« Je ne connais que ça » : le beurre salé, une passion bretonne.
En Bretagne, 90 % du beurre vendu est salé, contre moins de 35 % dans le reste de la France. La région représente plus de 15 % de la consommation nationale de beurre, alors qu’elle ne compte moins de 9 % de la population française.
Ils sont capables de fêter Noël avec leur plaquette de beurre sous le bras. Comme leur drapeau noir et blanc, présent dans tous les rassemblements sportifs, les Bretons se distinguent par leur attachement à leur beurre salé, qu’ils considèrent comme le seul comestible. Ils en consomment nettement plus que la moyenne et sont réputés pour apprécier leur or jaune en version demi-sel, voire agrémenté de cristaux de sel qui viennent pétiller sur la langue.
En Bretagne, le beurre salé est presque une religion. « Je ne connais que ça. Quand j’étais petite, on le faisait nous-mêmes. Nous n’avions pas de réfrigérateur, donc nous le placions dans un seau que nous descendions dans le puits pour le garder au frais », raconte Marie-Paule. Originaire du Morbihan, cette retraitée vit désormais dans le Lot, où elle continue de privilégier le beurre salé, qu’elle a réussi à faire adopter par son mari. « Quand nous allons chez nos amis en Provence, ils achètent du beurre salé juste pour moi. » Elle admet toutefois acheter du beurre doux lorsqu’elle reçoit.
Une raison historique explique tout
À l’instar de Marie-Paule, la majorité des Bretons consomme du beurre salé. Est-ce une question de goût ? Oui. Une tradition. Une fierté aussi. Mais il y a également une raison historique. En tant que grande région productrice de sel, la Bretagne a longtemps été exemptée de la gabelle, un impôt sur le sel que les Français payaient il y a sept cents ans. Pour éviter de payer trop de taxes, la France a réduit son utilisation du sel, qui servait de conservateur. Pendant ce temps, le duché de Bretagne en ajoutait partout, comme méthode de conservation. « La Bretagne était excentrée, donc les producteurs de beurre avaient pris l’habitude d’y ajouter du sel pour le conserver. Et cela est resté », explique Véronique Ayres, cheffe du groupe beurre pour la marque Paysan Breton.
Implantée sur tout le territoire français, la marque de la coopérative Laïta fait partie des acteurs majeurs de la région, dont elle connaît parfaitement les spécificités. Selon les chiffres fournis par son agence spécialisée dans les tendances de consommation, 90 % du beurre vendu dans la Bretagne historique (incluant la Loire-Atlantique) est salé. Dans le reste de la France, ce chiffre chute à moins de 35 %, bien qu’il tende à augmenter. Les données du ministère de l’Agriculture sont proches. « La région a également une consommation disproportionnée. Elle représente plus de 15 % de la consommation nationale alors qu’elle compte moins de 9 % de la population », poursuit Véronique Ayres. Cela correspond à 12 kg par an et par habitant, sans compter le kouign amann.
« C’est un sacrilège le beurre doux »
Originaire du Sud-Ouest, la responsable de la marque finistérienne se souvient avoir découvert l’importance du beurre à son arrivée en Bretagne, il y a treize ans. « Ici, ce n’est pas un ingrédient, c’est un véritable aliment. Chacun a sa préférence : sa marque, son format, sa façon de le conserver, de le manger. Il est systématiquement présent sur la table. Je n’y étais pas habituée. Et quand je retourne dans le Sud-Ouest, maintenant, je me demande toujours : mais où est le beurre ? »
Un véritable amour que les Bretons n’hésitent pas à afficher haut et fort, même si cela peut susciter des critiques. Il suffit de naviguer sur Internet pour le constater. Dans la région, le beurre demi-sel (environ 2 % de sel) ou la version avec des cristaux de Guérande (3 % de sel) sont presque unanimement appréciés. « C’est un sacrilège le beurre doux », s’exclame Gilles. « Du beurre pas salé, c’est de la matière grasse », tacle Nicolas. « Le beurre doux n’existe pas », renchérit Marc.

Aujourd’hui « convertie », Véronique Ayres fait partie de ceux qui font quelques exceptions, préférant le beurre doux au petit-déjeuner. « Le sel, c’est un exhausteur de saveur. Certains en ont besoin, d’autres n’aiment pas ça. » Et certains détestent même le beurre salé. « Le beurre salé, c’est juste bon pour les Bretons et les snobs », écrit un membre du clan du beurre doux en commentaire d’un sondage.
« J’ai cru manger du beurre périmé »
C’est également l’avis de Sylvain. Originaire des Pyrénées, il est marié à une Bretonne et vit dans la région rennaise depuis près de quinze ans. Pour lui, le beurre sera toujours doux. « J’ai découvert le beurre salé en 2005 à Nantes. J’ai cru manger du beurre périmé », raconte-t-il. Quelques années plus tard, il commande du beurre doux dans un restaurant à Rennes. « J’ai été raillé et moqué. On m’a dit qu’il n’y en avait pas ici et qu’il allait falloir que je m’habitue au beurre salé. »
Sylvain n’y est jamais parvenu. Ses enfants, en revanche, consomment un peu des deux « en fonction du contexte et de leur humeur. Ils sont en quelque sorte bilingues », affirme leur père. Chacun ses goûts.

