« Roquia » de Yanis Koussim : L’horreur ne révèle pas les blessures de l’histoire.
Quatorze longs métrages de fiction originaires de 11 pays ont été en lice durant les JCC. « Roqia » est le premier film d’horreur algérien et le premier long métrage de Yanis Koussim.
Pourquoi un film d’horreur, qui respecte pleinement les conventions du genre, s’inscrit-il dans un événement culturel de grande envergure ?
La Presse — Pendant les Journées cinématographiques de Carthage (JCC), le public a découvert une diversité de films adaptés à tous les goûts. Quatorze longs métrages de fiction en provenance de 11 pays ont été en compétition.
La majorité se sont concentrés sur des drames sociaux ou historiques, reflétant les réalités, les préoccupations et les cultures décrites par leurs réalisateurs.
Parmi les œuvres présentées dans la sélection officielle, figure « Roqia » du réalisateur algérien Yanis Koussim. Pourquoi un film d’horreur, qui respecte sans réserve les codes du genre, trouve-t-il sa place dans un festival de cette envergure ?
Un langage cinématographique propre à l’horreur
« Roqia » représente le premier film d’horreur algérien ainsi que le premier long métrage de Yanis Koussim. Il ne faut pas le confondre avec le film d’horreur français « Rokya » de Saïd Belktibia, sorti en 2023, bien qu’ils abordent apparemment le même thème de l’exorcisme.
Yanis Koussim fixe le ton dès le début, avec un extrait de hadith sur la violence humaine, suivi d’une séquence qui nous transporte dans les années 90, période caractérisée par la décennie noire algérienne et un chaos intense.
Le film se déroule en parallèle sur deux axes temporels, avec deux intrigues qui semblent indépendantes. Un Cheikh et son fils réalisent des exorcismes à leur domicile et chez ceux qu’ils croient possédés.
Ils accueillent aussi régulièrement Wafa, une jeune voisine enceinte qui les aide dans les tâches ménagères. En contrepoint, une série de meurtres d’une extrême brutalité est rapportée comme des faits divers, le lien entre les deux intrigues ne sera révélé qu’à la fin.
Les créateurs du film ont choisi de montrer des scènes de possession démoniaque sans recourir à des effets spéciaux sophistiqués, se concentrant plutôt sur les expressions faciales des acteurs, accompagnées de voix répétant des formules rituelles.
Ces moments ne devraient donc pas dépayser les amateurs de ce genre, en particulier ceux familiers avec la série turque « Siccin ». Considérée comme une référence dans ce qu’on appelle désormais les « films d’horreur islamique », cette série a abordé des thèmes similaires avec un niveau esthétique et technique impressionnant.
La deuxième intrigue concerne Ahmed, qui refait surface après une mystérieuse disparition, le visage couvert de bandages et totalement amnésique. Son retour coïncide avec des événements étranges.
Le suspense relatif à ce personnage captive le public jusqu’au dénouement. Au fur et à mesure que les mystères se clarifient, un lien finira par être établi entre les deux récits.
Comme dans de nombreux films d’horreur, la plupart des scènes de « Roqia » se déroulent dans l’obscurité, une lumière tamisée visant à renforcer l’immersion du spectateur.
Bien que les passages sanglants soient présents, ils évitent une représentation gore ou une violence gratuite.
Ce long métrage constitue une première expérience prometteuse, tant sur le plan narratif qu’esthétique. Cependant, il peut donner un sentiment de déjà-vu aux spectateurs habitués à ce type de productions.
Au premier abord, ni le sujet ni sa présentation ne semblent particulièrement originaux. Toutefois, lorsque l’on découvre que ce film traite d’un moment clé de l’histoire récente de l’Algérie, une recontextualisation s’impose.
Au-delà du simple frisson
Les intentions de l’équipe de « Roqia » ne se limitent pas à effrayer pour divertir. Le choix de situer l’histoire durant la décennie noire est particulièrement significatif.
Cette période, perçue comme un traumatisme collectif, a été marquée par une violence inouïe, incluant des meurtres, des attentats, des enlèvements et des disparitions.
Certains événements de cette époque demeurent encore mystérieux de nos jours. L’atmosphère d’angoisse, de terreur et d’impuissance présente dans le film reflète le vécu de la société algérienne durant ces années troubles.
De plus, si Ahmed souffre d’amnésie soudaine et si le Cheikh subit une perte de mémoire progressive liée à l’Alzheimer, cela souligne que le simple fait d’oublier un passé douloureux ne suffit pas à empêcher son retour pour hanter le présent.
Cependant, alors que les crimes passés sont le résultat d’un conflit majeur, il est possible que les atrocités actuelles s’intensifient et se répandent.
L’univers des Djinns, des Cheikhs et des meurtres qui imprègne ce film interroge ainsi ce passé, tout en transmettant une inquiétude quant à la possibilité de le revivre.
Comment expliquer une telle capacité au mal ? Cette pulsion destructrice qui a conduit à des violences massives pourrait-elle refaire surface ? Le langage du cinéma d’horreur utilisé par Yanis Koussim illustre alors des métaphores pour explorer ces blessures historiques.
Il aborde la perte de repères, tant à un niveau personnel que collectif, démontrant que l’oubli peut également devenir un facteur de tension.
L’horreur devient ainsi un outil narratif à l’intersection du symbolique, de l’historique et du social, mettant en scène la mémoire, les peurs collectives et les traumatismes d’une société confrontée à ses anciennes blessures.
À ce titre, ce type de film devient plus profond, plus exigeant et plus engagé. À noter que « Roqia » a déjà été projeté dans plusieurs prestigieux festivals internationaux.
Il a fait sa première mondiale lors de la 82e Mostra de Venise dans la section de la Semaine de la critique.
Il a également été présenté dans des festivals dédiés à l’horreur et au fantastique en Autriche et en Pologne, et a récemment été sélectionné pour la compétition officielle du Red Sea International Film Festival en Arabie Saoudite.
Le choix de le projeter aux JCC met en avant la valeur et l’importance de ce film, marquant une nouvelle étape significative dans le parcours de ses créateurs.

