Une photographe laisse son appareil pour sauver des vies en mer.
Johanna de Tessières a exposé un travail réalisé pendant un mois et demi sur le bateau de sauvetage de l’ONG « SOS Méditerranée », au large des côtes lybiennes. Pour pouvoir embarquer sur l’Ocean Viking, SOS Méditerranée demande que l’on suive une formation d’une semaine, pour pouvoir aider en cas d’urgence.
Johanna de Tessières a décidé de présenter son travail réalisé pendant un mois et demi à bord du bateau de sauvetage de l’ONG « SOS Méditerranée », en Méditerranée, au large des côtes libyennes. Chaque jour, des migrants tentent de rejoindre l’Italie sur des embarcations fragiles. La Méditerranée est souvent qualifiée de route migratoire maritime la plus dangereuse au monde.
Depuis 20 ans, Johanna de Tessières s’intéresse aux migrations, ayant travaillé à Calais, au Parc Maximilien à Bruxelles, en Irak et en Turquie. C’est la première fois qu’elle intervient sur un bateau de sauvetage. Pour la première fois également, la photographe a dû mettre son appareil de côté pour prêter main-forte face à l’urgence et la gravité de la situation.
### Mission première : documenter ce qui se passe sur l’Ocean Viking et les opérations de sauvetage.
À bord de l’Ocean Viking, un navire humanitaire capable d’accueillir environ 500 personnes, Johanna de Tessières a pour tâche de témoigner de ce qui s’y passe à travers ses photographies. Elle capture le travail des sauveteurs, les embarcations et les migrants en détresse, ainsi que les actions des garde-côtes libyens qui s’opposent aux opérations de sauvetage.
« Certaines embarcations peuvent transporter 200 personnes. Ce sont des ‘double deck’, de petits bateaux en bois. On peut avoir l’impression qu’il n’y a que 100 personnes à bord, mais en fait, il y en a 100 autres sous le plancher. Leurs pieds trempent dans l’eau salée et l’essence, causant parfois de profondes brûlures. » Pour embarquer sur l’Ocean Viking, SOS Méditerranée exige une formation d’une semaine pour apprendre à aider en cas d’urgence. Bien que la présence d’un journaliste soit précieuse pour la documentation, cela représente aussi une place en moins pour un migrant. Ainsi, chaque personne à bord doit être en mesure d’aider en cas d’urgence.
### Quand l’urgence n’est plus celle de prendre des photos.
« Le premier sauvetage que j’ai documenté concernait une embarcation avec une vingtaine de personnes, tous des hommes, extrêmement affaiblis par leur voyage. Ils s’étaient perdus pendant sept jours, sans nourriture ni eau, et avaient bu de l’eau de mer. Certains ont perdu la raison pendant le voyage et se sont même jetés par-dessus bord. »
Rapidement, l’équipage de SOS Méditerranée est alerté par un signal : il s’agit d’une situation d’urgence, l’équipe médicale est débordée et ne pourra pas s’occuper de tout le monde. À ce moment-là, la photographe consacre la plupart de son temps à aider plutôt qu’à photographier. « Normalement, notre rôle de photojournaliste est clair sur le papier. Il faut rester objectif ; nous ne sommes pas des humanitaires, nous sommes là pour informer. Sauf qu’avec ma formation pour aider (réanimation, secourisme), j’ai compris que mon rôle était, dans cette situation précise, de prêter main-forte plutôt que de prendre des photos. »
### Empêcher l’invisibilisation via les photos
Johanna de Tessières aborde ces moments chargés d’émotion. « Ce sont des histoires et des images qui resteront à jamais gravées dans ma mémoire. » Elle réalise aussi des photos à d’autres moments à bord, lors d’autres opérations de sauvetage. « Je ne me sens pas protégée par mon appareil lorsque la situation est tendue. Mais ça m’aide. Lorsque ce que je photographie est violent ou inhumain, cela donne un sens à mon travail : je documente, je veux empêcher l’invisibilisation de cette violence qui se déroule en mer. »
L’exposition « Résonances » soulève également la question du droit à l’image. « Comment, en tant que photographe, dois-je m’assurer que le droit à l’image de ces personnes est respecté ? Il existe clairement un déséquilibre entre la situation dangereuse des personnes secourues et celle de ceux qui prennent des photos. Dans ce contexte, leur consentement est-il vraiment éclairé ? »
Après chaque sauvetage, Johanna de Tessières attend plusieurs jours avant de contacter chaque personne qu’elle a photographiée. Elle les informe des implications d’une publication, expliquant qu’une photo mise en ligne peut être difficile à retirer une fois qu’elle a circulé. Certaines personnes refusent la publication pour des raisons de sécurité, tandis que d’autres acceptent, soit parce qu’elles sont fières d’avoir réussi leur traversée, soit pour sensibiliser l’Europe à la gravité de ces situations dramatiques en Méditerranée.

