« Cotton Queen » de Suzannah Merghani : hommage à la femme qui rêve et résiste
« Cotton Queen » est le premier long métrage de la réalisatrice soudano-russe Suzannah Mirghani, qui a été en compétition dans la catégorie des films de fiction aux JCC. Le film a déjà été sélectionné dans de nombreux festivals cinématographiques prestigieux, dont le Venice Film Festival, le Chicago International Film Festival et le Doha Film Festival.
**Une histoire douce-amère sur la résilience féminine : premier long métrage de la réalisatrice soudano-russe en compétition dans la catégorie films de fiction aux JCC.**
**La Presse** – Depuis plusieurs années, le Soudan traverse des conflits internes accompagnés d’une famine touchant diverses régions du pays. Évoquer cette nation en détresse amène souvent à se focaliser sur ses zones d’ombres politiques et humanitaires. Toutefois, la réalisatrice soudano-russe Suzannah Mirghani a choisi de raconter une autre histoire, celle d’une résilience féminine douce-amère. « Cotton Queen » est son premier long métrage, pour lequel elle a écrit le scénario, et il est en lice pour le prix des films de fiction aux JCC.
Pour « Cotton Queen », Suzannah Mirghani a utilisé les fondations de son court métrage « Al-Sit », sorti en 2020, qui a remporté plus de 40 prix et nominations au niveau international. L’histoire suit Nafisa, une adolescente de 15 ans, qui a grandi dans un village où la culture du coton prédomine. Sa grand-mère, surnommée « Al-Sit », souhaite la marier de force, en dépit de l’amour qu’elle éprouve pour Bibaker. Nafisa se retrouve ainsi confrontée à des choix cruciaux, déchirée entre le respect des traditions ancestrales et ses aspirations à l’émancipation.
Dans « Cotton Queen », la cinéaste conserve le même cadre et la protagoniste est de nouveau interprétée par Mihad Murtada. Les premières scènes du film montrent la culture du coton, baignées de joie et d’un esprit communautaire. En plus de son importance économique, cette plante est un symbole de pureté. Les jeunes filles qui la récoltent doivent se conformer aux mœurs traditionnelles; tout manquement pourrait « contaminer » la récolte, rendant son achat impossible.
Ces adolescentes, pleines de vie et d’innocence, sont lourdement affectées par un lourd fardeau de traditions rigides. Soumises à l’excision dès leur jeunesse, leurs aspirations se limitent souvent à l’attente d’un époux. Dans ce cadre rural restrictif, Nafisa réussit à se distinguer par sa force de caractère mêlée à un esprit rêveur. Elle est poète, amoureuse de Bibaker, et désire découvrir le monde au-delà des frontières de son village.
« Al-Sit », la « Cotton Queen », demeure dans ce film en tant qu’autorité respectée. Elle a forgé une réputation de résistante contre la colonisation britannique, presque mythique. Admirée et vénérée, il est difficile de la contrarier. Nadir, un jeune homme d’affaires vivant à l’étranger, arrive avec des projets prometteurs. Il envisage de remplacer le coton traditionnel par une souche génétiquement modifiée, plus productive, bien qu’il n’offre pas de semences. Cela augmenterait les profits, mais rendrait les villageois dépendants des graines à importer chaque saison.
Par ailleurs, Nadir cherche une épouse parmi les jeunes filles du village, accentuant la concurrence. Nafisa, bien que réticente, est la candidate privilégiée, ce qui place sa communauté à un tournant décisif. Faut-il choisir le projet moderne de l’homme d’affaires ou rester attachés à leur coton traditionnel ? Nafisa épousera-t-elle Nadir ou défendra-t-elle son amour pour Bibaker ?
Le film incarne ainsi une histoire de résilience féministe dont l’impact dépasse le personnel pour aborder des enjeux sociétaux. Le coton est ici associé à un passé d’exploitation et de colonialisme, symbolisant l’enracinement et la nécessité de protéger une terre maternelle. Jusqu’où peut-on accepter le changement tout en préservant son identité ? Dans ce tiraillement entre tradition et modernité, quels éléments doit-on réévaluer pour avancer ?
« Cotton Queen » aborde des thématiques délicates présentes dans une société soudanaise particulièrement conservatrice, telles que la relation au corps, l’exploration de la féminité et la pratique de l’excision. Il examine des traditions rurales, mettant en lumière sa dimension anthropologique.
Malgré la profondeur des réflexions qu’il soulève, le film reste léger et lyrique, riche en couleurs, chansons et scènes humoristiques. Ce long métrage a déjà été sélectionné dans divers festivals prestigieux, y compris le Venice Film Festival, le Chicago International Film Festival et le Doha Film Festival.
Lors de la projection au Théâtre de l’Opéra à la Cité de la culture de Tunis, la réalisatrice a évoqué son pays en crise. Elle a expliqué que le tournage s’est fait en Égypte, où ils ont reconstitué le village du film. Certains acteurs n’ont pas pu se déplacer pour assister aux projections, certains étant devenus réfugiés, d’autres bloqués au Soudan à cause de la guerre. La cinéaste s’engage à poursuivre son travail, portant la voix des femmes de son pays ainsi que leurs rêves de liberté et d’autonomie.

