Belgique

Stratégie de sécurité des États-Unis : « Un président qui donne une impression d’extrême faiblesse »

Début décembre, un document de 28 pages est transmis par l’administration présidentielle au Congrès américain. La stratégie de sécurité nationale, rédigée par un courtisan du Président, n’aurait pour seul « vrai souci stratégique que de plaire à Trump », estime Pieter Lagrou.


Début décembre, l’administration présidentielle a envoyé un document de 28 pages au Congrès américain. Cette « stratégie de sécurité nationale » est élaborée à chaque changement de présidence pour expliquer la nouvelle orientation de la politique étrangère aux représentants du peuple. Ce texte, généralement peu commenté dans les médias en raison de son caractère technocratique, « vise à l’exhaustivité, veut parler de tous les problèmes de tous les pays », précise Pieter Lagrou.

La grande nouveauté cette fois réside dans la tournure idéologique et trumpiste de la doctrine : un soutien affirmé aux idées conservatrices et nationalistes, notamment par l’ingérence dans la politique européenne et un alignement sur Moscou. « Pour les idéologues de Trump, une stratégie, c’est faire des choix, donc on y va. Le ton est très brutal et extrémiste à de nombreux endroits. »

La stratégie stipule : « Notre politique générale pour l’Europe devrait prioritairement cultiver la résistance à la trajectoire actuelle de l’Europe […] Les États-Unis encouragent leurs alliés politiques en Europe à promouvoir ce renouveau d’esprit, et le rôle croissant des partis patriotiques européens donne lieu à un grand optimisme. »

L’enseignant à l’ULB souligne que la radicalité du texte provient de son auteur : « Dès que Donald Trump est arrivé, il a écarté presque tous les membres du Conseil national de sécurité, qui est chargé de rédiger ce document. Trump se méfie des experts. La rédaction a été confiée à un idéologue des milieux conservateurs chrétiens : Michael Anton. » Ce dernier, ancien membre du Conseil de Sécurité lors du premier mandat de Trump, a démissionné en critiquant une administration pas assez radicale. Passionné par la chute de l’Empire romain, il y voit un parallèle avec l’Empire américain et attribue le problème majeur de la planète à l’immigration, tout en excluant dans le texte toute mention du réchauffement climatique, de la lutte contre les pandémies et du terrorisme.

Ainsi, la stratégie de sécurité nationale, rédigée par un proche du Président, n’aurait d’autre « vrai souci stratégique que de plaire à Trump », selon Pieter Lagrou. « Ce texte reflète l’alliance de la droite chrétienne extrême avec un président qui, lui, n’a pas d’idéologie, c’est un opportuniste complet. » Pour faire passer ses idées extrémistes, Michael Anton illustre son texte par des louanges à la méthode trumpiste. « La stratégie, en gros, ça ne sert à rien. Il faut saisir l’instant et utiliser les rapports de force. Et puisque nous sommes les plus forts, nous arriverons à tout obtenir », résume l’historien de l’ULB.

Cependant, les premiers résultats de cette « stratégie du choc » affichent déjà leurs limites : des traités de paix plus fragiles que jamais et des négociations en Ukraine qui « n’aboutissent à absolument rien du tout », remarque l’historien, ajoutant que la politique de tarifs douaniers ne mène à rien. « On a un président qui fait tout dans tous les sens, ce qui donne une impression d’extrême faiblesse. Quel est le pouvoir de Trump de mettre en œuvre ce genre de grande déclaration ? » s’interroge-t-il. Ne supportant pas la contradiction, Trump semble s’enfermer dans des illusions d’autorité, alors même que l’impuissance menace. « Un bon gouvernant a besoin de conseillers qui ont le courage de le contredire. Donald Trump a fait le vide autour de lui. Dès que quelqu’un le contredit, il le vire. »

Le texte affirme l’alignement de la vision, des objectifs et des soutiens politiques entre les États-Unis et la Russie face à l’Europe : « Notre politique générale pour l’Europe devrait prioritairement cultiver la résistance à la trajectoire actuelle de l’Europe […] Les États-Unis encouragent leurs alliés politiques en Europe à promouvoir ce renouveau d’esprit, et le rôle croissant des partis patriotiques européens donne lieu à un grand optimisme. »

Les Européens, quant à eux, se trouvent face à la puissance russe, qui doit être prise « très au sérieux », selon Pieter Lagrou : « Tout ce que Poutine dit depuis une quinzaine d’années est extrêmement cohérent. S’il dit que l’Ukraine n’a aucune raison d’existence, il n’en démordra jamais. La différence entre Trump et Poutine est que Poutine peut se permettre plus de 200 000 soldats morts au front. Les États-Unis sont, à cet égard, un pays faible, n’interviendront pas, et encouragent finalement des politiques de voyou. »

L’inquiétude des Européens doit alors être comprise par l’impuissance et l’immobilisme de Trump face à Moscou : « Pour les Européens, compter sur les États-Unis, c’est fini. » L’historien souligne également la menace liée à ce discours plus musclé que les actes, « une menace de contagion » du trumpisme chez les Européens, qui ont accueilli ce texte plutôt favorablement. « La menace est que des acteurs politiques européens arrivent à la conclusion que sa recette paie. Alors, nous aurons une Europe livrée non seulement à Trump, mais aussi à Poutine et à des acteurs xénophobes, intolérants, populistes. »

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