Tunisie

Journées cinématographiques de Carthage : « Irkala-Gilgamesh’s Dream » de Mohamed Al Daradji, enfance à la dérive.

Le film « Irkala–Gilgamesh’s Dream » est projeté dans le cadre de la compétition officielle des JCC. Les résultats de la compétition seront annoncés officiellement lors de la cérémonie de clôture le 20 décembre prochain.

Comment survivre lorsqu’on se retrouve brusquement sans abri, abandonné à son sort, sans aucun soutien affectif ou matériel ? C’est sur cette réalité poignante que le film « Irkala – Gilgamesh’s Dream » se concentre.

La Presse — Pendant de nombreuses années, l’Irak a été le théâtre d’une violence inouïe, entre milices, Daesh et forces de police réprimant les manifestations à coups de balles réelles. De nombreuses vies ont été perdues, laissant des enfants, eux aussi victimes d’une réalité cruelle.

Comment vivre, ou plutôt survivre lorsqu’on se retrouve brutalement sans abri, abandonné à son sort, sans soutien affectif ni matériel ? C’est sur cette enfance délaissée que le film « Irkala – Gilgamesh’s Dream » se penche.

Ce long métrage de fiction est présenté dans le cadre de la compétition officielle des Journées Cinématographiques de Carthage (JCC). Réalisé par Mohamed Al Daradji, il est également coécrit par ce dernier.

Le film met en exergue trois enfants parmi les nombreux errants. Moody, un adolescent en difficulté, rêve de quitter Bagdad pour commencer une nouvelle vie à Amsterdam. Malgré son apparence redoutable, il développe un lien affectif avec Chum-Chum, un orphelin diabétique, et sa sœur Sarah.

Ils partagent les affres d’une existence difficile, entre errance, faim, abus, insécurité et exploitation sexuelle. Au fil du temps, ils sont peu à peu entraînés dans le milieu criminel, n’ayant d’autre choix que de suivre cette voie pour financer leur départ.

Deux figures adultes influent sur leurs destinées : une femme brisée par la perte de sa famille, victime d’une violence absurde, et un Cheikh mystérieux à la tête des milices.

Vu sous cet angle, le film s’articule comme une fresque sociale, où le ton tragique prédomine. Ce qui le rend unique, c’est la présence de Gilgamesh, héros mythologique, dont Chum-Chum est obsédé. Le récit prend racine dans la légende d’Irkalla, un monde souterrain où habitent les morts. Le jeune orphelin aspire à s’y rendre pour retrouver ses parents, convaincu que Gilgamesh pourra les ramener à la vie.

Son admiration pour ce héros légendaire s’intensifie au fil des épisodes de dessins animés qu’il regarde, au point de le concevoir comme son unique espoir. Un extrait de ces dessins animés figure d’ailleurs dans le long métrage, afin d’illustrer ses aventures.

Tout au long du film, une voix off retranscrit le chaos dans les rues, renforçant le réalisme du cadre, nous plongeant en 2019 durant une période de troubles et de brutalité. Les scènes dépeignent avec fidélité les confrontations entre la police et les manifestants, tandis que la violence aveugle des milices frappe même les innocents.

Chum-Chum attend toujours Gilgamesh, espérant qu’un miracle mettra fin à ses souffrances. Il aurait pu envisager des héros tels que Superman ou Batman, mais le film centre son espoir sur un héros mythologique irakien, comme pour souligner que la solution doit émerger de l’intérieur du pays, en puisant dans un passé glorieux pour renaître de ses cendres.

Cette touche de fantastique représente la seule échappatoire pour le petit Chum-Chum, malgré les moqueries de ses camarades. C’est cette attente qui lui permet de surmonter ses malheurs. Tandis qu’il demeure innocent, Sarah se laisse séduire par le monde nocturne, et Moody s’enfonce de plus en plus dans la criminalité en rejoignant les milices du Cheikh.

À travers ce long métrage d’un réalisme percutant, Mohamed Al Daradji souhaite éveiller les consciences du public. Quelle issue pour ces enfants ? Est-il encore possible de les rattraper avant qu’ils ne deviennent dangereux pour eux-mêmes, leurs proches et l’avenir de leur pays ? « Irkala – Gilgamesh’s Dream » n’apporte pas de réponses.

Cependant, la séquence finale, montrant Chum-Chum s’envoler dans le ciel, exalté de voir son désir réalisé, offre un sourire au spectateur. C’est la seule lueur d’espoir dans ce film sombre. Mohamed Al Daradji dépeint avec justesse le vécu des enfants victimes de la violence anarchique dans leur ville.

Au-delà de Bagdad, où la situation s’est stabilisée, le film rappelle tous les enfants souffrant des affres du fanatisme et des conflits, dont le destin est intimement lié à celui de leurs villes. Le film a été présenté dans de nombreux festivals prestigieux, dont le Locarno Film Festival et le Festival international du film de Toronto.

Un succès de plus dans la carrière du réalisateur, reconnu sur la scène internationale depuis son premier long métrage « Ahlaam », sorti en 2006, qui a été projeté dans plus de 125 festivals et a remporté plus de 22 prix.

« Irkala – Gilgamesh’s Dream » parviendra-t-il à séduire le jury des JCC ? Les résultats de la compétition seront dévoilés lors de la cérémonie de clôture, le 20 décembre prochain.