Voitures neuves : la Commission européenne abandonne le « tout-électrique » en 2035.
Ursula von der Leyen a déclaré le 27 novembre 2019, à la tribune du Parlement européen, que « nous n’avons pas un moment à perdre pour combattre le changement climatique » en présentant le programme politique de sa nouvelle équipe de Commissaires. La Commission européenne a annoncé aujourd’hui la renonciation à interdire la vente de voitures neuves à moteurs thermiques en 2035, permettant aux constructeurs de vendre une part limitée, sous condition de compenser les émissions de CO2.

« Nous n’avons pas un moment à perdre pour combattre le changement climatique », affirmait Ursula von der Leyen à la tribune du Parlement européen le 27 novembre 2019, avant d’être accueillie par une ovation. La nouvelle présidente de la Commission européenne présentait alors son programme politique, incluant son « Green deal » parmi les priorités, une mise en œuvre considérée comme « existentielle » et « urgente« , selon ses propres termes.
Aujourd’hui, ce discours semble éloigné et le sentiment d’urgence s’est atténué. Ursula von der Leyen, toujours présidente de la Commission européenne, annonce à présent un assouplissement d’une mesure clé de ce Green deal. La Commission abandonne l’interdiction de vendre des voitures neuves à moteurs thermiques d’ici 2035. Les constructeurs auront la possibilité d’en vendre une quantité limitée, à condition de compenser, selon des modalités définies par la Commission, les émissions de CO2 découlant de cette assouplissement.
Quelles sont les raisons de cette levée d’interdiction?
Une pression des industriels et de certains États
La proposition d’interdire la vente de nouvelles voitures à moteurs thermiques dans l’Union européenne dès 2035 avait immédiatement soulevé l’opposition des constructeurs automobiles. Ces industriels européens ont exercé une pression considérable ces dernières années pour diminuer l’ambition européenne. Les lobbies des énergies fossiles ont également multiplié leurs interventions auprès des institutions européennes depuis l’annonce du Green deal.
Les constructeurs automobiles évoquent la concurrence acharnée de la Chine, la fluctuante politique commerciale des États-Unis avec ses salves de droits de douane, ainsi qu’une demande encore timide pour les voitures électriques. Malgré les déclarations de la Commission qui affirmait que le Green deal serait « notre nouvelle stratégie de croissance, créatrice d’emplois », les industriels s’inquiètent du risque de fermeture d’usines européennes.
Cette pression a été soutenue par certains États, l’Allemagne et l’Italie en tête, grands fabricants de voitures. Début décembre, six États membres, dont l’Italie, la Hongrie, la Bulgarie, la République tchèque, la Pologne et la Slovaquie, ont adressé une lettre à la Commission européenne pour lui demander d’autoriser la vente, au-delà de 2035, de voitures hybrides ou dotées d’autres technologies existantes ou futures qui « pourraient contribuer à l’objectif de réduire les émissions » de CO2.
Une pression électorale
Dans son discours de novembre 2019, Ursula von der Leyen avait également déclaré : « Cette transition doit être juste et inclusive ou elle ne se produira pas ».
Ce message est-il devenu prophétique? À l’heure actuelle, le coût d’une voiture électrique demeure supérieur à celui d’une automobile à combustion. Le chargement d’un véhicule électrique n’est pas encore facile, les bornes de recharge rapide n’étant pas suffisamment nombreuses dans l’espace public. La transition manque donc d' »inclusivité », et de nombreux citoyens européens voient se profiler l’interdiction d’un bien essentiel sans alternative viable.
L’échéance était-elle trop serrée? L’accompagnement des mesures a-t-il été insuffisant ou timide? Les bénéfices attendus ont-ils été mal communiqués? Quoi qu’il en soit, cette interdiction prévue a engendré du mécontentement à travers l’Union, amplifié par des partis politiques.
Lors des campagnes pour les élections européennes de juin 2024 et lors d’élections récentes au sein des États membres, les programmes de partis populistes eurosceptiques, d’extrême droite, et parfois même de droite traditionnelle, ont développé un discours similaire, que ce soit en Italie, en Pologne, en Hongrie, en Allemagne ou en France. En substance : « Bruxelles, cette bureaucratie, impose une interdiction déconnectée de la réalité à des citoyens déjà accablés par le coût de la vie ».
À titre d’exemple, le nouveau parti émergé cette année en République tchèque, « motoristé sobě », signifiant « les automobilistes par eux-mêmes ». Son nom explique bien le programme principal du parti qui consiste à promettre aux électeurs de contrecarrer l’interdiction des voitures thermiques imposée par « Bruxelles » et, plus généralement, le Green deal. Les « automobilistes » ont obtenu 6,77 % des voix et ont intégré cette semaine le gouvernement tchèque.
Un changement du paysage politique européen
Les partis qui se sont engagés, entre autres priorités, à réviser à la baisse le Green deal et à bloquer l’interdiction des voitures thermiques, sont également ceux qui ont gagné en influence récemment sur la scène politique européenne, au Parlement européen comme au Conseil des ministres de l’Union européenne. Ils jouent désormais un rôle accru dans les décisions européennes.
Au Parlement européen, les élections de 2024 ont renforcé les rangs des élus d’extrême droite, qui apparaissent mieux organisés qu’auparavant pour occuper les postes d’influence au sein des travaux parlementaires et voter de manière coordonnée.
Au Parlement européen également, le PPE, parti de centre-droit traditionnel, a rejoint les mécontents du Green deal. Il a contesté certains aspects du plan, notamment le volet « voitures », malgré son soutien antérieur à cette mesure. Le PPE est le plus grand groupe de l’hémicycle et ne craint plus de voter avec l’extrême droite pour remettre en cause le pacte vert, formant ainsi une majorité alternative.
Au Conseil des ministres européen aussi, les rapports de force ont évolué, car les partis hostiles au Green deal sont présents dans un nombre croissant de gouvernements nationaux, renforçant leur voix à Bruxelles.
Des menaces globales multiples, un autre contexte
Depuis le discours de novembre 2019 et le lancement du Green deal, le contexte international a également profondément évolué.
La pandémie de Covid-19 a émergé quelques mois après ce discours, devenant une nouvelle priorité pour la Commission qui s’est concentrée sur les achats communs de masques et de vaccins, tout en cherchant à maintenir les frontières ouvertes au sein de l’Union et à gérer la crise sanitaire sans étouffer l’économie.
La guerre en Ukraine, survenue en février 2022, a également recalibré les priorités européennes, imposant de nouvelles urgences et un calendrier renouvelé.
Plus récemment, le retour de Donald Trump à la Maison Blanche a entrainé une vague de droits de douane à l’échelle mondiale, poussant l’Union européenne à en faire une nouvelle priorité et à initier de difficiles négociations commerciales.
Passée la surprise, ces événements ont contraint l’Union européenne à réévaluer sa dépendance au gaz russe, aux micropuces et terres rares chinoises, à l’IA et aux armements américains, pour ne citer qu’eux. L’UE a placé en tête de son agenda un projet de redéploiement d’une industrie made in Europe, plus autonome, dans un contexte de concurrence accrue et de morosité économique. C’est devenu un objectif majeur.
Le réchauffement climatique, de son côté, a été relégué au second plan des agendas et des budgets de l’UE au cours de ces six dernières années, perçu comme une menace moins palpable ou immédiate, pour l’instant.

