France

Noël : Les Français ne laissent pas les géants chinois du caviar les déstabiliser.

L’Europe consomme 200 des 600 tonnes de caviar produites mondialement, avec la France comme premier marché de consommation, dégustant environ 70 tonnes annuellement. En février 2025, une indication géographique protégée (IGP) a été décrochée par une association de producteurs aquitains, qui cherchent à « garantir une façon de travailler » répondant à des exigences sociétales et environnementales.


La situation a évolué rapidement. L’Europe, avec 200 des 600 tonnes de caviar produites au niveau mondial, reste le principal marché de consommation au monde. Cependant, depuis environ dix ans, la Chine a pris une position dominante dans la production de ce précieux produit, représentant presque 90 % du caviar vendu en Europe.

Grâce à des subventions massives accordées par les autorités chinoises, de grandes fermes piscicoles ont été mises en place pour élever des espèces d’esturgeons à croissance rapide (cinq ans au lieu de dix pour les espèces européennes). Face à ce constat difficile, certains producteurs français ont opté pour des alliances avec d’autres producteurs, européens ou non.

### Du caviar chinois à prix cassés

Au sein de l’Europe, la France se place en tête avec environ 70 tonnes consommées chaque année. « C’est énorme, c’est le premier marché et de loin, » déclare Laurent Deverlanges, à la tête de la marque Caviar de Neuvic, située en Dordogne. « Nous ne trouvons pas normal que les Chinois viennent vendre leur caviar chez nous alors que nous n’avons pas le droit de vendre le nôtre en Chine. »

En Chine, ce produit relativement nouveau n’est pas vraiment populaire. Lorsqu’il arrive sur le marché européen de gros, le caviar chinois est vendu à des prix très bas, soit 290 euros la tonne, contre 450 euros la tonne pour le caviar européen au moment de l’exportation.

En février 2025, une indication géographique protégée (IGP) a été obtenue par une association de producteurs d’Aquitaine. « Pour moi, l’IGP représente des Aquitains qui se protègent des Français et des autres pays. Je pense que la bataille se joue à un niveau européen, » analyse Laurent Deverlanges.

### Repli sur soi ou alliance européenne ?

Les producteurs aquitains regroupés au sein de cette IGP ont une perspective différente. Pour eux, il s’agit de « garantir une façon de travailler qui respecte les exigences en matière de responsabilité sociétale et environnementale, notamment en matière d’origine, de traçabilité et de bien-être animal, » explique Michel Berthommier, à la tête de l’Esturgeonnière, à La Teste-de-Buch, en Gironde. Autant de « valeurs » qui comptent pour les consommateurs européens. Concernant le prix, ils reconnaissent qu’ils ne peuvent pas rivaliser quand les Chinois proposent leurs produits à des tarifs inférieurs à leurs coûts de production. « Et l’Europe n’a pas décidé de nous soutenir là-dessus, » déclare Michel Berthommier.

Caviar de Neuvic, qui élève de l’esturgeon osciètre, a fait le choix il y a plusieurs années de s’associer avec des producteurs italiens, bulgares et espagnols. « Entre nous, nous avons des structures, des compétences et des espèces que nous pouvons mutualiser, » précise Laurent Deverlanges. « La ferme bulgare produit le meilleur Béluga du monde, l’espagnole le meilleur Naccari, et l’italienne, le meilleur Sevruga. » Le producteur espagnol envisage même de recentrer son activité de fabrication à Neuvic.

Au-delà de la volonté de mieux résister à la concurrence, il s’agit également de proposer une diversité de caviars et d’éduquer les consommateurs à différents terroirs et maturités, « comme pour les vins, » ajoute le dirigeant du Caviar de Neuvic. Alors que le caviar sauvage était une production plus restrictive, cette diversité est rendue possible par le développement du caviar d’élevage.

### « Ce n’est pas du riz ou des pâtes »

La fin d’année est indéniablement la haute saison pour les producteurs de caviar. Caviar de Neuvic génère 66 % de son chiffre d’affaires en novembre et décembre, écoulant 90 % de ses produits en France, tandis que l’Esturgeonnière atteint 70 % pendant ce trimestre. « Depuis dix jours, nous avons dépassé les 250 commandes par jour, et cela peut monter jusqu’à 500 contre 30 hors haute saison, » précise Laurent Deverlanges.

Les producteurs français plaident pour une certaine « désacralisation » du produit afin que les consommateurs multiplient les occasions d’en déguster. « Le caviar en 2025 coûte moins cher qu’il y a trente ans en valeur absolue, » souligne Michel Berthommier. « Cependant, cela reste un mets d’exception à un certain prix, et nous n’avons pas pour but de le démocratiser : nous n’en avons pas le pouvoir et ce n’est sûrement pas souhaitable. » « Ce n’est pas du riz ou des pâtes, c’est un aliment festif comme le champagne ou le foie gras, » ajoute le dirigeant de Caviar de Neuvic. « On le met sur la table pour célébrer quelque chose. »

Il reste à voir comment l’afflux de caviar chinois pourrait transformer les modes de consommation dans les années à venir, à l’image de la truffe, par exemple.