Quand la dette ne impose pas sa loi à l’État.
À la fin de 2024, la dette totale du Maroc a franchi le seuil record de 1.075 milliards de dirhams, soit près de 96% du PIB. Le service de la dette a atteint 155 milliards de dirhams, soit un dirham sur trois du budget général.
Comment un pays peut-il financer son développement lorsque plus d’un tiers de son budget est absorbé par sa dette ? Comment une loi de Finances peut-elle se revendiquer comme un projet national si ses priorités sont dictées par les marchés internationaux ? Comment établir un État social quand la majeure partie de l’effort budgétaire est destinée en premier lieu à rembourser les créanciers ? Comment générer la richesse nécessaire pour soutenir l’éducation, la santé et l’emploi si chaque dirham investi ne produit que 0,3 dirham de valeur ajoutée ? Et, plus globalement, comment exercer une véritable souveraineté économique dans un contexte où l’endettement devient le principal moteur de toutes les décisions publiques ?
Une dette qui explose et un budget de plus en plus captif
La dynamique de la dette publique marocaine est devenue un indicateur fondamental de la fragilité du modèle économique national. À la fin de 2024, la dette totale a atteint un niveau record de 1.075 milliards de dirhams, soit près de 96 % du PIB, un chiffre qui n’avait pas été observé depuis plus de deux décennies. La dette extérieure, s’élevant à 67,99 milliards de dollars, correspond presque aux recettes totales d’exportation, mettant en lumière une vulnérabilité structurelle face aux fluctuations des marchés mondiaux. La dette intérieure, qui dépasse 780 milliards de dirhams, atteste d’une dépendance grandissante du Trésor aux financements domestiques, dans un climat de hausse généralisée des taux d’intérêt.
La croissance nationale plafonne autour de 3 %, bien loin des 6 % requis pour absorber le chômage massif des jeunes et financer les infrastructures essentielles
Cette situation serait moins préoccupante si elle s’accompagnait d’une croissance constante et d’investissements productifs. Or, la croissance nationale stagne autour de 3 %, bien éloignée des 6 % nécessaires pour faire face au chômage massif des jeunes et pour financer les infrastructures cruciales. Le modèle adopté par le gouvernement reste vulnérable, tributaire du climat et de la conjoncture internationale, incapable de générer la richesse nécessaire pour soutenir durablement l’État social.
Le service de la dette illustre bien cette contrainte : il a atteint 155 milliards de dirhams, soit un dirham sur trois du budget général. Ce montant est presque deux fois supérieur au budget combiné de la santé et de l’éducation, deux secteurs censés incarner la nouvelle promesse sociale du pays. À ce niveau, la dette ne fonctionne plus comme un outil de financement, mais devient un prédateur silencieux qui impose ses conditions sur l’allocation des ressources publiques, réduisant les marges de manœuvre de l’État.
Un modèle d’investissement coûteux, peu productif et incapable de réduire la vulnérabilité
L’un des paradoxes de l’économie marocaine réside dans le fait que, bien que le taux d’investissement soit parmi les plus élevés de la région – environ 32 % du PIB –, la productivité reste extrêmement faible. Chaque dirham investi par l’État génère seulement 0,3 dirham de valeur ajoutée. Cette fragilité structurelle implique que la dette croît plus rapidement que la richesse produite pour la rembourser. L’économie investit énormément, mais transforme peu.
Ce constat se reflète aussi dans les déséquilibres sociaux et sectoriels. Le chômage urbain des jeunes excède 32 %, le Maroc manque de 32.000 médecins et de 65.000 infirmiers, et plus de 57 % des ménages rapportent des difficultés financières structurelles. Parallèlement, un choc inflationniste a atteint près de 18 % sur les produits alimentaires en 2023, avant de se stabiliser à un niveau encore élevé. La pression s’intensifie sur la classe moyenne, déjà affaiblie par l’endettement des ménages et la stagnation des revenus.
Le modèle économique souffre également d’un déficit externe chronique, avec un déficit commercial ayant dépassé 311 milliards de dirhams en 2022, dont 153 milliards pour la seule facture énergétique. Cette dépendance accentue le besoin de devises et pousse l’État à s’endetter davantage à l’étranger. Dans ce contexte, les variations des prix de l’énergie, des céréales ou du dollar peuvent bouleverser les équilibres nationaux, augmentant la vulnérabilité du pays et réduisant sa marge de manœuvre.
Cette vulnérabilité alimente un cercle vicieux : faible productivité → endettement accru → service de la dette plus lourd → baisse de l’investissement utile → ralentissement économique → augmentation du chômage → fragilisation du tissu social. Tant que ce cycle ne sera pas rompu, la dette continuera d’entraver le développement et de générer de l’instabilité.
Quand les marchés deviennent co-décideurs : la souveraineté économique est remise en question
L’endettement extérieur ne se limite pas à des flux financiers : il implique aussi des normes, des conditions et des attentes de la part des créanciers internationaux. Bien que la signature des accords reste marocaine, les marges de liberté qu’ils laissent diminuent à mesure que la dette augmente.
