre le changement climatique et l’adoption de réformes structurelles pour mettre en œuvre une transition énergétique propre.

La polarisation politique et le manque de visibilité économique affectant certains pays avancés et émergents :

sont liées essentiellement à des divisions idéologiques profondes entre partis politiques. Un tel contexte produit des effets négatifs en cascade, y compris :

  1. la difficulté à adopter des politiques économiques cohérentes et efficaces en raison de désaccords sur des questions clés telles que la fiscalité, la régulation du marché du travail et les dépenses publiques .
  2. le découragement de l’investissement, de la production et de la consommation.
  3. l’absence de consensus sur des reformes incontournables pour prendre en charge les défis économiques à long terme, y compris la transition énergétique, les changements démographiques, limitant ainsi la capacité des économies à s’adapter aux évolutions mondiales et à favoriser une croissance soutenue.

Les effets ambivalents de l’intégration irréversible de l’intelligence artificielle générative (IAG) dans le système économique mondial.

De cette dernière, les décideurs attendent un renforcement marqué de la productivité et in fine une hausse de l’activité économique (que certains experts estiment à $16000 milliards à l’horizon 2030).

Simultanément, il est admis que l’IAG va contribuer à une transformation radicale du monde du travail et à une destruction d’emplois (estimée entre 14 millions à 300 millions de postes de travail).

Ajoutons à cela le fait que l’IAG est une source de forte consommation d’énergie (ce qui la met en collision directe avec toute politique publique en faveur du changement climatique). L’énorme potentiel économique de l’IAG retient les faveurs des investisseurs.

Un tel attrait pourrait conduire à une mauvaise répartition des ressources et des risques de faillite de certaines entreprises qui s’engagent dans ce secteur.

In fine, si les opportunités sont réelles, les risques sont aussi nombreux pour les décideurs politiques et les dirigeants d’entreprises.

Les évolutions démographiques mondiales et leurs impacts sur la croissance mondiale.

Ces évolutions ne manqueront pas d’affecter la taille de la population et la qualité de la main-d’œuvre. Si la population mondiale devrait passer de 8 milliards à 10,4 milliards d’ici 2100, ce bond masque des tendances sous-jacentes qui pourraient freiner la croissance du PIB.

En effet, les pays à forte croissance démographique connaissent souvent une performance économique plus lente, tandis que ceux à croissance démographique plus faible tendent à mieux performer.

Par exemple, la croissance du PIB de la Chine devrait descendre en dessous de 3,5 % d’ici 2029, alors que sa population est en déclin. De même, des pays européens tels que l’Italie et la France, avec des taux de natalité faibles, font face à une stagnation économique, tandis que des pays plus jeunes et plus pauvres rencontrent également des difficultés économiques.

Les tendances démographiques impactent les modèles mondiaux de production et de consommation. Par exemple, bien que la population de l’Inde ait désormais dépassé celle de la Chine, le pays reste beaucoup plus pauvre, ce qui affecte les habitudes de consommation, privilégiant des produits moins chers comme le charbon plutôt que les énergies renouvelables.

Une espérance de vie plus longue et des taux de natalité en déclin risquent de ralentir la croissance économique, dans la mesure où une baisse du nombre de travailleurs devra soutenir une population vieillissante. Le ratio de dépendance (le nombre de personnes dépendantes par rapport à la population active) a augmenté au niveau des économies avancées.

Aux États-Unis, ce ratio est passé de 51,2 dépendants pour 100 travailleurs en 1990 à 54,5 en 2023. Le vieillissement de la population ne manquera pas de se répercuter sur la viabilité des systèmes de protection sociale et de retraite. En outre, la qualité de la main-d’œuvre mondiale est susceptible de se détériorer (comme en témoignent les résultats des évaluations PISA, le programme international pour le suivi des acquis des élèves, qui mesure l’efficacité des systèmes éducatifs), avec une baisse significative des scores en mathématiques et en sciences, notamment aux États-Unis et dans d’autres pays.

Les inégalités économiques croissantes divisant les pays ainsi que les populations au sein des pays sont des freins à la croissance et une source de conflit :

non seulement en termes de revenus et de richesse, mais aussi d’accès à l’éducation, aux soins de santé et aux infrastructures sont des facteurs de réduction de la croissance économique (qui oscillerait entre 0,35 et 4 points de pourcentage).

