« Pascal, producteur laitier, raconte comment il a dû « tuer » ses vaches »
Pascal Coen, producteur laitier bio en Haute-Savoie, a dû abattre l’intégralité de son troupeau de 38 vaches suite à la dermatose nodulaire contagieuse (DNC) début juillet. Mi-août, le dernier cas de DNC a été confirmé, permettant aux éleveurs de commencer le repeuplement, avec une première aide d’environ 2.100 euros par vache versée pour ce processus.
« Psychologiquement, c’est terrible parce que nos vaches, c’est comme notre deuxième famille. » Ces mots de Pascal Coen résonnent avec émotion, plusieurs mois après le dépeuplement de son cheptel. Éleveur laitier bio en Haute-Savoie, il est l’un des premiers agriculteurs affectés par la dermatose nodulaire contagieuse (DNC). Début juillet, il a dû abattre l’intégralité de son troupeau en l’espace de quelques jours.
« Le 6 juillet au soir, les bêtes sont sorties normalement dans le pâturage. Le lendemain matin, l’une d’entre elles avait une varicelle de nodules avec une jambe complètement enflée, très fatiguée », se remémore-t-il. Le vétérinaire, venu effectuer les prélèvements, n’est pas rassurant. « Il nous a dit tout de suite que ça ne sentait pas bon. » Deux jours plus tard, le diagnostic est confirmé. Et dès le lendemain, le protocole s’applique : les 38 vaches de Pascal sont euthanasiées.
« C’est très dur parce qu’on se lève tous les matins pour elles, on travaille toute la journée avec elles. Et puis… » Pascal souffle, prend une respiration, puis ajoute : « Et puis voilà, du jour au lendemain, on n’a plus rien. » Il conclut, timidement : « Quand j’en parle, c’est toujours compliqué. »
Le jour du dépeuplement reste gravé dans la mémoire de l’éleveur. À 57 ans, il devient le premier cas d’abattage total dans son département, et le deuxième en France. Malgré sa grande tristesse, il n’a pas hésité. « On avait vu ce qu’il s’était passé pour le collègue d’en face, à 1 km à vol d’oiseau d’ici, et la vitesse à laquelle la maladie s’était propagée. Quand c’est arrivé chez nous, on savait que le troupeau était condamné. On a pensé au collectif : il ne fallait surtout pas que ça se transmette aux voisins. Ce n’était déjà pas facile pour nous mais si en plus, on condamnait les vaches des autres… »
Le matin du dépeuplement demeure un souvenir douloureux. « Les jours avant la confirmation n’étaient pas simples, mais le matin du dépeuplement, c’était terrible. Aller les chercher au parc en sachant qu’on ne les reverra plus… Et la dernière traite. Ensuite, tout s’enchaîne : la présence des gendarmes, la décontamination, les blouses jetables… Là, on comprend qu’on fait face à quelque chose de grave. De très grave. »
Après l’abattage, c’est le vide. « On se lève le matin, mais on ne sait plus trop pourquoi », confie cet agriculteur qui a repris le domaine familial en 1986. La doyenne de ses vaches avait 12 ans, les plus jeunes, 3 ans. « On a le temps de s’attacher… », ajoute-t-il doucement. Selon lui, les jours qui suivent sont les plus difficiles. « Si on m’avait dit que je verrais un psychologue un jour, ça m’aurait doucement fait sourire. Pourtant, j’y suis allé quatre fois. Dans cette période, on avait besoin de parler, on avait besoin d’être soutenu », assure-t-il.
Rapidement, la solidarité s’organise localement pour assurer le suivi des mesures à prendre : ne pas déplacer les animaux et la vaccination. Pascal évoque l’organisation titanesque des vétérinaires pour vacciner 8 000 bovins en deux jours. « On nous avait dit qu’il fallait un mois pour vacciner les Savoie, on a mis quinze jours », précise-t-il, notant que le matériel a même été acheminé en hélicoptère dans certains endroits.
De son côté, il a soutenu les éleveurs qui « tombaient » après lui, « vu qu'[il] était le premier cas ». « Étant passé par là, j’ai pu témoigner aussi auprès des services pour ajuster le protocole », confie-t-il.
Mi-août, le dernier cas de DNC est confirmé, laissant entrevoir à Pascal et ses collègues la possibilité d’accueillir de nouvelles bêtes dans leur exploitation. « Les déplacements d’animaux ne pouvaient avoir lieu que 45 jours après, donc ça nous emmenait au 22 octobre », précise le producteur de lait. Pour ceux qui avaient subi l’abattage total, il fallait attendre vingt-huit jours après la décontamination des bâtiments. « Donc, pas avant le jour d’après pour nous. » Dès qu’il a connu la date, il s’est engagé auprès d’organismes de sélection pour trouver des vaches conformes aux cahiers des charges (Montbéliarde, Abondance, Tarine). « Ils ont démarché tous les éleveurs pour nous aider », souligne-t-il.
Avant de poursuivre, un sourire dans la voix : « Le 24 au soir, l’étable était remplie et on trayait à nouveau. » Il explique que certains n’avaient pas prévu de vendre mais ont agi par solidarité. Quant à lui, il a récupéré un troupeau entier de 28 vaches d’un éleveur partant à la retraite. « Un autre éleveur m’a vendu 9 vaches. Et cinq autres m’en ont donné le reste. On a réussi à repeupler rapidement », se réjouit-il.
« Ces éleveurs, je ne les connaissais pas, poursuit-il. Quand je les ai appelés pour les remercier, ils m’ont tous répondu la même chose : »Après le sacrifice que vous avez fait pour nous, c’est la moindre des choses qu’on pouvait faire ». C’était très touchant. » Pour lui, la période entre le départ de ses vaches et l’arrivée des nouvelles a été « la plus dure ».
À cette épreuve humaine s’est ajoutée l’angoisse financière. Bien qu’une première aide d’environ 2 100 euros par vache ait été versée pour le repeuplement, cette somme a servi à compenser l’absence de revenus, le paiement du lait étant décalé de deux mois. « Sans aucune rentrée d’argent, on a utilisé cet argent pour survivre, indique Pascal. Et pour repeupler, on a utilisé les avances de trésorerie des banques qui ont, elles aussi, fait des efforts. »
Aujourd’hui, l’activité de Pascal n’a pas encore complètement repris, mais il avance. « C’est une nouvelle histoire qui commence, mais la page ne se tournera jamais, la cicatrice ne se fermera jamais. On n’oublie pas celles qui sont parties. Il ne le faut pas parce que ce sont elles, les principales victimes de cette crise. Nous, les éleveurs, on a mis un genou à terre mais aujourd’hui, on est reparti et elles ne sont plus là. »
Le quinquagénaire reste marqué par les événements. « Personne ne peut être pour l’abattage. Mais dans la situation qu’on a vécue, on n’avait pas le choix. Il n’y a que ceux qui l’ont vécu qui peuvent en témoigner. » Il exprime également sa colère face à la réapparition de la maladie ailleurs. « On a tout fait pour la contenir et on a réussi à l’éradiquer. À plusieurs centaines de kilomètres, ce n’est pas un insecte qui la transporte, c’est forcément un transport illicite, donc une responsabilité humaine », conclut-il. Pascal appelle ses collègues à agir pour « ne pas revivre ça une deuxième fois ».

