France

Pédophilie : Un religieux jugé huit ans après ses aveux

Le frère Albert Maës, qui fêtera en janvier ses 83 ans, a été renvoyé la semaine dernière devant une cour criminelle pour des viols et agressions sexuelles commis sur des enfants et adolescents guinéens entre 1994 et 2002. En garde à vue en septembre 2017, l’ecclésiastique reconnaît avoir commis des « actes de pédophilie », tout en minimisant les faits.


Ces derniers mois, la colère s’est mêlée à une grande inquiétude. Et si le frère Albert Maës, qui fêtera en janvier ses 83 ans, ne comparait jamais devant la justice pour les viols et agressions sexuelles qu’il a pourtant reconnus – du moins partiellement – durant l’instruction ? « Notre principale crainte, c’est qu’il décède avant d’avoir pu répondre de ses actes », s’exaspérait récemment Me Frédéric Benoist, avocat de l’association la Voix de l’Enfance. Plus de huit ans après sa mise en examen, ce membre du clergé a finalement été renvoyé la semaine dernière devant une cour criminelle pour des viols et agressions sexuelles sur des enfants et adolescents guinéens entre 1994 et 2002, selon les informations de 20 Minutes.

Cependant, la situation judiciaire reste incertaine : son avocate, Me Aurélie Chambon, a indiqué qu’elle envisageait un recours devant la chambre de l’instruction. « Ce n’est pas une manière de gagner du temps mais il y a des règles à respecter en matière de procédure », a-t-elle souligné. Ce recours pourrait retarder l’audiencement du procès. En attendant, l’ecclésiastique, membre de la congrégation du Sacré-Cœur, reste en liberté, sous contrôle judiciaire. Depuis 2002 et son retour précipité d’Afrique, il réside dans un Ehpad dans la région du Puy-en-Velay. La seule évolution depuis sa mise en examen en 2017 a été l’obligation de se présenter à la gendarmerie tous les quinze jours. « Mon client subit les décisions de la justice et son état de santé, c’est un vieil homme », a insisté son avocate.

Pour saisir les enjeux de cette affaire, il faut remonter le temps et traverser la Méditerranée. En 2002, les autorités guinéennes commencent à prêter attention aux rumeurs croissantes entourant le frère Albert Maës, une personnalité influente à Conakry. Cet ecclésiastique français, arrivé dans le pays en 1992, pourrait abuser de son statut – dirigeant une école privée réputée à la capitale et un club de football local – pour exploiter de jeunes garçons. Cependant, avant que la justice locale puisse l’entendre, il est rapatrié d’urgence en France par sa hiérarchie et placé dans la maison de retraite où il se trouve toujours. « Cette affaire illustre la manière dont les autorités du Vatican ont protégé et soutenu des pédocriminels. Il est essentiel de faire la lumière sur l’aide et l’assistance dont ont bénéficié des hommes comme Albert Maës », affirme Me Frédéric Benoist.

En France, le scandale émerge en 2017, à la suite d’une enquête de Cash Investigation révélant comment l’Église facilite l’exfiltration des religieux suspects de pédophilie. En apprenant qu’une enquête était en cours, la congrégation envoie en août 2016 un courrier recommandé au procureur de la République de Mende – l’affaire sera ultérieurement transmise au parquet de Clermont-Ferrand – dénonçant les actes de pédophilie du frère Maës. Bien que les investigations de part et d’autre de la Méditerranée expliquent en partie la lenteur de l’instruction, une question demeure : comment justifier quinze années d’impunité en France ? Deux autres courriers similaires avaient été adressés en 2003 et en 2006 à la justice par les supérieurs du frère Maës, mais avaient été envoyés simplement par lettre au tribunal. Ces missives se sont égarées sans que cela semble inquiéter les autorités religieuses.

Dès 2017, deux victimes guinéennes portent plainte devant la justice française. Une commission rogatoire permet d’en identifier deux autres. Toutes relatent un modus operandi bien rôdé : le frère Maës, rencontré au collège ou au club de football qu’il dirige, les a d’abord pris sous son aile avant d’imposer des relations sexuelles. En « contrepartie », il promet de les scolariser, de les aider dans leur carrière footballistique ou leur verse de l’argent. Les enquêtes ont révélé que cet ecclésiastique avait effectué plus de 811 virements à travers toute l’Afrique, visant plus de 40 bénéficiaires. Montant total estimé : 110.595 euros. Cet argent provenait d’une association caritative de sa congrégation, ce qui lui a valu une peine de six mois de prison avec sursis.

Placé en garde à vue en septembre 2017, l’ecclésiastique admets avoir commis des « actes de pédophilie », se prévalant de son « aura » pour attirer de jeunes garçons qu’il qualifie d’« esclaves sexuels ». Toutefois, tout au long de l’instruction, il minimise les faits, parlant d’« étreintes sans baiser », tandis que les victimes évoquent toutes des fellations et des sodomies. Il prétend que ses « partenaires » avaient plus de 15 ans, alors que les premiers actes dénoncés remontent à l’époque où ils n’avaient qu’une dizaine d’années. L’ecclésiastique soutient que les mineurs étaient « consentants », allant jusqu’à parler d’une relation amoureuse. Une question cruciale demeure : combien de victimes cet homme a-t-il laissées derrière lui ? En garde à vue, il a estimé avoir eu des relations sexuelles avec une quinzaine de jeunes guinéens mais a ensuite modifié ce chiffre, évoquant des « gestes d’affection » pour certains.

Et avant cela ? En 1975, alors qu’il était responsable de l’internat dans un établissement scolaire religieux à Langres, en Haute-Marne, Albert Maës avait déjà fait l’objet d’un signalement auprès de sa hiérarchie. À l’époque, les faits avaient été qualifiés d’« atteinte à la pudeur ». De nos jours, ils seraient considérés comme des agressions sexuelles : il imposait des attouchements et des masturbations à certains élèves pendant la nuit. Il avait alors 32 ans. Dès la rentrée scolaire suivante, sa hiérarchie avait accédé à sa demande de partir enseigner en Afrique. Avant de partir pour la Guinée, il avait exercé pendant près de quinze ans à la tête de plusieurs collèges catholiques en Côte d’Ivoire. De cette période, aucun témoignage n’a émergé. Interrogé en 2024 par Le Monde, le prêtre a assuré qu’il ne s’était « rien » passé. « Je n’étais pas en charge de l’internat comme à Langres, ni en position de tout contrôler. En Guinée, je me suis senti poussé des ailes. Je pouvais abuser. J’étais intouchable », a-t-il confié au quotidien.

Albert Maës risque vingt ans de réclusion criminelle. Une peine qui reste théorique, car à son âge, il pourrait bénéficier d’un aménagement de peine s’il est condamné. Cependant, l’un des deux premiers plaignants de cette affaire tragique ne sera pas témoin de cela : il est décédé des suites d’une longue maladie en 2024, soit vingt-deux ans après l’éclatement de l’affaire en Guinée et sept ans après sa mise en examen.