Les fractures sociales au sein d’un pays reflètent essentiellement une baisse de la mobilité sociale, associée à des opportunités d’éducation et de formation limitées.

A contrario, les inégalités entre pays sont également en hausse, notamment depuis la pandémie de la covide-19 du fait des dommages structurels causes par cette dernière en faisant basculer des millions de personnes dans une extrême précarité.

De plus, une forte concentration de l’énergie et des technologies émergentes comme l’IA dans les pays développés risque d’aggraver davantage l’écart avec les économies plus pauvres.

Une offre mondiale de matières premières sous tension dans un contexte de réduction des marges de croissance

Malgré certaines avancées technologiques, de nombreuses ressources naturelles, telles que les terres agricoles, l’eau potable et l’énergie, subissent une pression croissante en raison de l’instabilité géopolitique actuelle et de la fragmentation économique, ce qui entraîne une hausse significative de leurs prix.

À moyen terme, cette tendance devrait se poursuivre, alimentée par des facteurs tels que l’urbanisation, la croissance démographique et la forte demande en énergie, en particulier de la part de l’intelligence artificielle générative (IAG).

À long terme, la raréfaction de ces inputs soulèvera la question de la diversification des sources d’approvisionnement, en particulier en provenance de pays éloignés ou politiquement instables, engendrant des coûts et des risques accrus.

Par ailleurs, les chaînes d’approvisionnement en ressources rares sont déjà vulnérables, en raison du contrôle important exercé par la Chine sur la production et le raffinage de ces produits.

Parallèlement, la demande en pétrole reste élevée, atteignant 100 millions de barils par jour. Bien que la transition vers les énergies renouvelables soit une nécessité, elle demeure freinée par les coûts élevés des investissements requis.

En 2024, seuls $2 000 milliards ont été investis dans les énergies propres et les infrastructures, soit 40% des $5 000 milliards nécessaires chaque année pour éviter une crise climatique. Ceci souligne l’urgence de la décarbonisation.

La multiplication des chocs externes et la réduction des marges budgétaires au cours des dernières années.

La montée en flèche de la dette publique

La dette publique des pays avancés est devenue une préoccupation majeure, constituant un frein important à la croissance économique.

Dans de nombreuses économies développées, la dette publique a atteint des niveaux historiquement élevés, en raison de facteurs tels que le vieillissement de la population, l’augmentation des coûts de la sécurité sociale et des soins de santé, ainsi que la nécessité de dépenses de relance pendant les périodes de récession économique.

En conséquence, les gouvernements sont de plus en plus accablés par le coût du service de la dette, ce qui détourne des ressources nécessaires aux investissements productifs dans des domaines tels que les infrastructures, l’éducation et l’innovation.

Conséquences et réponses à la crise de la dette

Cette charge croissante de la dette peut limiter la flexibilité fiscale, restreignant la capacité des gouvernements à répondre aux crises futures ou à investir dans des initiatives favorisant la croissance.

De plus, des niveaux de dette publique élevés peuvent entraîner une augmentation des taux d’intérêt au fil du temps, à mesure que les investisseurs exigent des rendements plus élevés pour prêter à des pays fortement endettés, ce qui augmente encore le coût de l’emprunt.

En outre, les préoccupations concernant la soutenabilité de la dette publique peuvent miner la confiance des investisseurs, entraînant une dépréciation de la monnaie et de l’inflation, ce qui peut déstabiliser l’économie.

Bien que la dette publique ne soit pas intrinsèquement problématique, sa croissance insoutenable et l’incapacité à mettre en œuvre les réformes fiscales nécessaires peuvent limiter le potentiel de croissance à long terme des économies avancées.

Pour atténuer ce phénomène, de nombreux pays devront adopter des politiques fiscales plus prudentes et travailler à réduire leur ratio dette/PIB afin de garantir que la dette ne freine pas le développement économique futur.

Le ralentissement de la globalisation et les politiques de repli dans le contexte d’une économie mondiale intégrée

reflète de multiples facteurs, y compris l’instabilité géopolitique croissante, les tensions commerciales, la montée du nationalisme économique et le rebond des politiques industrielles.

