Belgique

Marchandisation des armes : un expert avertit des risques d’exportation.

L’invasion de l’Ukraine en 2022 a remis sur le devant de la scène européenne un discours appelant au réarmement de l’Europe et mettant au premier plan l’industrie d’armement européenne. Les États européens dépensent deux fois plus que la Russie pour leurs forces armées et les budgets des ministères de la défense dans l’Union européenne augmentent depuis une dizaine d’années.


L’invasion de l’Ukraine en 2022 a mis en lumière en Europe un discours plaidant pour le réarmement, une diplomatie des armes et une mise en avant de l’industrie d’armement européenne. Christophe Wasinski rappelle que cette même industrie avait pourtant une image plutôt négative il y a quelques années : « Avant, les exportations d’armes des entreprises basées notamment en Région Wallonne étaient associées à l’Arabie saoudite, aux États autoritaires. Puis la guerre en Ukraine a joué comme une ‘aubaine’ pour l’industrie. Certains experts ont présenté les armes comme un ‘arsenal de la démocratie’, reprenant un concept de la Seconde Guerre mondiale pour désigner les livraisons d’armes contre l’Allemagne nazie ».

Bien que la situation en Ukraine et le retrait des États-Unis de l’OTAN justifient l’importation et l’exportation d’armes pour assurer sa protection, le chercheur appelle à modérer l’enthousiasme autour d’objets conçus pour blesser et tuer. « Ce ne sont ni des marchandises comme les autres, ni des objets magiques », souligne-t-il. « Ils ne résolvent pas les conflits. Au contraire, plus on exporte d’armes, plus on prolonge les conflits et on crée un monde dangereux. Il est essentiel de faire de la politique et de la diplomatie ».

L’idée selon laquelle l’Europe serait en retard sur ses concurrents en matière d’armement est contestée par Christophe Wasinski, qui cite des chiffres : « Les États européens dépensent deux fois plus que la Russie pour leurs forces armées. Depuis dix ans, les budgets des ministères de la défense dans l’Union européenne augmentent. Si, après dix ans d’augmentations considérables, on nous dit qu’il faut amorcer le réarmement maintenant, cela pose des questions! »

Son livre *Les armes : Marchandisation et fabrique d’un monde dangereux* (éd. de l’ULB) examine l’impact de l’industrie de l’armement sur les politiques étrangères des États. « Plutôt que de partir du risque que les armes font porter sur la sécurité, je suis parti des intérêts économiques et des relations d’interdépendance entre les forces armées et l’industrie, vers les politiques de sécurité », explique l’auteur. Il met en lumière l’influence des lobbies et think tanks de l’industrie de l’armement qui « produisent des rapports alarmistes qui insistent sur la nécessité de réarmer » à l’attention des autorités publiques, tant à Washington qu’à Bruxelles.

À Bruxelles, l’Agence européenne de défense entretient des liens étroits avec l’industrie de l’armement et ses lobbies, comme l’Aerospace, Security and Defence Industries Association of Europe (ASD), qui représente des acteurs majeurs tels que Dassault, Thalès ou Safran. « L’Agence produit un discours systématiquement favorable à davantage de dépenses pour l’acquisition d’armes par les forces armées européennes », déclare Christophe Wasinski.

La question se pose alors de savoir si l’on a réellement besoin d’un tel stock d’armes, comme le soutient l’industrie. Actuellement, le conflit en Ukraine et les ambitions européennes relancent les capacités de production de manière équilibrée. Toutefois, la transition vers une économie de paix pourrait engendrer des conséquences indésirables, comme l’indique l’historique. « À la fin de la Guerre froide, l’Occident avait d’importantes capacités de production d’armement, mais il n’y avait plus autant de besoins en équipements militaires. Les industries se sont sauvées en exportant des armes à des États extrêmement autoritaires », prévient le professeur de relations internationales à l’ULB.

« À un moment ou à un autre, les marchés européens vont être saturés et la question va se poser : allons-nous recommencer à livrer des armes aux États autoritaires, à l’Arabie saoudite, à l’Égypte, qui commettent des exactions avec? », s’interroge-t-il. Les échanges commerciaux avec les régimes autoritaires sont-ils vraiment arrêtés? Des enquêtes comme celles du média en ligne *Disclose* ont révélé des contrats de l’État français avec l’Égypte et Israël pour des armements utilisés en violation du droit international. « Les mêmes avions F-16 que nous avons livrés à l’Ukraine sont utilisés par l’armée pakistanaise pour commettre des bombardements illicites ».

Face à la montée de la demande pour ces armes, Christophe Wasinski appelle à faire l’inventaire des armes dont disposent déjà les pays européens, à « compléter là où il y a des manques criants » et, pour le reste, à privilégier la diplomatie plutôt qu’une course à l’armement. Cela représente un défi pour une Union européenne dont la crédibilité sur la scène internationale est déjà mise à mal.

► Écoutez l’intégralité de cette interview dans le podcast du *Monde en direct* ci-dessus.