Sur LinkedIn, avoir une moustache ou être un homme augmente la visibilité
Jean-Michel est un homme qui est jusqu’à deux fois plus visible sur les réseaux sociaux que ses collègues féminines. Selon les données analytiques de LinkedIn, une personne interrogée a constaté une augmentation de sa visibilité de 244 % grâce à un changement de nom sur le réseau.
Jean-Michel est un homme, porte une moustache et… est deux fois plus visible sur les réseaux sociaux que ses collègues féminines. Il n’est pas le seul : de nombreuses internautes estiment que les profils masculins bénéficient d’une plus grande visibilité et d’une mise en avant par les algorithmes en ligne. Ainsi, sur LinkedIn, des femmes modifient leur profil pour se faire passer pour des hommes afin de dénoncer cette inégalité.
Il y a un mois, des utilisatrices principalement anglo-saxonnes ont remarqué que les profils masculins semblaient capter plus d’interactions. Pour vérifier cette hypothèse, certaines ont changé leur nom, substitué leur pronom « elle » par « il », réécrit certains de leurs postes ou même modifié leurs photos de profil. Beaucoup affirment que ces stratégies portent leurs fruits.
### Faux nom, fausse moustache, vrai problème
En France, cette tendance a pris de l’ampleur depuis la semaine dernière, surtout à partir de lundi. Plusieurs médias, dont l’AFP et France 24, ont mis en lumière ce phénomène, incitant des personnalités francophones à participer au mouvement. « On travaille à aider les femmes dans leur parcours professionnel, donc ça nous a interpellées », déclare Kaouthar Projette, cofondatrice de l’organisme de coaching Club de pouvoir, qui s’est rebaptisée « Jean-Michel » sur LinkedIn. Avec son associée, Elise Bordet, elles sont parmi les premières grandes figures francophones du réseau professionnel à avoir rejoint le mouvement.
D’autres les ont rapidement suivies. Les participantes modifient donc leur prénom, publient une photo d’elles avec une fausse moustache et interpellent Fabienne Arata-Camps, la directrice générale de LinkedIn France. « Normalement, LinkedIn prône l’inclusion et la bienveillance, remarque l’humoriste Lucie Carbone. Voir que, dans ce test, celles qui changeaient leurs paramètres pour se faire passer pour un homme avaient plus de visibilité, ça m’a choquée. Il fallait que j’aborde ce sujet, pour ma communauté. »
### « À communauté égale, les femmes ont moins de visibilité que les hommes »
Les deux femmes interrogées ont parfois eu le sentiment que leur contenu n’était pas autant mis en avant que celui de leurs homologues masculins. « J’ai eu cette impression, mais c’est difficile à prouver et je n’ai pas envie de devenir paranoïaque, confie Lucie Carbone. Pourtant, j’ai déjà vu des vidéos plagiées de mes créations, par un homme, obtenir beaucoup plus de vues. » « LinkedIn a déjà banni mon compte après un post sur le cyberharcèlement, témoigne Kaouthar Projette. Même après l’avoir récupéré, j’ai quatre fois moins de visibilité qu’avant. Pour moi, cela représente un phénomène d’invisibilisation. »
« À niveau de communauté comparable, les femmes que j’accompagne constatent moins de visibilité que les hommes, confirme Benjamin Roux, expert en réseaux sociaux pour le groupe de communication Oxygen. Même dans mon propre fil LinkedIn, je vois davantage d’hommes. » Selon lui, cela s’explique en partie par le fait que les hommes sont moins réservés que les femmes pour poster, commenter et se mettre en avant, ce qui favorise leur visibilité.
### Les algorithmes reproduisent les inégalités
Changer son nom sur LinkedIn pourrait-il remédier à cette inégalité ? Une journaliste de l’AFP a mené l’expérience. Les données analytiques de LinkedIn ont montré que la portée de plusieurs de ses publications avait augmenté une fois qu’elle s’était « déguisée » en homme, enregistrant des milliers de clics supplémentaires. Une personne interrogée par l’agence de presse a affirmé que sa visibilité avait augmenté de 244 % grâce à ce changement. « Pour améliorer ma visibilité, je viens de me mettre une fausse moustache virtuelle. Résultat ? + 421 % d’impressions en vingt-quatre heures », constate également la consultante Pascual Osma.
Les premiers tests en France ne sont pas aussi concluants, mais indiquent tout de même une différence. « Pour un lundi matin, mon post sur le sujet a généré beaucoup de réactions, bien qu’il soit difficile de tirer des conclusions en si peu de temps », remarque Lucie Carbone. Plus largement, Benjamin Roux conseille de ne pas se cacher. « Toute bonne action peut être mise en avant, surtout à l’heure où les contenus générés par IA déjà trompent les algorithmes, explique-t-il. Pour émerger, il faut allier régularité des publications et entraide entre collaboratrices. »
Quoi qu’il en soit, l’essentiel est d’attirer l’attention sur ce phénomène. « Comprendre où se situent les inégalités permet de développer une stratégie de contre-attaque ou de défense, insiste Kaouthar Projette. Nous encourageons les gens à en parler et à s’allier, cela crée un contre-pouvoir. »
Contacté par l’AFP, LinkedIn a déclaré que « ses algorithmes n’utilisent pas le genre comme critère de classement, et le fait de changer de genre sur votre profil n’a aucune incidence sur la façon dont votre contenu apparaît dans les résultats de recherche ou le fil d’actualité ». Bien que la plateforme n’ait pas été intentionnellement conçue pour invisibiliser les femmes, il est possible qu’elle exacerbe les biais des utilisateurs. « C’est l’illustration publique et anecdotique d’un phénomène plus vaste, affirme la cofondatrice du Club de pouvoir. Les femmes nagent à contre-courant et il faut changer le courant. » D’autant plus que les algorithmes ont un impact croisissant sur nos vies. « Nous dépendons de ces plateformes pour nous informer, chercher un emploi, donc il est crucial de comprendre leur fonctionnement, conclut Lucie Carbone. Un réseau social devrait se conformer aux valeurs qu’il promeut. » À défaut d’être plus visibles, les femmes continuent néanmoins de faire preuve de détermination égale à celle des hommes.