L’essor du populisme et la remise en question de la mondialisation par certains gouvernements ont renforcé les barrières commerciales et la délocalisation de certaines chaînes d’approvisionnement.

Par ailleurs, la crise sanitaire de la COVID-19 a révélé les vulnérabilités des chaînes d’approvisionnement mondiales, entraînant une réévaluation des stratégies de production et une tendance à favoriser la relocalisation et la diversification des sources d’approvisionnement.

Ce ralentissement de la mondialisation a des implications profondes sur la croissance économique, car il peut limiter l’accès à de nouveaux marchés, freiner les échanges commerciaux et affecter l’innovation.

Néanmoins, cette tendance pourrait également entraîner une nouvelle forme de coopération régionale et une réorientation des investissements vers des zones géographiques plus proches et politiquement stables.

L’adaptation à un nouvel environnement économique fracturé implique des approches nouvelles pour les agents économiques et les états

Malgré l’intensification des risques mondiaux, les conditions économiques actuelles continuent d’offrir des opportunités pour les acteurs économiques (investisseurs, dirigeants d’entreprises et décideurs) à condition qu’ils :

  1.  adoptent de nouvelles stratégies de gestion des ressources plus en phase avec un monde de plus en plus fragmenté.
  2. tiennent compte d’un interventionnisme accru des États, marqué par des réglementations plus strictes et une fiscalité plus élevée.
  3. misent sur les nouvelles tendances, telles que l’intelligence artificielle générative et la transition énergétique, qui pourraient constituer des vecteurs de relance de  l’économie mondiale.

Sur le plan des relations internationales, un monde fragmenté ne signifie pas pour autant un renoncement à la coopération multilatérale. Au contraire, pour relever efficacement les défis structurels mondiaux, tels que la transition énergétique et la préservation de la paix, une action collective dépassant les intérêts individuels et régionaux est indispensable.

Ces enjeux, qui dépassent les frontières nationales, ne peuvent être résolus de manière durable qu’à travers une coopération renforcée entre les nations.

Algérie : construction et mise en œuvre progressive d’une stratégie globale de résilience.

Le manque d’espace budgétaire en Algérie présente des défis importants pour renforcer la résilience de l’économie à court terme face aux risques mondiaux et contraintes économiques et sociales internes.

Vu la prépondérance du secteur pétrolier dans les comptes budgétaires et externes et dans la formation de la valeur ajoutée les chocs externes (fluctuation des prix du pétrole, inflation mondiale, tensions géopolitiques, la transition vers les énergies renouvelables, fragmentation géoéconomique et montée du protectionnisme) et des contraintes internes macroéconomiques et structurelles (déséquilibres des marchés, dette publique croissante, hausse du chômage, manque de flexibilité de l’économie et d’ouverture vers l’extérieur, changement climatique dont les coûts sont importants sous forme de sècheresse et incendies) ne manqueront pas d’affaiblir davantage la capacité budgétaire du pays, fragiliser les finances publiques et le secteur externe et limiter ainsi le financement soutenable des services publics essentiels, des subventions et transferts et de l’investissement en appui d’une diversification de l’activité économique et des exportations.

Diversification de l’activité économique et des exportations.

Sur le moyen terme, ces défis peuvent être transformes en opportunités dans le cadre d’une stratégie cohérente et prospective pour construire la résilience économique. Au cœur de cette stratégie, la diversification économique et des exportations articulée autour de trois axes :

  1. la restauration des grands équilibrés macroéconomiques (lutte contre l’inflation, rééquilibrage des finances publiques et réduction de la dette publique), pour disposer de bases solides pour relancer l’investissement, la croissance économique et l’emploi.
  2. ’élargissement des sources de la croissance économique, le renforcement de la productivité et la restauration de  la compétitivité à travers des réformes structurelles multisectorielles (entreprises publiques, banques commerciales, environnement des affaires, gouvernance économique, investissement dans le capital humain).
  3. des politiques sectorielles appuyant l’innovation et une transition numérique pour favoriser la montée de secteurs d’activités à haute valeur ajoutée.

Par Dr Abdelrahmi BESSAHA 
Expert international en macroéconomie et finance