Tunisie

Huile d’olive, dattes et crabe bleu : l’agroalimentaire tunisien se réinvente.

Le secteur agroalimentaire, porté par l’exportation d’huile d’olive et de dattes, doit concilier production durable et rentabilité dans un contexte de stress hydrique croissant et de coûts de production élevés. Invitée dimanche 21 décembre 2025 sur les ondes de RTCI, Ines Essid a souligné que les pertes et gaspillages constituent un défi majeur, et a mis en évidence que le secteur laitier fait face à des difficultés en raison du coût prohibitif de l’alimentation pour bétail importée.


Le secteur agroalimentaire, essentiel pour l’économie tunisienne grâce à l’exportation d’huile d’olive et de dattes, se doit de faire face à un défi crucial : allier production durable et rentabilité dans un contexte de stress hydrique croissant et de coûts de production élevés. Ines Essid, Maître de conférences en technologie alimentaire à l’INAT, propose un état des lieux des obstacles et des possibilités de transition vers une production sans déchet.

Lors de son intervention le dimanche 21 décembre 2025 sur les ondes de RTCI, Ines Essid, également responsable du département des industries agroalimentaires de l’Institut National Agronomique de Tunisie, a mis en avant l’importance stratégique de ce secteur pour l’économie nationale. L’huile d’olive demeure le principal produit d’exportation, générant chaque année des devises significatives, suivie des dattes et de certains produits transformés issus de la pêche.

Le secteur est confronté à plusieurs obstacles structurels, le stress hydrique étant la menace la plus critique, impactant directement la production agricole et, par conséquent, la disponibilité des matières premières pour la transformation. « L’agroalimentaire, c’est de la fourche à la fourchette. S’il y a un problème dans le secteur agricole, le secteur agroalimentaire sera touché directement », insiste l’experte.

Les pertes et gaspillages représentent un autre défi de taille. De manière paradoxale, une récolte exceptionnelle peut entraîner des difficultés. Ainsi, l’abondance des olives cette année a causé des problèmes de transformation et de stockage. La situation dans le secteur laitier est également préoccupante : les éleveurs, subissant le coût élevé de l’alimentation pour bétail importée et la montée de l’euro par rapport au dinar, désertent progressivement une filière devenue peu rentable.

**Vers une production plus responsable**
La transition vers la durabilité nécessite une transformation profonde des méthodes de production. Il s’agit désormais d’assurer une production respectueuse de l’environnement, adaptée au changement climatique et nécessitant moins d’énergie. Ines Essid illustre cette évolution de mentalité par un exemple : « Nous sommes devenus de grands consommateurs de double concentré de tomates, alors que nos ancêtres consommaient des tomates séchées naturellement au soleil. Le séchage naturel ne coûte rien et préserve mieux la valeur nutritionnelle. »
La valorisation des produits du terroir fait partie de cette dynamique. Le concours organisé tous les deux ans par l’APIA et le ministère de l’Agriculture reflète un intérêt croissant : de 200 produits présentés en 2017, leur nombre est monté à 500 en 2025. Cette évolution montre l’engouement des agriculteurs et des femmes rurales pour les productions traditionnelles, soutenue par une sensibilisation accrue des consommateurs tunisiens aux conséquences néfastes des produits ultra-transformés.

**Le zéro déchet : un objectif atteignable mais non généralisé**
Certaines industries tunisiennes démontrent qu’une approche zéro déchet est réalisable. Des entreprises réussissent à valoriser presque la totalité de leurs coproduits : plumes et sang dans le secteur avicole, carapaces de crustacés pour l’extraction de chitine et chitosane utilisées dans les cosmétiques et les biofilms, pulpes de tomates réutilisées dans l’alimentation animale. L’invasion du crabe bleu, initialement considérée comme une menace, s’est muée en opportunité économique grâce à la valorisation complète du produit et de ses dérivés.

Les sous-produits de distillerie du nord-ouest, issus de la production d’eau de géranium et autres essences, font l’objet d’études prometteuses, révélant leur potentiel pour améliorer la productivité animale. Cependant, ces exemples demeurent l’apanage des grandes industries certifiées ISO 22000 et ISO 14000, disposant des ressources nécessaires pour investir dans le traitement des déchets.

La problématique des emballages souligne les contradictions du secteur. Plus d’un tiers des emballages plastiques polluant les océans proviennent de l’industrie alimentaire. « Notre planète suffoque, il faut arrêter le massacre », alerte Ines Essid, qui admet avoir elle-même enseigné les avantages du plastique au début de sa carrière, avant la montée de la conscience environnementale.

Les emballages biodégradables et intelligents représentent l’avenir, mais leur adoption est freinée par des réalités économiques. Le coût d’une barquette biodégradable peut être supérieur de 40 à 60 % à celui d’un emballage plastique ordinaire. Les emballages intelligents, affichant par exemple des indicateurs de pH, pourraient cependant réduire considérablement le gaspillage en informant le consommateur de l’état réel du produit.

Ines Essid estime que la solution réside dans l’intervention de l’État. « Il faut imposer des lois, il faut changer les lois », soutient-elle. Les industriels sont conscients des enjeux environnementaux, tout comme les consommateurs qui recherchent de plus en plus une alimentation saine. Mais tant que l’État permettra les emballages plastiques sans imposer des normes contraignantes, la transition restera limitée.