Un État dont le budget est capturé par le service de la dette perd progressivement sa capacité à arbitrer librement, à protéger les plus vulnérables et à conduire un projet collectif ambitieux
L’État se voit ainsi contraint d’adapter ses politiques budgétaires aux signaux envoyés par les marchés, les agences de notation ou les institutions financières internationales. Un budget peut être modifié, retardé ou réorganisé pour rassurer sur la soutenabilité de la dette, parfois au détriment des urgences nationales. La hiérarchie des priorités évolue : ce ne sont plus les besoins sociaux qui déterminent les choix, mais la capacité à maintenir une note stable, à respecter un ratio dette/PIB ou à satisfaire les attentes d’un créancier majeur.
Cette « souveraineté sous contrainte » se traduit également par la gestion du calendrier politique. Lorsque l’État devrait planifier sur dix ou quinze ans pour transformer l’économie, il est contraint de penser en fonction des échéances de remboursement, des cycles de taux ou des revues annuelles du FMI. Le long terme s’efface au profit d’une gestion budgétaire défensive et réactive.
Dans un tel contexte, il devient difficile de financer une réforme profonde de l’éducation, de revitaliser l’hôpital public, de transformer l’industrie ou d’accélérer la transition énergétique. Non pas parce que ces priorités ne sont pas vitales, mais parce que les marges budgétaires sont déjà grignotées par la dette. Ce phénomène crée un fossé préoccupant entre les ambitions affichées et les moyens réels, alimentant le scepticisme citoyen et accentuant la fracture entre discours politique et vécu social.
La dette comme bataille politique, économique et démocratique
La hausse vertigineuse de la dette marocaine ne représente pas uniquement un risque financier ; elle incarne également la menace d’une érosion durable du contrat social et de la souveraineté nationale. Un État dont le budget est absorbé par le service de la dette perd progressivement la capacité d’arbitrer librement, de protéger les plus vulnérables et de mener un projet collectif ambitieux. Une société qui ne constate aucun des fruits de ses sacrifices perd confiance en l’avenir.
Le Maroc ne pourra restaurer sa souveraineté économique qu’en réorientant profondément son modèle de croissance : montée en gamme industrielle, réforme fiscale équitable, lutte contre les rentes, augmentation de la productivité, investissement ciblé dans des secteurs à forte valeur ajoutée, maîtrise stricte des dépenses publiques, et élaboration d’un plan stratégique pluriannuel visant à réduire le ratio dette/PIB.
Un budget peut être amendé, retardé ou reconfiguré pour rassurer sur la soutenabilité de la dette, parfois au détriment des urgences nationales
La lutte contre la dette n’est pas simplement une affaire d’experts : c’est une lutte politique. Elle façonne notre capacité à décider pour nous-mêmes. Elle conditionne le niveau de justice sociale que nous pouvons garantir. Elle structure le projet de société que nous nous engageons à construire.
Une nation ne se bâtit pas en empruntant pour subsister, mais en investissant pour se libérer. Et c’est précisément cette liberté qu’il s’agit aujourd’hui de reconquérir, une liberté que seule une alternance politique authentique peut rendre possible. Car le changement n’est pas une notion morale abstraite : il s’opère par les urnes, par la sanction démocratique d’une majorité gouvernementale qui n’a pas réussi à protéger la souveraineté économique du pays, et par le choix d’un projet qui favorise la justice sociale, l’efficacité publique et un développement équilibré. Dans ce moment critique, l’USFP peut représenter, aux côtés des forces politiques partageant sa vision, la force capable de réorienter les politiques publiques, de restaurer la crédibilité de l’État social et de reconstruire un modèle de croissance fondé sur l’intelligence nationale plutôt que sur la dépendance vis-à-vis des marchés.
Le parti l’affirme depuis des années : aucune stratégie de développement ne peut réussir si elle repose sur une dette qui s’accumule plus rapidement que la richesse produite. Comme le rappelle le Premier secrétaire, Driss Lachguar, “le Maroc ne peut pas continuer à financer son développement par l’endettement sans redéfinir ses priorités, renforcer sa souveraineté financière et reconstruire un modèle économique créateur de valeur et d’emplois ; l’endettement n’est pas une politique, c’est un symptôme”. Cette vérité simple souligne l’urgence d’un réveil collectif, d’un retour à une logique de planification nationale et de justice territoriale, d’une vision où l’économie sert le citoyen et non l’inverse.
Le vote en faveur du progrès, de la démocratie, et d’un modèle axé sur l’équité et la dignité, n’est pas une option parmi tant d’autres : c’est la seule manière de sortir du cycle de vulnérabilité budgétaire qui entrave les réformes, fragilise la cohésion sociale et limite la souveraineté du pays.
Le Maroc n’a pas besoin d’une gestion qui réagit aux événements, mais d’un leadership qui les anticipe et les transforme. C’est précisément l’ambition de l’USFP : replacer le développement humain au cœur de la décision publique, réhabiliter l’investissement productif, renforcer les capacités de l’État et libérer l’économie de la rente et de la dette. Reconquérir notre liberté économique n’est pas un slogan : c’est une bataille démocratique, et elle se gagne par un vote clair en faveur d’un Maroc du progrès et de la justice.
Par Mohamed Assouali
Membre du Bureau politique de l’USFP

